Avec l’Internet et la télé, c’est facile de connaître les gagnants des courses du championnat de Superbike. Mais c’est à l’arrière du peloton que les choses sont vraiment intéressantes.
On vient d’interrompre ma conversation avec l’Espagnol Carlos Checa. Checa vient de gagner ses deux courses d’aujourd’hui au Miller Motorsports Park, dans l’Utah. Nous sommes au milieu de la saison et c’est lui qui mène au classement du championnat mondial de Superbike. Il y a donc beaucoup de monde qui veulent le féliciter. Après cinq minutes d’attente, je décide de partir discrètement, mais il me voit et me fait signe de rester. D’accord. Après quelques minutes, il s’excuse de m’avoir fait attendre et il reprend la conversation exactement là où il l’avait arrêtée, il y a 10 minutes. C’est la première fois qu’une chose pareille m’arrive, et ça me déstabilise. M. Checa est très précis. Et jusqu’à la présente saison, il avait aussi été très malchanceux.
Après 14 ans de compétition et plus de 200 départs en Grand Prix moto, Checa avait récolté seulement deux premières places, et aucun titre. En 2008, il a troqué le circuit des GP pour le circuit mondial de Superbike. Résultat : quelques premières places sur Honda, mais pas de chances de gagner le titre. Puis, l’an dernier, Checa a terminé troisième au classement final, sur Ducati. Il aurait pu faire mieux encore mais, justement sur cette piste, son moteur a flanché alors qu’il menait la première course, puis encore à la deuxième (il y a toujours deux courses par épreuve en Superbike mondial). C’est le genre de malchance à répétition qui peut enflammer un coureur comme Max Biaggi. Mais, sans titre de championnat dans son CV, Checa savait que c’est son comportement comme personne qui déterminerait son avenir comme compétiteur. Alors, il a gardé la tête haute, il n’a pas élevé le ton, et il a respecté ses engagements envers les commanditaires avec le sourire. Il a posé pour les photos et poliment serré des mains après la pire journée de sa carrière de coureur. À l’intérieur, il devait bouillir.
Cette année, Checa a le vent dans les voiles. C’est lui qui a gagné le plus de courses jusqu’ici et il monte presque toujours sur le podium. S’il continue sur cette lancée, il deviendra champion à l’âge vénérable de 39 ans. Au cours de notre discussion, je lui dis que, pour son propre bien, il devrait se tenir loin de son compatriote Ruben Xaus. Parce que Xaus se plante souvent. Il ne se contente pas d’échapper la roue avant et de glisser gentiment dans la zone de sécurité en gravier. Non, Xaus fait des embardées spectaculaires. Quand on passe la reprise, on se met la main devant les yeux et on regarde entre ses doigts, comme pour un film d’horreur. C’est incroyable que le corps humain puisse résister à des chutes pareilles tout en demeurant en une seule pièce.
Malgré tous ses carambolages, Xaus trouve toujours une équipe qui l’engage. L’an dernier, il était le coéquipier de Troy Corser sur BMW et ses résultats ont été très mauvais. (Pour garder sa job dans une équipe de course, le plus important, ce n’est pas de gagner des épreuves, c’est de battre son coéquipier. Et Xaus n’y est pas parvenu.) Cette année, il roule sur des Honda et c’est encore pire : son coéquipier a gagné une course, Xaus n’en a même pas terminé une… Mais j’adore Ruben Xaus. Parce qu’il essaie fort, très très très fort.
C’est facile de regarder de haut ceux qui roulent derrière les 10 premiers dans une course de moto. Mais en réalité, ce sont tous de très brillants pilotes. (Un jour, un journaliste sportif m’a invité à bien regarder les joueurs de hockey dans une séance d’entraînement de la LNH. Il voulait que je prenne conscience que même les plombiers des quatrièmes trios manipulent la rondelle avec une dextérité absolument remarquable.) Ruben Xaus a fait sensation sur Youtube il y a quelques années au guidon d’une Ducati Hypermotard. On le voit déraper en contrebraquage maximum, la roue arrière déportée de presque un mètre, avec un genou au sol, et (c’est ce qui m’achève…) le poing gauche en l’air. Comme si les lois de la physique et de la gravité avaient pris congé ce jour-là.
Mais malgré tout son talent, on dirait que Ruben Xaus ne réussit pas à rester en selle sur une moto pendant toute une course… Au circuit Miller, il a embouti Michel Fabrizio tellement fort que j’ai cru que Fabrizio était mort. Quand j’ai vu Xaus se pencher au-dessus de lui, je me suis dit qu’il devait lui demander ses dernières volontés. Mais non… Fabrizio était bien vivant. Sans doute que Xaus lui disait plutôt, dans un mélange d’espagnol et d’italien : Désolé, je suis un idiot… Mais comme Xaus est un véritable bon gars, les deux vont peut-être prendre leurs vacances ensemble cet hiver. Et ils vont se rappeler la saison dernière en faisant griller des saucisses sur le barbecue. « Hé Ruben, tu te souviens de la fois où t’as essayé de me tuer! »
Dans la vie, la mise en contexte est souvent indispensable pour comprendre les choses. Aux Olympiques, on devrait ajouter un 11e corridor pour la course des 100 m. Dans les 10 premiers, on placerait les coureurs habituels, puis on demanderait à un spectateur ou à une spectatrice raisonnablement en forme de prendre place dans ce 11e corridor. On lui fournirait des shorts, un t-shirt, des bons souliers, et il prendrait le départ. Quand les autres coureurs franchiraient le fil d’arrivée, il serait à peine rendu à la ligne des 30 m. Et on réaliserait que même le 10e coureur est un athlète de niveau extrêmement élevé.
