Lorsqu’on s’attaque à une icône — la BMW R1200RT, pour ne pas la nommer —, il se peut que les embûches viennent ralentir même les plus persévérants. Le défi est tellement de taille qu’aucun constructeur du Soleil Levant ne s’est manifesté à ce jour. Seule la marque de MandellodelLario a relevé le défi en présentant sa Norge, il y a de cela trois ans.
Avec son moteur bicylindre transversal injecté refroidit à l’air et disposant, depuis 2011, d’une distribution à quatre soupapes par cylindre (d’où l’appellation GT8V), la Norge se veut donc la seule rivale directe de la réputée GT de la marque bavaroise. Personnellement, je ne crois pas que l’acheteur type de BMW envisagera l’achat de la spacieuse Italienne, mais l’adepte de sport tourisme à la recherche de quelque chose de différent devrait considérer cette nouvelle mouture du célèbre V-Twin italien. Depuis l’établissement par le groupe Piaggio d’un solide réseau de concessionnaires, l’argument de la disponibilité des pièces et de mécaniciens qualifiés pour entretenir les motos de la marque ne tient plus. Malgré l’âge vénérable de la marque à l’aigle déployé — 90ans! —, elle demeure pratiquement inconnue pour l’homme de la rue. L’ironie : je réussis à trouver une Guzzi Eldorado 850 1972 en un seul coup de fil. En fait, René Blouin de Pont-Rouge qui collectionne les motos d’avant 1975 m’avait déjà invité à faire un tour pour voir et parler de sa collection (un prochain article portera sur le sujet). Comme le hasard fait souvent bien les choses, nous avons donc rassemblé, le temps d’une photographie, les deux motos que 39 années séparent. L’an dernier, Renaud Lemieux (M. Roadster, MJ mars 2011) m’avait vanté le confort et l’agrément de conduite de sa Griso. Il ne m’en fallait pas plus pour anticiper des kilomètres de bonheur sur deux roues. Serais-je surpris ou déçu? Ma seule expérience avec un moteur de cette configuration remonte à l’époque où je conseillais mon ami et photographe Michel Emond de se procurer une Honda CX650e en très bon état.
Première impression
Lorsqu’on parle de moto de tourisme ou encore de sport tourisme, on s’imagine une monture de gros gabarit. Avec la Norge, Moto Guzzi nous propose une alternative compacte qui bénéficie d’une hauteur de selle raisonnable. Son poids à sec annoncé de 257 kg (566,6 lb) peut sembler imposant, mais demeure quand même loin des grosses machines de tourisme. Son guidon large permet un bon levier lorsque vient le temps de relever la moto de la béquille latérale. L’utilisation de la béquille centrale se fait sans problème lorsqu’on connaît la bonne technique, qui consiste à faire basculer la moto vers l’arrière en s’aidant de la pédale au lieu de dépenser inutilement de l’énergie en tentant de la relever avec les bras. Je n’ai pas un gabarit d’haltérophile et aucune moto à ce jour ne m’a résisté!
Son allure générale me rappelle à la fois la première génération de Kawasaki Concours et une Honda ST1300. En regardant du côté droit, on ne peut manquer le massif arbre d’entraînement qui, une fois en route, sait se faire oublier. En fait, seule l’absence de bruit de chaîne nous rappelle sa présence, l’effet de couple longtemps associé à ce mode d’entraînement final — la CX mentionnée plus haut se faisait une joie de se cabrer sur ses suspensions à chaque changement de rapport —a complètement disparu. Du côté gauche, le silencieux en inox laisse échapper une sonorité à bas régime digne d’un tracteur à gazon. Heureusement, le grondement de l’admission à plus haut régime vient racheter ce péché. Pour ajouter l’insulte à la blessure, il porte l’odieux de masquer l’élégante roue monobranche.
Les V-Twin transversaux ne courant pas les rues, un confrère de travail peu porté sur la mécanique me demanda à quoi pouvaient servir les protubérances de chaque côté du moteur… Bien que dissimulées partiellement derrière des caches visant à isoler le pilote des bouffées de chaleur générées par leur refroidissement par air, les têtes et couvercles de valves font partie de la tradition Guzzi. Elles ne gênent pas la position de conduite, à moins de mesurer plus de 6 pieds 2 pouces.
En ce qui a trait au tableau de bord, la combinaison classico-moderne s’acquitte bien de la tâche. Les compteurs de vitesse, compte-tours et indicateur du niveau de carburant analogiques sont complétés par un afficheur numérique multifonction qui comprend horloge, température ambiante, odomètre, informations de voyage, chronomètre, visualisation des alarmes et signalisation des échéances d’entretien. Les rétroviseurs montés sur le guidon — ce qui peut sembler hors norme dans cette catégorie — s’acquittent très bien de leur tâche, tout en demeurant exempts de vibrations. Reste à voir si l’oiseau emblématique de la marque sera à la hauteur de sa réputation et fondra sur ses proies routières avec aplomb tel l’aigle romain…
En route!
