Certains modèles de moto vieillissent mal. Pas la Monster. La dernière mouture est meilleure que jamais.
Nous avons piloté la nouvelle Ducati Monster 1100 EVO sur des autoroutes. Mais, bien sûr, nous avons surtout cherché des petites routes sinueuses, comme celle qui mène à la jolie ville de Port Hope, sur les rives du lac Ontario. Car c’est seulement sur ce genre de routes que le monstre de Ducati peut s’exprimer en toute liberté.
Au premier coup d’oeil, la nouvelle Monster 1100 n’a pas l’air trop différente du modèle précédent, qui remonte à deux ans. Et il est vrai que les changements ne sont pas si nombreux, mais certains ont un impact important sur la nouvelle machine, notamment parce qu’ils touchent le confort, la puissance et les dispositifs d’aide à la sécurité.
Le moteur révisé de la 1100 s’appelle EVO (pour Evoluzione) et il donne aussi son nom au nouveau modèle, afin de le positionner clairement comme une évolution du précédent. Et c’est le cas. La Monster était déjà une très bonne moto; différents petits changements ont permis de l’améliorer encore.
Cela dit, précisons tout de suite que quelques-uns de ces changements nous ont tout de même paru peu concluants. Le nouvel embrayage à l’huile, par exemple, est supposé rendre le levier d’embrayage « super léger et facile à actionner » selon un représentant de Ducati. En réalité, il est toujours passablement ferme : on peut l’actionner à deux doigts, mais il faut y mettre de l’énergie. Dans les embouteillages, il finit par devenir fatiguant.
Le guidon est 20 mm plus haut, mais le poids du pilote demeure concentré sur les poignets. À 130 km/h, cette position de conduite est intéressante parce que le vent sur la poitrine sert d’appui pour le pilote. À basses vitesses, elle peut devenir inconfortable. La Monster est une moto légère qu’on peut balancer facilement d’un côté à l’autre dans les virages, mais nous avons tout de même senti une légère résistance aux changements de direction. Un guidon un peu plus large pourrait augmenter l’effet de levier et constituer une amélioration intéressante. La selle a été redessinée. Sa partie avant étroite permettait à notre pilote de 5 pieds 9 pouces de mettre les deux pieds bien au sol. Après une heure de conduite sur l’autoroute, par contre, le rembourrage a commencé à nous sembler trop ferme. Voilà pour les bémols.
Passons maintenant au coeur de la bête. Le moteur EVO produit 100 ch selon Ducati, ce qui en fait le premier moteur de Monster à deux soupapes à atteindre ce cap. Le gain de 5 ch par rapport au modèle précédent a été obtenu notamment grâce à une hausse du rapport volumétrique (de 10,7:1 à 11,3:1) et à différents changements à la culasse qui améliorent la circulation des gaz. La nouvelle Monster a aussi un volant moteur plus léger, semblable à celui de la 848, et des carters allégés. Le couple demeure inchangé, à 76 lb-pi. Ce nouveau moulin a du pep. Quand on tord la poignée en première à 3000 tr/min, la roue avant prend facilement la voie des airs… En fait, malgré le tirage particulièrement long typique des Ducati, on peut faire cabrer la Monster en première et en deuxième sur une simple torsion du poignet.
Le moteur s’essouffle aux environs de 8000 tr/min. Pas grave, parce qu’en changeant les rapports à 6000 tr/min, on garde le moulin en plein coeur de sa bande de puissance, et les accélérations sont vives. En sixième à 110 km/h, le moteur tourne plutôt lentement, soit à 4000 tr/min environ. Par contre, en roulant dans ces conditions sur l’autoroute, les vibrations deviennent prononcées et inconfortables – on les ressent dans le guidon, la selle et les repose-pieds. En passant en cinquième, on adoucit la conduite.
À basse vitesse – en première avec l’accélérateur au ralenti – la Monster sautille un peu, mais c’est à cause de son long tirage, et non pas d’un problème d’injection. Au contraire, le système Siemens avec corps de papillon de 45 mm, fonctionne très bien. Dès qu’on quitte le ralenti, le moteur réagit instantanément et de façon très précise aux commandes de l’accélérateur.
La Monster est munie d’un échappement deux-dans-un qui se sépare ensuite à nouveau pour laisser échapper les gaz brûlés par deux silencieux. Sur les petites routes vers Port Hope, il produisait une mélodie enivrante qui donnait le goût de rouler encore et encore. Et dans un embouteillage, sous un viaduc, on peut passer le temps en se jouant un peu de musique pour moteur Ducati, avec la délicieuse réverbération des murs de béton… La Monster produit un son masculin, riche et grave, assez fort pour qu’on l’entende, mais pas assez pour déranger les voisins. Le seul défaut du système d’échappement, c’est qu’il renvoie énormément de chaleur à la jambe lorsqu’on est à l’arrêt.
La Monster 1100 EVO est munie d’un ensemble de sécurité qui comprend les freins antiblocage et un système de contrôle de la traction. Le système de freinage ABS Bosch-Brembo fonctionne très bien. On le sent rapidement entrer en action quand on actionne le levier de frein avant (ajustable), même à basses vitesses sur pavé sec – il émet un petit son qui provient sans doute de la vibration des plaquettes de frein. Un système subtil et efficace. La roue avant est munie de deux disques de 320 mm avec étriers à quatre pistons commandés par pompe radiale. Ils fournissent un freinage très puissant mais avec une réaction initiale douce.
