Aprilia Dorsoduro 1200 : Supermoto, Superbike, Superstandard?

Par Marc ParadisPublié le

Rouler la dernière-née de la famille Dorsoduro d’Aprilia — il existe aussi une petite sœur de 750cc —, c’est accepter de répondre toujours aux mêmes questions : « D’où vient cette marque? Que signifie Dorsoduro? Quel type de moto est-ce? Est-ce confortable? Pourquoi la selle est-elle si élevée? » Il est parfois plus agréable de répéter souvent les mêmes réponses que de voir sa moto ne susciter aucun intérêt… Les motos de type supermotard (voir encadré) légales pour la route se sont déclinées au Canada dans presque toutes les cylindrées, depuis les 230 cc de la petite Honda CRF230M jusqu’aux machines de plus d’un litre. Même si ce créneau semble attirer de plus en plus d’adeptes, plusieurs le désertaient en raison du manque de puissance des machines offertes. Une supermotard de 400 cc, c’est amusant en ville, mais dès que la route se dégage, les limites du moteur sont vite atteintes. Demande aidant, la puissance s’est invitée ces dernières années, et avec ses 1197 cc, la Dorsoduro développerait près de 130 chevaux selon le fabricant. Ce qui en ferait la plus grosse et la plus puissante de la catégorie supermotard ultime. Malheureusement, je n’ai pas pu amener la 1200 sur une piste, où aboutissent tôt ou tard les vraies supermotards : aucune disponibilité et aucune envie de coucher une moto de ce prix et de ce poids sur le gravier. Mais comme nous le savons tous, les routes québécoises nous offrent une foule de sections toutes aussi exigeantes…

Première impression
Lorsque l’on s’approche pour faire connaissance avec la belle, deux choses frappent le regard. D’abord, la hauteur de la selle. Je mesure 5’10” et je ne touche le sol que du bout des pieds. Pas grave, on roule avec les pieds sur les repose-pieds qui sont, soit dit en passant, très bien isolés contre les vibrations (la portion caoutchoutée peut s’enlever si le besoin s’en fait sentir). Deuxième constatation : le design, même s’il s’inspire beaucoup de la 750, fait preuve de beaucoup de créativité, que ce soit au niveau de l’intégration des protège-mains — plus esthétiques que pratiques, à mon avis — en passant par le petit saute-vent double bulle, pour terminer par le feu arrière pointant entre les pots d’échappement. La position de conduite dictée par le style surprend par un niveau de confort de beaucoup supérieur à ce que la classe nous a habitués.

Côté moteur
Si vous avez déjà roulé une RSV4  (mauvais exemple, peu de gens ont roulé cette moto), le son émanant du bicylindre se rapproche étrangement du V4 de la supersportive de la marque. Un son riche et rauque qui aime prendre les tours et qui vous offre amplement de couple à bas régime. Rouler en ville avec le moteur évoluant à basse révolution sans avoir à constamment rétrograder est enfin possible avec un bicylindre sportif.

Comme pour la RSV4, l’injection comporte trois modes soit le S (pour sport) le T (pour touring et non pas pour track, comme c’est le cas sur la V4) et enfin le mode R (pour rain). La logique voudrait que pour débuter un essai, nous augmentions progressivement la puissance en passant du mode pluie au mode tourisme, pour enfin terminer par le mode sport. Une fois en selle, les bonnes intentions s’envolent aussi vite que le train avant (j’avais bien sûr laissé le mode sport sélectionné), mais le tout se déroule progressivement sans vraiment nous prendre par surprise. La réponse instantanée de l’accélérateur ride by wire semble connectée à mon cerveau qui doit, pour sa part, enclencher l’avance accélérée! Pour être franc, j’ai passé la majorité du temps sur ce mode. Le mode tourisme livre la puissance de façon plus linéaire. Pour une utilisation quotidienne, ce mode constituerait le choix logique, mais étant donné que j’aime bien combiner travail et plaisir… Quant au dernier mode, aucune hésitation au sujet de son utilité. En allant faire une balade sur mon heure de lunch, je me suis amusé à ajuster la suspension arrière en bordure de route. Les outils fournis remplissent bien leur mission et la suspension s’ajuste facilement. En fait, la tâche la plus compliquée est de remettre les outils dans la minuscule trousse et de faire passer la selle sous le cordon de maintien du passager. Ce qui devait arriver arriva : je me suis fait prendre par l’orage et pas à peu près! Chanceux dans ma malchance, je portais ma combinaison quasi imperméable Aerostich, et la Dorsoduro possède une cartographie d’injection spécialement conçue pour ce genre de test… J’ai roulé prudemment au début, le système prenant la relève au fur et à mesure que je tournais l’accélérateur. Je ne dirais pas qu’il est impossible de faire déraper l’arrière de la moto — il ne s’agit tout de même pas d’une fonction anti-patinage —, mais je comparerais l’anémie du moteur à celle d’un kart de location de stationnement de centre commercial. On aurait dit que le pur-sang italien s’était transformé en vieille bourrique… Très impressionnant malgré les comparaisons qui pourraient sembler peu flatteuses dans tout autre contexte.