Lorsque j’ai pris possession de la Norge, j’ai été surpris de constater qu’elle n’était pas équipée de sacoches, ces attributs étant de série sur ce modèle. J’avais le choix : attendre la livraison ou encore me rendre avec la moto chez le concessionnaire qui les avait en main. Le week-end de la fête du Travail s’annonçant beau et chaud — du moins pour les premiers jours —, j’ai choisi la seconde option. La 40 de Québec à Trois-Rivières pour terminer par la 20 jusqu’à Drummondville. Une boucle de soir me permettrait d’évaluer l’éclairage, la protection du carénage et le confort en général. La densité de la circulation sur les autoroutes au Québec varie d’un congé à l’autre, et en ce début de septembre, les vacanciers semblent pressés. Ne voulant pas retarder la circulation, je me suis donc mêlé au flot de voitures à une vitesse qui n’est pas tolérée habituellement. La Norge semblait avoir été conçue justement pour ce rythme, l’abondance de couple me permettant d’effectuer des dépassements autoritaires en sixième sans bavure (4000 tr/min à 118km/h).
La tenue de route définitivement sportive incite à tester les limites de la suspension calibrée de série pour accommoder un pilote de poids moyen — ce dont je me convaincs chaque fois que je monte sur une balance. Le nombre d’ajustements offerts par la fourche de 45mm maintenant munie de ressorts progressifs permettra aux plus difficiles de trouver l’équilibre entre tenue de route et confort. Puisqu’il est question de confort, le niveau offert par la selle s’approche de celui qu’offrait la défunte FJ1200, avec, en prime, une surface antidérapante qui empêche le pilote et le passager de glisser lors de manœuvres brusques.
Dommage, toutefois, que le carénage ne protège pas davantage des éléments. Une bonne averse et les extrémités en prennent pour leur rhume… Le pare-brise ajustable électriquement constitue un gadget désormais de rigueur dans cette catégorie. La solution adoptée par les ingénieurs de chez Moto Guzzi n’avait pas fait l’unanimité lors de notre essai de la version initiale en 2009. Personnellement, je trouve un peu étrange d’avoir à actionner deux boutons différents pour lever ou abaisser le pare-brise, mais comme tout gadget, moins on joue avec, mieux on se porte. L’ajustement qui me convenait le plus étant le mode complètement abaissé, je n’ai donc pas passé de temps à jouer avec sa hauteur.
Avec passager, il est primordial de trouver un compromis entre turbulences et protection. En effet, en tentant de se protéger au maximum, une espèce de poche d’air vient taper dans le dos du pilote par à-coups, ce qui diminue le confort de la selle et de la position de conduite. Encore une fois, la position rabaissée demeure le meilleur choix, du moins dans mon cas. Les poignées chauffantes, autre commodité que l’on considère comme un must sur ce type de machine, se tirent quant à elles très bien d’affaires. Ma seule critique concerne le diamètre un peu trop grand des poignées, ce qui peut créer un certain inconfort après quelques heures. Sachez cependant que je n’ai pas de très grandes mains; par conséquent, plusieurs d’entre vous considéreront cette remarque comme superflue.
Le passage des rapports se fait sans problème, aucun faux point mort n’ayant été relevé. Par contre, son utilisation ne s’effectue pas toujours en silence. En ce qui a trait au freinage, le système ABS travaille sans qu’on note sa présence, sauf sur le gravier, où les pulsions sur le levier nous rappellent son efficacité. Un bouton sur la poignée de droite permet de désactiver le mécanisme. Le levier de frein, comme pour celui de l’embrayage, peut s’ajuster en distance grâce à un régulateur circulaire. Les valises amovibles complètent bien l’allure générale de la moto. En prime, elles offrent assez de contenance pour un week-end. Un genre d’ancrage supplémentaire vient sécuriser chacune d’elles au cas où le pilote les aurait mal fixées.
Bons et moins bons coups
Bon
-Sur ce modèle en particulier, le bouton de démarreur fait aussi office de bouton panique. Impossible d’oublier ce dernier en mode arrêt et de se demander pourquoi le moteur ne veut pas démarrer!
-L’éclairage projette un faisceau large et clair permettant de rouler de façon sécuritaire lorsqu’aucun lampadaire n’illumine la route.
Moins bon :
-Le carénage n’offre aucun vide-poche. Le seul endroit disponible est sous la selle!
-La proximité des repose-pieds du passager fait en sorte que les pieds de ce dernier viennent interférer avec ceux du pilote à l’occasion.
Pour conclure
Avec un prix de détail suggéré de 16 795$, la Moto Guzzi Norge se situe au centre dans la catégorie sport tourisme. Son moteur n’offre pas les pointes de performances des multicylindres de la compétition, mais son couple abondant et sa solide tenue de route en font un choix sensé pour le motocycliste recherchant une monture exclusive sans sacrifier la qualité d’assemblage avec une touche de nostalgie. Dans le futur, les motos refroidies à l’air seront considérées comme des engins vétustes. Ce n’est pas encore le cas avec celui-ci.