Au circuit Miller, on voit des habitués qui prennent l’avant-scène pendant quelques minutes avant de retourner chanter avec la chorale. Nori Haga se hisse dans les premières places pendant quelques tours pour montrer qu’il connaît la musique, puis il se retire. Troy Corser grimpe en tête sur sa BMW mais il use ses pneus et il termine sa course derrière les 10 premiers. (Petit potin intéressant : l’ambiance n’est pas à son mieux au sein de l’équipe BMW. Certains disent que le cadre de la S1000RR de course est trop rigide. Quand on est en inclinaison maximale et que la suspension est écrasée, un cadre avec une certaine flexibilité peut prendre le relais pour donner un feedback sur l’interaction entre les pneus et le bitume. Sans ce feedback, les pilotes chutent et les pneus s’usent plus vite. Mais comme les Allemands sont fiers d’avoir conçu un cadre à la fois léger et très rigide, ils hésitent à ajouter volontairement un « défaut » à leur création. Ce qui fait qu’il y a désormais deux camps opposés à l’intérieur de l’équipe. Jusqu’ici, c’est le camp du cadre rigide qui l’emporte. Et les pilotes continuent à se planter…)
C’est facile d’aimer les gagnants, mais c’est sans intérêt. En portant une casquette ou un t-shirt Valentino Rossi, vous dites au monde entier que vous n’avez pas d’imagination, que vous ne voyez que l’immédiat des choses. Il y a pourtant tellement d’autres aspects à découvrir : Haga a perdu confiance en lui, Xaus n’a plus la touche pour sentir les nuances de sa machine, Leon Haslam n’a pas seulement de beaux favoris.
De retour à Salt Lake City après les courses, je lisais tranquillement le journal dans un café lorsque j’ai vu entrer le coureur James Toseland. Il vient de traverser une période difficile. Il est passé de champion en Superbike à coureur en MotoGP, puis il est revenu au Superbike et son équipe d’usine l’a renvoyé après une saison. Maintenant, il roule en BMW pour une équipe italienne. Je vais le saluer et me présente. Il a raté la deuxième course aujourd’hui. Il m’explique que c’est à cause de son poignet droit : il a été enflé toute la saison et il doit encore l’envelopper dans des bandages. En discutant avec lui dans ce café presque désert, je vois un homme d’à peine 30 ans qui doit envisager la fin de sa carrière. Dans ses yeux, je lis un mélange de détermination et d’inquiétude. Je lui souhaite du fond du coeur de retrouver la forme. Il apprécie ma sincérité, et nous nous serrons la main gauche. Je ne peux pas saisir toutes les implications de la compétition à un niveau aussi élevé que le sien, mais je peux certainement comprendre la tristesse que l’on ressent à l’idée de perdre quelque chose d’important pour soi.
Les nouvelles claques de Pirelli
Pirelli a sorti un nouveau pneu. Il s’appelle le Diablo Rosso II, et il remplace le Diablo Rosso tout court. J’aimerais bien vous entretenir de façon savante sur les aspects techniques de ce pneumatique, mais je ne peux pas. En fait, personne ne peut… Le lancement du Diablo Rosso II a eu lieu en Utah, en marge de l’épreuve de Superbike (Pirelli est l’unique fournisseur de la série). Pendant la présentation, on a senti passer un malaise dans la salle. L’ingénieure italienne parlait bien l’anglais et elle semblait extrêmement compétente, mais personne ne comprenait ses explications sur la nature moléculaire des composés utilisés… La construction des pneus est une science complexe et difficile à communiquer. C’est pourquoi les gens du marketing remplacent les explications techniques par des acronymes accrocheurs.
Selon Pirelli, le Diablo Rosso II est essentiellement un pneu de route qu’on peut aussi utiliser en piste. Pour nous en convaincre, Pirelli nous a invité, le lendemain de l’épreuve, à les essayer sur le circuit Miller. Dans la brochure, on dit que la surface de contact au sol a été augmentée de 5 %. On dit aussi que la bande de roulement centrale est en caoutchouc plus dur que les bandes latérales, afin d’obtenir à la fois une bonne durabilité et une bonne adhérence en virage. Mais moi, j’ai une façon plus simple d’évaluer les pneus : plus ils collent, plus je vais vite. Et ceux-là collent. Je les ai essayés sur des Ducati Hypermotard et Multistrada, sur une Kawasaki ZX-6, et sur une Yamaha R6 et en aucun cas, je n’ai eu peur à cause des pneus… Même quand j’ai confondu un virage à gauche avec un virage à droite, ce qui est excellent pour un pneu de route. Les Diablo Rosso II sont offerts en différents formats populaires de 17 pouces. Ce sont les pneus de série de la Ducati Diavel.