DRAGSTER

Par Moto JournalPublié le

Steve Thornton découvre l’univers des courses d’accélération sur une Harley 883. Et il aime ça…!

19 juin : Il fait chaud à Grand Bend. Et il y a du bruit, beaucoup de bruit. C’est à cause des Harley-Davidson de 12 pieds de long, très basses, propulsées par des moteurs au nitrométhane, qui grondent près de la ligne de départ. Il y a quelques personnes derrière les Harley, des jeunes hommes et des jeunes femmes bronzés, en short et en gougounes.  

Un des coureurs tourne l’accélérateur et fait patiner son gros pneu arrière pour se donner une surface de traction. Les échappements directs crachent un son de tonnerre qui déchire l’air et les personnes derrière se retournent à cause de la douleur. La fumée grise et blanche du pneu dérive lentement vers elles. Puis le gros moteur reprend son ralenti et le vacarme s’arrête. Je vois alors apparaître un tableau extraordinaire : des gens en gougounes debout sur la piste, tournés vers moi, les mains sur les oreilles, avec un nuage fumée derrière et autour de chacun d’eux. Je voudrais prendre une photo.

Mais je ne peux pas, bien sûr, parce que je suis dans la file d’attente pour le départ, sur ma machine de drag, une Harley 883. On m’a fourni une moto et une inscription, et me voilà sur le point de participer aux courses d’accélération de la ronde de l’est de la Canadian Motorcycle Drag Racing Association. Je me dis que le mieux serait d’être disqualifié le plus rapidement possible et de m’en retourner tranquillement à la maison. Parce qu’ici il fait trop chaud, je suis fatigué, et j’ai l’impression que mes tympans sont sur le point de défoncer.

Je ne connais absolument rien aux courses d’accélération. Sauf que j’ai l’impression que c’est le type de compétition le plus élémentaire qui soit, et que le plus difficile se résume à faire un bon départ. J’ai été chercher la jolie petite Sportster il y a quelques jours et j’ai conduite jusqu’ici, au sud du Lac Huron. Pas le choix : mon rédacteur en chef m’a dit « Je t’envoie aux courses ». Puis il a ajouté en riant » « Aux courses de drag…! »
Ce nouveau modèle de Sportster s’appelle le 883 Superlow et il porte bien son nom. Quand je me suis assis en selle la première fois, j’ai presque eu l’impression d’être sur une mini-moto. Je m’attendais donc à des performances timides, mais la Harley-Davidson m’a agréablement surpris. Elle prend de la vitesse sans se faire prier et elle est plutôt confortable.

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Avant d’arriver sur le site, je croyais bien pouvoir gagner au moins un trophée : je me disais qu’il n’y aurait pas beaucoup de 883 et que les autres concurrents seraient sans doute des débutants à peine capable de contrôler un embrayage. Bref, je prévoyais courir en classe débutants…
« On n’a pas assez de 883 pour faire une classe, m’a expliqué Dino, le superviseur de l’épreuve qui se promène partout sur le site en voiturette de golf. Tu vas courir dans la classe Harley ». Super, je vais rouler contre des V-Rod et des Buell 1200… Mais, bon, pas grave, j’ai tellement d’expérience – faut juste décoller vite sur la ligne…  

Première surprise du néophyte : l’arbre de Noël. Pourquoi toutes ces lumières compliquées au lieu d’un gars avec un bon vieux pistolet de départ? Je ne comprends pas trop le principe. Quand la lumière verte s’allume, je fais un départ qui me semble plutôt bon, j’accélère à fond et j’obtiens un temps de 15,559 secondes. Pas fort… Ça m’a pris plusieurs passages avant de penser à regarder aussi mon R/T. Ça, c’est le temps qui s’écoule entre l’allumage du feu vert et le début du déplacement de votre moto. R/T comme dans « temps de réaction », un concept fondamental en courses d’accélération.

Quant au temps qu’on met à parcourir l’ensemble de la piste d’un quart de mille, il s’appelle le E.T., pour Elapsed Time.
18 juin, le matin : Paul Guerrieri me montre ses deux machines de dragster, deux V-Rod de couleur orage. La première est une Destroyer, un modèle de 165 ch fabriqué par Harley avec barre anti-wheelie. L’autre est une V-Rod à peu près normale, à part le fait que les échappements sont ouverts, qu’elle est munie d’un témoin lumineux et d’un bouton pour les changements de vitesse, et que le ralenti est ajusté à 2500 tr/min… Paul dit que je peux l’essayer. J’hésite, puis je décide d’accepter. Nous sommes samedi et c’est la période des pratiques libres. Sur la 883, je ne réussis pas à faire mieux qu’un E.T. de 15 secondes et quelques centièmes. Avec la V-Rod, en théorie, je devrais pouvoir m’approcher des 11 secondes. En pratique, je ne réussis pas à maîtriser le bouton de changement de vitesse… Le témoin s’allume, j’appuie sur le bouton, mais rien ne se passe. Sauf que le moteur se met à toussoter parce qu’il arrive en surrégime. Alors je change les vitesses au pied et je termine avec un chrono de 16,029 secondes. Plus lent qu’avec la 883…! Je lui remet sa moto et il rit. Paul est un courtier immobilier et il court dans la classe Destroyer. Il dit qu’il est encore nerveux, qu’il rate ses départs, qu’il fait toutes sortes d’erreur, mais qu’il adore ça.

