Plusieurs ont expérimenté le phénomène de rouler à moto sur une seule roue, parfois volontairement, souvent par accident. Notre invité, lui, a toujours perfectionné sa propre technique.
L’histoire d’André Dion a commencé au milieu des années 70, lorsqu’un copain, fidèle lecteur de Moto Journal, lui a parlé de la nouvelle Kawasaki H2 750 (célèbre tricylindre deux temps). Ce modèle, très performant à l’époque, disposait d’un seul disque à l’avant, d’un tambour à l’arrière, d’une fourche à poteaux de petit diamètre et d’un cadre double berceau dont la rigidité n’était pas la première qualité. Seuls les braves en possédaient une. En 1975, alors âgé de 18 ans, André s’est procuré un modèle 1973 flambant neuf payé 1550$ comptants avec ses économies. Encore inexpérimenté, notre ado respectait scrupuleusement le rodage de sa moto. Toutefois, en circulant sur la 1re avenue à Québec, il a été happé par une voiture ayant omis de s’arrêter à un coin de rue. L’impact a conduit l’infortuné motocycliste à l’hôpital pour 74 jours! Être un adepte du conditionnement physique l’a cependant beaucoup aidé dans sa réhabilitation. Plusieurs seraient passés à un autre passe-temps, mais notre homme était déjà passionné. Ainsi, une semaine après sa sortie de l’hôpital, il s’est rendu chez le concessionnaire local (Laurentides Sports Service) pour s’acheter une autre H2, cette fois un modèle 74, en vue de la faire rouler l’été suivant. Durant l’hiver, sa condition physique s’était considérablement améliorée grâce au ski alpin, qu’il pratiquait presque quotidiennement.
En mai 76, il a assisté aux performances de Jacques Dionne sur la piste d’accélération de Napierville. Ce dernier lui a appris comment performer sur le quart de mille, « couper une bonne lumière » et se stager. Au cours de la saison, chaque mercredi, André se rendait à la piste d’accélération de Pont-Rouge, puis parcourait la moitié du quart de mille sur une roue, en plus de performer des drags improvisés contre les muscle cars de l’époque. Comme il le dit lui-même, cela constituait les batailles de rue du temps. Bien que leurs marques britanniques étaient sur le déclin face aux motos japonaises, quelques inconditionnels tenaient à se mesurer à lui le temps d’une humiliation. Durant l’été 1977, une connaissance, Robert Minville, qui possédait une Kawasaki Z1 900cc montée par Pops Yoshimura lui-même (3000$), courait à Sanair dans la série Brimaco. André décida de l’imiter. À sa première course, il a terminé au lointain quatrième rang sur sa 750, derrière les motos de la classe superbike. En 1978, après s’être procuré la nouvelle Z1R 1000cc, il a participé à encore plus d’épreuves à Sanair et à Tremblant, se disputant souvent des positions avec son copain Jean-Yves Ferland. Plus il côtoyait les circuits, plus il prenait conscience du niveau de sécurité présent en piste en comparaison avec la rue. S’étant déniché un coin isolé pour pratiquer ses whellies, André s’entraînait une heure chaque jour avant de se mettre derrière le volant des camions et de prendre la route à 6h du matin. Son salaire de camionneur lui avait servi à financer l’achat de ses trois motos et de son équipement. Beaucoup d’argent a ainsi été englouti dans l’aventure.
Ayant appris à conduire les semi-remorques sur le tas avec son père, le roi du whellie en devenir s’est inscrit au centre de formation pour routiers de Charlesbourg, où il a acquis des connaissances sur les courbes de puissance et de couple des moteurs. Pour conduire un camion sur la Côte-Nord, avec 35 tonnes de chargement et ne disposant que de 237 ch. à l’époque, le tout s’avérait nécessaire et vital! Cela l’a amené à étudier les mêmes chartes des moteurs de ses motos, car le but, comme lors de courses courantes, demeurait d’y arriver le plus rapidement possible. À titre d’exemple, à ses premières tentatives complétées, il a atteint 89 milles/heures. Après avoir mis en pratique l’étude des courbes de puissance et de couple, il a atteint 98 milles/heures (les H2 parvenaient à 105 sur deux roues!). Dans la région de Québec, à cette époque (fin des années 70), les endroits pour rouler en piste se faisaient rares, le circuit de Ste-Croix (aujourd’hui Riverside Speedway) étant fermé. Malgré cela, une bande de jeunes passionnés de course sur circuit routier, dont André faisait partie, est parvenue à s’introduire sur le circuit abandonné pour y accumuler de l’expérience et procéder à certains essais. L’un d’eux possédait une Honda GL1000R (souvent vantée par le Père Bleu!) et parvenait à en faire rougir certains, pourtant montés sur des machines beaucoup plus adaptées à la piste. Un jour, le propriétaire les a surpris en flagrant délit d’invasion de circuit! Les voir rouler l’a toutefois convaincu de monter un championnat en 1981, auquel André s’est inscrit, bien sûr! Parmi les autres pilotes, notons Michel Mercier, déjà multiple champion sur glace, qui allait devenir l’un des meilleurs au pays et aujourd’hui propriétaire de l’école de conduite en piste FAST.
