Michael Uhlarik a dit un jour qu’il ne voyait aucun problème à rouler de Toronto à Halifax sur une machine de 250 cc. Nous l’avons pris au mot. Bonne route, Michael!
À l’âge de 23 ans, j’ai roulé de Londres, en Angleterre, jusqu’à Pise, en Italie, sur ma Gilera 125 à moteur deux temps. Mille deux cent kilomètres, trois pays, toutes sortes de routes et la traversée d’un des cols alpins les plus élevés de toute l’Europe. C’est une des choses les plus folles que j’ai faites dans ma vie. La Gilera était déjà vieille de 10 ans – je l’avais achetée pour me déplacer à Londres. Cette petite 125 monocylindre était une réplique des machines de Grand Prix, avec carénage intégral et selle miniature recouverte d’une mousse de moins de 3 cm d’épaisseur… En roulant avec la poignée au fond, son autonomie était d’environ 100 km. Ce qui était une bénédiction, somme toute, parce qu’après une heure en selle, il devenait impératif de se dégourdir le cou, les genoux et les fesses. La Gilera était aussi une grande consommatrice de Castrol 747; j’en avais trois bouteilles dans mes bagages. J’étais amoureux fou de cette moto.
Quant à ce voyage, il était fou parce que j’étais un étranger dans des pays étranges, je n’avais presque pas d’argent, et pas de carte routière. Mais surtout parce que ma Gilera 125 n’était absolument pas appropriée pour un long voyage à travers la moitié d’un continent. Quand je suis arrivé à Pise aux petites heures du matin, après deux jours de conduite intense, j’étais épuisé, mouillé, j’empestais l’huile à moteur deux temps et j’étais tellement raide que j’ai eu de la difficulté à me déplier pour m’étendre dans mon lit… Et pourtant, c’est un de mes plus beaux souvenirs de moto.
En 2011, j’ai essayé la Honda CBR250R à Los Angeles pour Moto Journal. J’ai été impressionné par son comportement et j’avais souligné les qualités de cette nouvelle génération de petits moteurs à quatre temps. Ce à quoi on m’a répondu des choses comme : les petites motos, c’est parfait pour les débutants mais dans la vraie vie elles ne sont pas capables de suivre le trafic; elles sont instables dans le vent; elles ne sont pas faite pour être conduites pendant plus de 20 minutes par un adulte; elles ne sont pas aussi l’fun à rouler que les plus grosses motos.
Foutaises.
Après la virée européenne de 2500 km de ma Gilera (je suis revenu à Londres quelques mois plus tard), elle avait besoin d’une sérieuse remise en état. Mais c’est normal, c’était une vieille moto italienne avec un moteur capricieux de seulement 125 cc et je la conduisais toujours à fond de train. Une moto comme la CBR ferait un pareil voyage en Europe comme si de rien n’était, affirmai-je. Et ici, elle ferait le voyage Toronto-Halifax dans l’allégresse, ajoutai-je encore.
Voilà pourquoi je prends la route vers Halifax en ce matin frais et pluvieux : mon rédacteur en chef m’a pris aux mots et mis au défi de démontrer ma théorie… Mais j’adore les longs voyages en moto et j’aime beaucoup avoir raison. Donc, je suis sûr que la petite Honda se révèlera un compagnon idéal.
Je n’ai pas roulé sur la CBR (ni sur d’autres motos) depuis l’an dernier, alors je ressens clairement « l’effet Honda ». On pourrait définir cet effet comme suit : après 10 minutes à bord d’un véhicule Honda, on a l’impression qu’on l’a toujours eu et qu’on pourrait rouler jusqu’au bout du monde avec lui. Jusque dans les Maritimes, dans mon cas (ce qui est d’ailleurs l’équivalent du bout du monde pour bien des Canadiens…).