Plus tard, je l’ai vu décoller sur sa Destroyer. Il a fait un E.T. de 9,6 secondes, son record personnel, mais il a perdu la course.

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La zone rouge de la 883 est étroite – je déclenche constamment le limitateur de régime. Sur la route en me dirigeant vers Grand Bend, je me suis exercé à changer de vitesse sans l’embrayage. Facile : la transmission de la petite Harley répond bien. Je peux même rétrograder sans l’embrayage. Mais ici, j’oublie la technique et j’essaie juste de décoller décemment. Mes résultats de R/T sont constants et toujours aussi mauvais : entre 0,5 et 0,6 secondes. Mes temps sur le quart de mille aussi sont lents : 15,030 – 15,115 – 15,548.

Quelqu’un m’a expliqué que je devrais démarrer à la dernière lumière jaune. Il y a deux premières lumières jaunes en haut de l’arbre de Noël. Il n’y a pas de ligne de départ proprement dite, mais une fois qu’on est en position sur la piste, ces deux lumières s’allument. Plus bas, il y a encore d’autres lumières jaunes. Elles clignotent de façon séquentielle, puis la verte s’allume très vite après la dernière jaune. Tellement vite en fait qu’on démarre en retard. Voilà pourquoi il faut réagir quand la dernière jaune s’allume.

Mais c’est plus facile à dire qu’à faire. J’essaie de faire de la visualisation pour me conditionner à démarrer sur la jaune puis, en fin de journée, me revoilà sur la V-Rod de Paul. Jaune : départ : 0,253 secondes de R/T. J’ai amélioré mon temps de réaction de 50 %. Mais ce n’est pas encore assez…

19 juin, le matin : Je fais un R/T de 0,456 à mon premier essai, et un E.T. de 15,399 secondes. Je reprends mon travail de visualisation et j’essaie de réfléchir à ce qu’il faut améliorer. Vingt-cinq minutes plus tard, je suis de retour en piste. Je fixe la dernière lumière jaune avec une intense concentration. Plus rien n’existe autour de moi : pas de foule, pas d’autre moto sur la piste, pas même ma 883. Les jaunes de position s’allument puis, très rapidement, à l’intérieur d’une seconde peut-être, la séquence des autres jaunes descend le long de l’arbre de Noël et je décolle. Au bout de la piste, je reçois ma feuille de temps : un R/T de 0,141, mon meilleur jusqu’ici. Par contre, j’ai fait une erreur bête en tirant l’embrayage une fois parti, ce qui m’a fait perdre de la vitesse. Mon E.T. n’est donc pas très bon, mais je suis content de mon R/T. Je commence à apprivoiser l’arbre de Noël…

Aux essais suivant, je continue à m’améliorer avec des R/T de 0,096 – 0,433 (oups!) – 0,013 – 0,087. Mes E.T. demeurent à peu près stables : 15,510 – 15,324.

Mes décollages sont maintenant bons. Qu’est-ce que je pourrais faire pour améliorer mes temps de E.T.?
Je change de vitesse trois fois sur le parcours – j’ai le temps d’enclencher la quatrième avant la fin du quart de mille. Mais avant chaque changement, le limitateur de régime entre en fonction, ce qui entraîne une perte de puissance. Il faut donc que je change les vitesses un peu plus tôt. Il n’y a pas de compte-tours sur la Sportster Low, alors je vais y aller au feeling. Peut-être aussi que je n’ouvre pas l’accélérateur au maximum. Je vais tourner la poignée au fond sur la ligne de départ et la laisser collée là jusqu’au bout de la piste…

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Je jase avec un gars de Yellowknife, Jeff Pitre, qui court en classe Destroyer. Sa femme, Liz, court aussi – sur une 883 – et je veux lui poser quelques questions, savoir pourquoi elle fait du dragster. Mais je n’ai pas le temps, on m’appelle en piste.

J’ai choisi mon temps de référence (dial-in time). J’aurais aimé tomber sous le seuil des 15 secondes, mais ça ne fonctionne pas. J’ai essayé de rester concentré sur la dernière jaune, de laisser l’accélérateur collé au maximum, de changer de vitesse plus tôt. Mais c’est difficile d’améliorer plusieurs choses en même temps. Alors, soyons réaliste : je fixe mon temps de référence – le meilleur temps que je crois pouvoir atteindre – à 15,25 secondes.
À côté de moi sur la piste, il y a justement Liz sur sa 883. Nous attendons notre tour pour la première course. Elle m’explique qu’elle a fait une chute sur une Destroyer, qu’elle s’est cassée plusieurs os, et qu’elle court en 883 en attendant d’être complètement rétablie.
Lumières jaunes de position, jaunes clignotantes, départ! Je réussis un R/T de 0,068, mieux que Liz. Mon E.T. est meilleur aussi. Mais c’est elle qui gagne. J’ai fait un temps de 15,118. Trop vite. Je suis éliminé.