Une journée en selle
Rouler une moto de ce type pendant une journée entière, avec un passager de surcroît, ne nous vient pas à l’esprit au premier abord. Mais une fois qu’on tombe sous le charme de son merveilleux moteur, la Dorsoduro se révèle séduisante en avaleuse de bitume. Bien que des sacoches semi-rigides et un sac de réservoir soient disponibles en option, il reste préférable de ne pas transporter d’objets ne résistant pas à la chaleur tant les échappements dégagent de l’air chaud en permanence. Mon passager étant de format réduit, je n’ai connu aucun problème de cohabitation, mais lorsque c’est un adulte qui prend place, ses pieds viennent souvent — pour ne pas dire toujours — en contact avec ceux du pilote. Et aucune poignée de maintien pour se retenir lors de décélérations.

À part ces inconvénients mineurs, qui ne s’appliquent pas à ceux qui voyagent seuls ou avec seulement un sac à dos, la Dorsoduro permet de rouler jusqu’à ce que le réservoir soit vide sans occasionner de fatigue au postérieur ou au bas du dos. Presque un exploit dans cette catégorie! Même le petit saute-vent offre une surprenante déflexion. Bien sûr, si la cadence s’accélère sur l’autoroute, le niveau de confort dans la région du cou en prend pour son rhume. Les rétroviseurs, qui font souvent acte de présence sur plusieurs motos, renvoient une image claire et exempte de vibration. Le centre d’informations renferme toutes les données utiles comme le totalisateur journalier, le temps en selle, la vitesse maximale atteinte, le rapport enclenché, de même que la consommation moyenne et instantanée. Un témoin programmable aide à déterminer le bon régime moteur pour changer les rapports. Côté suspension, une fois calibrées en fonction de la charge, elles s’acquittent bien de leur tâche et maintiennent les deux roues en contact avec le sol la majorité du temps, sans nuire au confort. Les pneus Dunlop Sportmax offrent une bonne traction sur l’asphalte (où la Dorsoduro passera la majeure partie de sa vie) et ne sont pas du tout prévus pour des excursions hors route. Pour cet usage, la cousine Moto Guzzi Stelvio prend la relève.

Après quelques centaines de kilomètres, je peux maintenant répondre à toutes les questions qui me sont posées. Aprilia fabrique ses motos à Noale en Italie depuis 1968, et fait partie du groupe Piaggio (avec Moto Guzzi, Piaggio, Derbi et Vespa). Contrairement à ce que son nom laisse croire — Dorsoduro signifie dos rigide en italien —, il s’agit d’une moto bonne à tout faire. Équipée d’un pare-brise plus élevé et de sacoches, je n’hésiterais pas à enfiler les kilomètres sur la Dorsoduro. Et pour ce qui est de la hauteur de la selle, une fois qu’on roule, on ne s’en soucie plus.

Les motocyclistes rencontrés au hasard et qui ne sont pas étrangers au style ont tous trouvé qu’il s’agissait d’une belle exécution. Quel accueil lui sera réservé? Si les acheteurs potentiels ne voient en elle qu’une grosse supermoto et rien d’autre, ils passeront à côté d’une moto agréable, bien qu’affublée de quelques défauts… Mais qui n’en a pas?

 

D’où viennent les Supermotos?
De nos jours, presque tous les motocyclistes sont capables d’identifier une moto de type supermotard lorsqu’ils en aperçoivent une. Mais connaissent-ils les origines de ces motos marginales? Contrairement à ce qu’on pourrait croire, cette catégorie fit son apparition non pas en Europe, où les ventes et compétitions de ce type de motos sont en constante progression, mais bien en Amérique du Nord, il y a de cela 32 ans! À l’origine, l’idée d’élaborer l’épreuve des  « Superbikers » a germé dans l’imaginaire des dirigeants de l’émission Wide World of Sports du réseau américain de télévision ABC. Le but : déterminer lequel des pilotes de motocross, de vitesse, de terre battue, de même que tout autre candidat jugé intéressant (le québécois Michel Mercier fut l’un des invités en 1982) saurait se montrer le meilleur des meilleurs. Le circuit de 3,2 km situé à Carlsbad en Californie comporte une partie goudronnée, une section cross et deux longues courbes à gauche et tremplins pour permettre aux spécialistes de terre battue de tirer, eux aussi, leur épingle du jeu. Pour performer sur un tel tracé, les manufacturiers arrivèrent assez rapidement à un consensus : machines de classe ouverte (500 cc deux temps) avec suspensions rabaissées, remplacement du tambour avant — la norme à l’époque — pour un frein à disque de grand diamètre afin de ralentir ces hybrides capables de pointes de plus de 200 km/h, sans oublier les pneus pluie de circuit routier retaillés à la scie. Les meilleurs pilotes de l’époque y ont couru : Freddie Spencer, Eddie Lawson, Broc Glover,  Kent Howerton, André Malherbe, pour n’en nommer que quelques-uns. La formule fut abandonnée au milieu des années 80 avant d’être reprise en France.

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