La Streetfighter 1098 originale est une bête féroce. Pour la 848, Ducati a choisi une approche plus réservée.
Après une première heure au guidon de la Streetfighter 848, nous nous arrêtons dans un petit café au bord de la route italienne. Je commande un espresso, mon troisième de la matinée. Je me dis que cette dose supplémentaire de caféine viendra peut-être à bout des vapeurs résiduelles du décalage horaire.
Nous sommes dans la chaîne de montagnes des Apennins, un peu au sud de Modène, en Italie. Nous, c’est-à-dire cinq journalistes californiens, deux guides de chez Ducati, et moi. Pour arriver jusqu’ici, nous avons roulé à bonne vitesse sur une route exigeante et je ne veux pas que la fatigue me fasse perdre mon élan et m’empêche de profiter de la route qui redescend sur l’autre versant de la montagne. Alors je reste debout et j’avale mon espresso, puis nous reprenons notre chemin en direction de la vallée du Pô.
Ducati affirme que la Streetfighter 848 est destinée à des motocyclistes trentenaires, expérimentés, habitués aux machines hautes performances, mais qui ne veulent pas une sportive. On peut donc imaginer que Ducati a créé ce modèle pour répondre aux désirs des trentenaires en question, qui aimaient le concept de la grosse Streetfighter, mais la trouvaient trop extrême. (La 848 devrait être disponible en février en version rouge, noire ou jaune, moyennant 13 995 $).
La Streetfighter est propulsée par le même bicylindre en V que la Superbike 848, mais en version adoucie. Il produit tout de même 132 ch au vilebrequin selon la firme (8 de moins que sur la Superbike). Ducati avait fait le même genre de changement pour le moteur de la Multistrada et de la Diavel. En faisant passer la période de croisement des soupapes de 37 à 11 degrés, le gros moulin des Superbike 1098 a perdu quelques chevaux à haut régime, mais gagné en douceur et en convivialité. Ducati reprend le même genre de recette pour la Streetfighter 848. Quant au cadre en treillis, il est dérivé de celui des Superbike, mais la chasse et le déport ont été réduits (de 25,6 à 24,5 degrés, et de 114 à 103 mm).
L’objectif de cette révision de la géométrie du cadre était de rendre la 848 plus agile et d’améliorer les sensations dégagées par le train avant. D’après ce que j’ai pu en voir jusqu’ici, ça marche. Pour maîtriser la grosse Streetfighter, il faut une poigne solide. La 848 enfile les virages des Apennins plus facilement que je ne l’aurais cru, même si (étonnamment) elle affiche le même poids que sa grande soeur (189 kg). En fait, la nouvelle Streetfighter est maniable, elle change facilement de direction et elle donne un feedback qui inspire confiance. Ce qui me permet de suivre les très rapides Californiens qui mènent le bal. Trois d’entre eux en profitent pour rouler sur une roue dès qu’il y a un petit bout droit entre deux courbes…
Je suis brièvement tenté de les imiter, mais je me ravise aussitôt. C’est mon premier lancement de presse et je me dis que l’objectif le plus important est que cette journée se passe sans incident.
Mais ça ne fonctionnera pas…
Quelques minutes plus tard, je freine un peu trop tard à l’entrée d’un virage à gauche à 90 degrés, et je me retrouve dangereusement près de la roue arrière d’un Californien. Je freine encore plus fort, la suspension avant sautille et je me retrouve presque aussitôt en dehors de la route, dans les herbes de l’accotement, et dans les pierres protubérantes de la pente à pic qui longe la courbe… Je finis par immobiliser la Streetfighter mais mon genou droit a servi de frein en se frottant contre la pente. En rétrospective, je me dis que j’ai eu de la chance que la route soit bordée par une falaise qui monte, et non pas une falaise qui descend…
Je débarque de la moto en espérant la ramener sur la route avant que les deux derniers pilotes ne puissent m’apercevoir dans ma fâcheuse position. Mais ils sont seulement quelques secondes derrière moi et ils s’arrêtent aussitôt pour m’aider à remettre la moto sur le dur et à enlever les herbes qui la décorent… Après une inspection rapide, nous constatons que les dommages sont minimes : seulement quelques égratignures sur le levier de frein avant. En fait, c’est mon genou qui a servi de tampon pour absorber le choc. La jambe droite de mes jeans Draggin est déchirée mais le protège-genou en kevlar est intact. Je m’en tire avec une légère rougeur due au frottement. J’ai eu de la chance.