En embarquant sur la 401 vers l’Est, je cherche une position confortable derrière le pare-brise et je me sens tout de suite bien. La CBR250R est à l’aise aux vitesses d’autoroute et je suis content de m’éloigner de Toronto. Au fil des kilomètres, je laisse mes pensées vagabonder avec plaisir dans vers des chemins qu’on n’a pas le temps d’emprunter en temps normal. Le casque de moto est un incubateur de pensées extraordinaire quand on fait de longues heures de route. Une partie du cerveau est occupée à conduire et à surveiller la circulation, mais l’autre réfléchit à toutes sortes de choses. Je me demande si j’ai bien fait de déménager du Québec avec la famille, je me demande si ma fille, et si moi-même verront un jour Halifax comme notre ville. J’écoute le moteur de la Honda qui murmure doucement et je chante parfois à voix haute.
J’arrive à Montréal à midi pour assister à une conférence et je suis accueilli par le soleil. Je me faufile ensuite dans les rues du centre-ville bloquées par une manifestation. Avec la CBR, je peux tricoter entre les autos et les piétons beaucoup plus facilement qu’avec une plus grosse moto. Je peux aussi me glisser aisément jusqu’à l’avant d’une longue file d’autos arrêtée (je sais qu’on n’a pas le droit au Canada, mais j’ai passé trop d’années à le faire en Europe – et puis, à quoi bon avoir une moto en ville si on ne peut pas profiter de sa petite taille?). Je m’arrête à côté d’un gars en V-Strom et d’une fille en CBR125R. Il regarde ma moto et dit à la fille : « Regarde, c’est la 250 dont je t’ai parlé! ». Il me pose des questions et je réponds. J’ai déjà roulé sur des machines exotiques mais, à part avec ma Laverda et la Yamaha GTS 1000, je n’ai jamais tant attiré l’attention.
Cela dit, la petite Honda n’est pas parfaite. Les produits « Made in Thailand » ont encore du chemin à faire avant d’atteindre la qualité japonaise. Avec à peine 3000 km au compteur, la fourche émet des grincements, l’amortisseur écrase au fond constamment, la peinture a des marques d’usure et les rétroviseurs vibrent de façon désagréable. Mais, peu importe le climat et les conditions routières, la CBR affiche une tenue de route sans failles. On peut corriger sa trajectoire facilement au milieu d’un virage, la traction est rassurante (malgré les pneus bon marché) et les freins sont extraordinaires. Pour 5000 $, c’est tout un accomplissement.
Pendant ma deuxième journée de route, j’ai vu une paire de pantalons abandonnés sur la route. Quand j’étais petit, je me demandais comment des pantalons, un seul soulier ou une chemise pouvaient bien se retrouver sur la route… J’imaginais un scénario avec une chicane de couple et un des deux qui jette le linge de l’autre par la fenêtre… Mais ça peut aussi être parce qu’un motocycliste perd ses bagages. Chose qui aurait pu m’arriver si je ne m’étais pas aperçu à temps qu’un des mes sacs Belstaff frottait sur la roue arrière. C’était donc ça l’odeur de caoutchouc que je sentais depuis un moment… Le sac est troué mais, heureusement, je n’ai rien perdu (par contre, à l’intérieur, une des semelles de mes souliers s’est usée contre le pneu…). Je bouche le trou avec du ruban adhésif, je resserre les élastiques à crochets qui tiennent mes précieux bagages et je reprends la route.
Sur l’autoroute 20, à l’est de Québec, il vente. Ce qui permet de déboulonner un mythe à propos des petites motos. L’air dense venu du St-Laurent arrive de ma gauche et me pousse depuis une heure, mais ça ne me pose pas de problème. J’ai dépassé des dizaines de cruisers propulsées par des V-2 six ou sept fois plus gros que le monocylindre de la Honda. Chaque fois, je ressentais un malin plaisir à voir leur accoutrement de faux méchant garçon balloter au vent tandis que je roulais allègrement. J’ai aussi dépassé un couple sur une ST1300 et un super-héros sur une super-sportive modifiée. Je les ai tous salués. Ils m’ont tous répondu.