Avec les années 80, les coûts devenaient de plus en plus élevés afin de participer aux diverses manches des championnats locaux et nationaux. Comme notre pilote était plus habile en piste que pour vendre sa salade afin d’attirer des commanditaires, il abandonna le projet. Mais les heures à pratiquer les whellies continuaient de s’accumuler. C’est à cette époque (fin 1984) que le rédacteur de Moto Journal Sorey Prom Tep (surnommé STP) l’a contacté afin de l’inciter à battre le record détenu par un Américain sur le quart de mille, soit 104 milles/heure avec une hybride Kawasaki/Suzuki 1000cc turbo. La moto choisie pour le surpasser était la toute nouvelle Yamaha FZ750 qui, avec ses 100ch, représentait une véritable évolution. Lors d’une épreuve de la série RACE tenue à Sanair le 18 août 1985, à son troisième passage, les 108,5 milles/heure ont été atteints. Le célèbre Yvon Duhamel (considéré comme le Maurice Richard de la moto par André), qui assistait à l’événement comme spectateur, s’est montré fort étonné de l’exploit : « Quand nous gagnions des courses, nous performions des whellies, mais jamais comme celui-là! ». Par la suite, Richard Gref de Moto Internationale, qui participait aux courses en circuit routier, a convaincu son père Raymond de commanditer André Dion. Avec l’aide de Suzuki Canada, qui lui a fourni une nouvelle GSX-R1100, il a battu l’année suivante son record jusqu’à un sommet de 130 milles/heure. Des publicités pour Ultramar en compagnie de Dominique Michel (diffusée durant la série Lance et compte) et une autre pour Bell suivirent.
Parallèlement à ces performances de vitesse, André a tenté de battre le record de distance (145 milles) établi par l’Américain Doug Domokos sur une roue. Dans le but d’y parvenir, il a opté pour une Yamaha DT200 munie de petites ailettes dans les rayons de la roue avant afin de maintenir l’effet gyroscopique indispensable pour permettre de diriger la moto. Malheureusement, le projet avorta, faute de commanditaires. Un truc de vieux routier du whellie? André « libérait » les plaquettes de frein de sa roue avant. Ainsi, il pouvait lui donner un élan et contrôler de cette façon son atterrissage au bout du quart de mille. Car une roue immobile à l’atterrissage peut laisser une trace de près de 100 pieds avec les conséquences qu’on imagine!
Mais la carrière de formateur en camionnage et la vie de famille ont eu raison de celle de recordman sur une roue. La retraite a duré 12 ans, jusqu’à ce que, en 1999, Roger Saint-Laurent (organisateur de divers salons de la moto) lui indique que le championnat du monde de whellie s’amenait à Sanair. Son influence auprès des jeunes et la vision de motocyclistes inexpérimentés perdant le contrôle de motos trop puissantes ont convaincu André d’effectuer un retour sur piste d’accélération. Son but : sensibiliser les casse-cous au fait que les compétitions doivent se dérouler uniquement sur les pistes. Après entente avec Suzuki Canada, la nouvelle Hayabusa a été la machine utilisée (après un entraînement intensif, André a réussi de nouveau à entrer dans ses vieux cuirs).
Face aux motos modifiées, elle ne faisait pas le poids, mais le pilote compensait et se maintenait proche des meilleurs temps. Ensuite, vint la ZX-12, qui lui a permis d’atteindre 137 milles/heure. En 2003, avec une Triumph Daytona 955, André chuta lourdement lors d’un « atterrissage », en étant déjà sur un plan incliné en raison du vent violent. Sa moto, excellente, n’était pas vraiment idéale pour apporter les ajustements nécessaires en accélération sur une roue, en partie à cause de son bras oscillant monobranche qui ne permettait pas de tricher avec l’ajustement de la chaîne pour compenser. Il aurait bien aimé continuer jusqu’en 2007, mais en se sortant de cette chute avec seulement un pouce cassé, notre recordman a décidé de prendre sa retraite encore en un seul morceau…
Néanmoins, en 2007 avec sa ZX9 maintenant exposée au musée L’Épopée de la moto, André boucla la boucle, soit en performant sur le quart de mille sur une roue pendant trois décennies.
Aujourd’hui, en plus de travailler au Centre de Formation en Transport de Charlesbourg, André donne des conférences sur son cheminement pour aider à motiver les jeunes et moins jeunes. Et il roule aussi avec sa Kawasaki Concours, toujours sur deux roues…