Tout à l’heure au café, nous étions quelques-uns à trouver que le réglage des suspensions était trop souple pour notre conduite rapide dans les routes de montagne. Nous avions tous senti louvoyer l’arrière dans les virages sur pavé irrégulier. Ma sortie de route a été causée par une suspension trop molle, et par une erreur de pilotage, bien sûr. La Streetfighter 1098 est munie de pièces de suspension Showa (tout comme la Superbike 848), mais pour sa petite soeur, on a opté pour des composantes moins sophistiquées : fourche Marzocchi de 43 mm et amortisseur Sachs (comme sur la Monster 1100). Cela dit, la suspension de la Streetfighter 848 est ajustable (précharge des ressorts, amortissement en compression et en détente) et on pourrait donc mieux l’adapter aux conditions de conduite actuelles.
De retour sur la route vers Modène. Dans les sections où il faut rouler à basses vitesses — comme les villages et les virages en épingle —, la 848 est très souple, ce qui est plutôt inhabituel compte tenu du penchant naturel de Ducati pour les rapports de transmission finaux très bas. La grosse Streetfighter est munie d’une couronne de 38 dents à la roue arrière (39 pour la Superbike 848). Pour la Streetfighter 848, Ducati a opté pour une couronne de 42 dents. On y perd un peu en vitesse maximale, mais on y gagne en convivialité. Côté confort, la 848 est munie d’un guidon 20 mm plus haut que celui de la 1098, ce qui engendre une position de conduite un peu plus relevée. Mais la selle est fortement inclinée vers le réservoir, ce qui, malheureusement, provoque un inconfort testiculaire garanti — que j’ai surtout remarqué dans les portions plus tranquilles de notre randonnée.
Avec ses étriers Brembo classiques, la Streetfighter 848 offre un freinage très efficace, mais moins féroce que celui de sa grande soeur avec étriers monoblocs. Chose surprenante, la 848 n’est pas vendue avec l’ABS et il n’est pas offert en option non plus.
Après la randonnée en montagne, les gens de Ducati nous ont emmenés passer un après-midi à l’Autodromo di Modena, une toute nouvelle piste de course de 2 km avec des courbes serrées, qui se négocient surtout en première et deuxième vitesse. Au premier virage, je freine avec un peu d’appréhension à cause de ma mésaventure de ce matin. Mais nos machines ont été ajustées en fonction de la conduite sur piste et la suspension est maintenant très ferme. La moto est solide comme le roc dans les 11 courbes du circuit et je reprends vite confiance en moi.
La Streetfighter 848 est munie du système de contrôle de la traction de Ducati (DTC) à huit niveaux. Pendant notre sortie en montagne, un des pilotes a dû s’arrêter parce que le DTC avait été oublié en position 8, le niveau maximal; les interventions constantes du système l’empêchaient de rouler au même rythme que nous. Quant à moi, je me suis aperçu après coup que le système était en position désactivée sur ma machine. Pour cet essai en piste, les techniciens de Ducati ont choisi la position 3 pour toutes nos motos. Pour plus de sûreté, je demande à voir le « 3 » de mes propres yeux…
Pendant mes sorties en piste, je n’ai jamais senti clairement le DTC intervenir. Et comme les virages serrés exigeaient de toujours avoir la piste bien en vue, je n’ai pas pu apercevoir non plus le témoin lumineux du tableau de bord qui indique que le système entre en fonction. À la fin de ma dernière sortie toutefois, j’accélère fort en sortie de courbe, avec la machine encore inclinée. Le pneu arrière commence à patiner puis la traction revient subitement et la moto se relève. Peut-être que j’étais trop penché pour que le DTC puisse vraiment aider. Les systèmes de contrôle de la traction ne peuvent pas tout corriger…
La 848 n’a pas la puissance brute d’une machine d’un litre, mais j’ai tout de même franchi le cap des 190 km/h en cinquième sur la courte ligne droite de l’Autodromo. Je négociais la plupart des courbes en deuxième vitesse; le moteur s’en tire bien à bas régime et il chante en prenant des tours dans les sections plus rapides. La Streetfighter 848 n’est pas une pure sportive, mais c’est loin d’être une machine de mon’oncle…
Entre les sorties en piste, je bois du Gatorade (fini le café pour aujourd’hui…!) et je regarde les mécanos à l’oeuvre. Après seulement 20 tours de piste, ils installent de nouveaux pneus Pirelli Diablo Rosso Corsa sur nos machines (ce sont les pneus de série de la Streetfighter). « Comme si on était des pilotes de championnat mondial… » commente un collègue californien. Faut dire que je suis surpris de constater à quel point je suis à l’aise en piste sur la Streetfighter, même si c’est seulement la deuxième fois de ma vie que je roule sur un circuit. Le simple fait que je n’ai pas l’air trop déphasé au milieu de ces pilotes très expérimentés en dit long sur le style de cette Ducati : à la fois souple et énergique. Des qualités qu’on peut certainement apprécier même si on n’est plus trentenaire depuis un bon moment.