Quand je suis parti pour ce voyage, le pneu de la CBR était usé de façon un peu carrée. Mais plus je roule sur les routes qui longent les rivières de l’est, plus son profil s’améliore… Un peu après la frontière du Nouveau-Brunswick, je fais une pause pour faire le plein et appeler ma conjointe. Elle m’a réservé une chambre dans une auberge à Fredericton et elle m’informe que la réception ferme à 22 h. Il est 20 h 45. Et je suis à 140 km de ladite auberge. Compte tenu de la vitesse à laquelle il faudrait que je roule pour arriver à temps, ainsi que de l’abondance des orignaux et des chevreuils sur les routes néo-brunswickoises, je décide de changer de plan et de coucher quelques kilomètres plus loin, à Woodstock.
En reprenant la route, je rejoins le seul véhicule en vue, une Ford Focus familiale, et je la suis à une distance d’environ six longueurs d’auto. Ses phares projettent un grand arc de lumière qui éclaire la route et la forêt de chaque côté. Nous roulons à 130 km/h et nous enfilons les collines dans la vallée de la rivière St-Jean. Dans les longues pentes ascendantes, le petit moteur peine à maintenir l’écart avec la Focus; dans les descentes, je ralentis pour ne pas trop m’approcher. À chaque fois que la Focus dépasse un camion, je la suis et je me range derrière à nouveau. Mes yeux sont rivés sur la forêt éclairée par l’auto et j’entre dans une sorte de transe à mesure que les kilomètres s’accumulent. Je suis tellement concentré sur la forêt, la route et mon éclaireur à quatre roues que j’en perds la notion du temps et de la distance.
Bien sûr, je n’arrête pas à Woodstock. Ça roule tellement vite et bien que je continue jusqu’à Fredericton. Mais je continue surtout parce que j’ai du plaisir. Ça me rappelle une nuit d’il y a 12 ans, le long de la côte italienne, sur ma Gilera. Malgré le danger, je me sens presque obligé de filer encore et encore. Pas pour économiser quelques dollars pour la nuitée à l’hôtel – ce serait ridicule. Par pur plaisir. Parce que je me sens vivant, parce que je goûte le moment présent et que je me sens en plein contrôle de ma vie pour la première fois depuis deux ans. La Focus a pris une sortie juste à l’entrée de Fredericton, mais je me sens en sécurité maintenant, dans les lumières de la ville. J’arrive à l’auberge à 22 h 05, je prends ma clé et j’appelle ma conjointe.
Le lendemain, je roule sur une petite route déserte dans la vallée de la St-Jean. Je m’en tiens aux limites de vitesse, mais j’en demande beaucoup à la CBR. C’est la joie. La Honda travaille fort, mais pas moi… Je me laisse bercer par le paysage, le moteur chante et je sens le soleil sur mes jambes.
Comme la Gilera il y a plusieurs années, la Honda CBR250R a le don de me rappeler pourquoi je roule en moto.
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La 401 en 250
Chaque fin de semaine, Tim Poupore quitte son travail à Toronto, il prend la 401, et il file à sa maison près de Montréal. Nous lui avons demandé de troquer sa BMW contre notre CBR250R d’essai à long terme.
La deuxième plus petite routière de Honda est une excellente moto de ville. Ça, nous le savions déjà. Mon travail était donc d’accumuler les kilomètres et les heures en selle sur la CBR250R pour voir comment elle se comporte sur les longues distances. Car les grandes qualités d’une machine urbaine – poids léger et manoeuvrabilité – ne sont pas nécessairement les atouts que l’on recherche pour rendre l’autoroute 401 moins plate.
Première étape : le chargement de mes bagages habituels pour une fin de semaine (glacière en moins…). J’ai d’abord installé mon sac de réservoir. Puis un sac à l’arrière maintenu en place par un filet élastique et une courroie. J’ai été déçu de voir qu’il n’y avait pas d’ancrages sous la selle. Par contre, les supports des repose-pieds du passager et de la plaque font l’affaire pour accrocher les crochets. Une fois les bagages bien attachés, en route!