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À première vue, il peut sembler étrange de perdre une course parce qu’on a roulé trop vite. Mais ce mode de fonctionnement avec handicap est intéressant parce qu’il permet de faire courir les uns contre les autres 20 ou 30 machines et pilotes parfois très différents, avec des écarts de puissance de presque 100 ch.

Le choix de son temps de référence est une affaire d’estimation. Il faut évaluer de façon aussi réaliste que possible le meilleur E.T. que l’on croit pouvoir atteindre. À la ligne de départ, si votre temps de référence est plus élevé que votre concurrent, votre lumière verte s’allumera avant la sienne. Mais si vous choisissez un temps trop lent, vous risquez, dans le feu de l’action, de faire mieux, et donc de perdre votre manche. En théorie, les temps de référence égalisent les chances de tous et, comme m’ont dit d’autres participants, c’est donc surtout le temps de réaction qui détermine les gagnants. À ce chapitre, je commence à être pas mal, Mais je n’ai pas bien choisi mon temps de référence, et j’ai perdu ma course.

Heureusement, on peut se réinscrire pour 20 $… Je suis encore fatigué et il fait toujours chaud, mais je veux essayer une dernière fois. Ensuite, je m’en retourne tranquillement à la maison, promis! Ce coup-ci, je choisis un temps de référence de 15 secondes juste.
Mon voisin de piste a une moto jaune. Départ. Il me semble que mon R/T était bon et que j’ai bien roulé ensuite. Je cueille ma feuille de résultat.
Oh Oh…!
Temps de réaction : 0,087, c’est bon. E.T. de 15,14, c’est bien aussi. Et une surprise : le mot GAGNANT.
À la manche suivante, je suis seul en piste parce qu’il y a un nombre impair de participants. On m’explique que je peux profiter de l’occasion pour faire une pratique supplémentaire. E.T. de 14,99. Wow!, je viens de briser la barre des 15 secondes.
Il est 16 h. Moi qui voulais partir tôt, me voilà devenu obsédé par la compétition. Pour plus de sûreté, je change mon temps de référence pour 14,8 secondes. Puis je prends le départ contre un gars sur une Buell. Résultat : 0,96 – 14,894 – GAGNANT.
Super. Je passe à la manche suivante!

Nous ne sommes plus que quatre. Me voilà donc en demi-finale. Je vais prendre le départ contre un gars sur une V-Rod. J’ai laissé mon temps de référence à 14,8 parce que je suis convaincu que je ne peux pas faire mieux. Je veux gagner cette course. Je veux être sur la ligne tout à l’heure pour la finale. Je suis super concentré. Départ!

Temps de réaction : 0,058, c’est très bien. E.T. : 14,751 secondes. Trop vite…

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En prenant la route du retour, je me sens bien. Je n’ai pas gagné, mais je trouve que je me suis très bien tiré d’affaires pour un premier essai. En plus, j’ai réussi à abaisser mes temps à des niveaux que je croyais hors d’atteinte. Je me suis laissé prendre au jeu. Quelqu’un m’a dit qu’à partir de maintenant, je voudrais courir avec toutes nos motos d’essai sur la piste d’accélération.

La Superlow 883 ne m’emballe pas particulièrement pour le long trajet de retour que j’ai à parcourir. Il y a des choses que j’apprécie, comme l’indicateur de vitesse avec son bouton latéral qui permet de transformer l’odomètre en horloge ou en totalisateur journalier. Les repose-pieds ne sont pas trop vers l’avant. L’échappement émet un beau grondement assourdi quand on joue de l’accélérateur. Mais il n’y a pas de pare-brise et, sur l’autoroute à 130 km/h, le vent pousse fort. J’ai mal aux bras et aux mains. Sur les bosses et les cahots de la route, la suspension est rude et elle me secoue douloureusement, même avec la précharge des ressorts arrière au minimum. Les repose-pieds sont bien placés dans l’axe avant-arrière, mais ils sont beaucoup trop loin de chaque côté. En faisant un arrêt, il m’est arrivé quelques fois d’éviter une chute de justesse : je soulevais mon pied puis le remettais sur le repose-pieds sans le vouloir, au lieu de par terre.  

Cela dit, tout bien considéré, la petite Sportster demeure une moto très intéressante. Son moteur tire solidement, elle a de bons freins et une belle gueule. La selle est raisonnablement confortable et la conduite est rapide et stable. Comme pour les courses d’accélération, c’est difficile d’être parfait en tout. Pour plusieurs pilotes, la Sportster 883 Superlow sera une moto de départ. Et comme le savent tous les amateurs de dragster, pour faire une bonne course, il faut un bon départ.

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