Premier arrêt : la station-service. Je constate que, même rempli à ras bord, le réservoir avale seulement 9 litres. Je découvre aussi le détail de conception le plus énervant de la CBR : on ne peut pas enfoncer le bec du pistolet dans le réservoir. Une petite cage de métal bloque l’accès de sorte que, même en remplissant le réservoir le plus lentement possible, une bruine d’essence s’envole et se dépose sur le sac de réservoir et le réservoir lui-même. La seule solution, c’est de viser très juste, et d’éviter d’éternuer…
Première section d’autoroute : de Mississauga à Markham. Ici, les automobilistes ne respectent pas trop les limites de vitesse et il me semble plus prudent de rouler avec le trafic. Ce qui se traduit par un régime moteur de 8000 tr/min et une poignée d’accélérateur presque au fond. Ça roule bien. Par contre, je n’ai pratiquement pas de puissance en réserve et si je ralentis un peu trop, il faut que je rétrograde un ou deux rapports pour regagner ma vitesse.
Les principaux facteurs qui causent la fatigue sur les longues distances sont le vent, le bruit et les vibrations. Pas surprenant, donc, que les machines de tourisme soient carénées, silencieuses et douces. La CBR est munie d’un carénage de type sport. Il est petit mais il réussit à dévier l’air de façon très acceptable autour des jambes. À la hauteur de la poitrine, on sent plus la pression du vent, mais elle est régulière, sans turbulences. Par contre, le bruit de vent est marqué.
Je poursuis ma route au même rythme pendant une heure, puis je m’arrête pour un café à Trenton. C’est à ce moment que je remarque les picotements dans mes avant-bras et mes coudes. Je suis surpris de ne pas les avoir sentis en roulant tellement ils sont présents maintenant. Je décide de réduire le régime moteur pour les cinq heures de route qu’il me reste à parcourir.
La baisse de régime semble avoir l’effet escompté parce que je n’ai plus senti de picotements du reste du voyage. Je poursuis ma route en roulant à 130 km/h au compteur, mais ma vitesse réelle est sans doute moins élevée, sinon une des 15 autos de l’OPP et de la SQ que j’ai dépassées m’aurait fait signe d’arrêter… Je commençais même à me demander si j’étais invisible jusqu’à ce que je dépasse une Honda Civic, avec plaque du Québec, et quatre jeunes femmes particulièrement jolies à bord. Elles ont ouvert le toit ouvrant, sorti les bras pour prendre des photos, elles m’ont fait des grands sourires et des grands signes de la main. Ça doit être à cause de la moto. Je les ai saluées aussi, j’ai accéléré au fond, et tant pis pour les vibrations.
La CBR250R est-elle une moto parfaite? Non. Elle laisse échapper une bruine d’essence quand on essaie de faire le plein trop vite et on sent des vibrations dans les coudes à régimes élevés. La solution : ralentir un peu. Il faut aussi ralentir en conduite nocturne sur des routes sinueuses parce que le dessin du faisceau lumineux fait en sorte qu’on est plongé dans l’obscurité dès qu’on penche la moto. Mais la CBR est une machine particulièrement efficace. Sur un parcours de plus de 2500 km sur la grand-route, j’ai obtenu une consommation de 3,62 litres aux 100 kilomètres, deux pleins m’ont suffi pour arriver à destination, et elle coûte 4999 $ avec ABS.
La capacité de chargement de la CBR250R est suffisante pour les randonnées de courte durée, mais il est certain qu’on ne peut pas prendre à la fois un passager et beaucoup de bagages. De plus, la selle du passager transmet les vibrations (mais pas celle du pilote). Cette moto n’est pas particulièrement petite : ma conjointe et sa copine (5 pi 2 po) n’arrivaient pas à appuyer les deux pieds à plat au sol.
Vous serez peut-être tenté de faire des commentaires désobligeants sur les limitations d’une moto de si petite cylindrée. Mais ne la mettez pas de côté trop vite, car je sais qu’il y a quatre belles filles en Honda Civic qui sont convaincues que c’est une véritable bombe.