Le système de contrôle de la traction est ajustable en quatre paliers (le numéro choisi apparaît au tableau de bord). En position 4, le système entre en action au moindre patinage de la roue arrière. La position 1 permet plus de patinage. Techniquement, le système fonctionne en deux étapes, selon l’ampleur de l’intervention nécessaire. Dans un premier temps, l’ordinateur retarde l’allumage pour réduire la puissance appliquée à la roue arrière. Puis, si cela ne suffit pas, il réduit l’alimentation en essence, jusqu’à la couper entièrement au besoin. L’embrayage dans l’huile limite aussi les dérapages en décélération puisque les disques sont conçus pour glisser quand on rétrograde très fortement. Le fonctionnement de l’embrayage est doux et progressif.
Côté cycle, la Monster est aussi particulièrement bien pourvue. Le cadre arrière est en aluminium. Le cadre principal à treillis d’acier assure la rigidité du châssis tout en contribuant à l’esthétique caractéristique de la marque italienne. Le bras oscillant, situé du côté gauche, est en aluminium coulé – il permet de réduire le poids tout en maintenant la rigidité selon Ducati. Les nouvelles roues à 10 rayons sont en alliage d’aluminium et Ducati explique qu’elles aussi contribuent à réduire le poids. Côté suspension, on retrouve à l’avant une fourche Marzocchi de 43 mm entièrement ajustable. À l’arrière, on a opté pour un monoamortisseur Sachs avec ajustements de précharge et de rebond. Ensemble ils engendrent un roulement à la fois souple et ferme, et ils avalent avec aplomb des irrégularités de la chaussée qui déstabiliseraient d’autres machines. L’amortisseur est monté du côté gauche, loin de la chaleur du silencieux et facilement accessible pour faire des ajustements.
Visuellement, la nouvelle Monster est une moto facile à aimer. Elle est particulièrement élégante et toutes les pièces semblent s’intégrer les unes aux autres de façon naturelle. Les silencieux relevés sont parallèles à l’aluminium de la partie arrière du cadre et à la selle. Les longerons principaux du cadre en treillis sont presque perpendiculaires à la fourche : ils confèrent un look homogène, solide et sans artifices à la Monster. La peinture, en version noire ou rouge, est riche et bien lustrée. Le cadre et le moteur sont bien découpés et il y a beaucoup d’espace libre autour des principales composantes, ce qui fait qu’on distingue clairement les silencieux, la selle, la roue avant, etc. En créant ainsi des espaces visuels bien définis, c’est un peu comme si on laissait les muscles bien en évidence, et le résultat final est très réussi.
Dans la colonne des défauts, il y a l’indicateur de vitesse numérique difficile à lire – il est dommage de ne pas voir facilement à quel point on peut aller vite avec cette machine… À la lumière du jour, et surtout avec une visière teintée, l’affichage est pratiquement illisible. La visibilité du compte-tours n’est pas idéale non plus, mais elle est acceptable. On peut aussi parler de la chaleur des échappements à l’arrêt, et du levier d’embrayage qui n’est pas aussi facile actionner que ce qu’en dit Ducati.
À part ces observations, somme toute mineures, on peut dire que Ducati a visé dans le mille à bien des égards : moteur au couple abondant, sonorité enivrante du double silencieux, alimentation électronique précise, freins Brembo extrêmement efficaces, ensemble de sécurité intelligent, position de conduite raisonnablement confortable.
La Ducati Monster 1100 EVO mérite bien son suffixe. C’est une moto super agréable à conduire, une évolution particulièrement réussie d’un concept de base solide.
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En selle
Curieusement, c’est sur un petit bout de route droite que le monstre de Ducati a mis la touche de finition à son puissant travail de séduction à mon égard. Dans le but scientifique d’évaluer les vibrations en fonction du régime moteur, j’ai accéléré fermement à partir de 3000 tr/min, en première vitesse. Et voilà, je suis parti sur une roue avec un grand sourire…!
La séduction avait commencé avec le son : riche, puissant, mais assez discret pour ne pas déranger les voisins. Vint ensuite la selle ferme, plate et assez basse pour ne pas intimider les moins de six pieds. J’ai aussi aimé les freins, légers au début, puis extrêmement puissant à mesure qu’on ajoute de la pression, même avec seulement deux doigts. J’ai apprécié la réponse du système ABS.
Ce que je n’ai pas aimé, c’est la chaleur qui émane du système d’échappement après qu’on ait roulé pendant un certain temps, et la fermeté de la commande d’embrayage. Ducati affirme que l’action du nouvel embrayage en bain d’huile est nettement plus légère, mais je l’ai trouvée un peu trop ferme pour les situations où on doit débrayer fréquemment.
Mais là n’est pas le principal. Le point important, c’est qu’il y a longtemps que j’ai piloté une moto qui m’a parlé avec tant d’éloquence. Et je n’ai jamais roulé sur moto dont j’aimais autant la musique. En fait, j’ai ressenti un plaisir inattendu, viscéral, au guidon de la Monster 1100 EVO. Cette machine dégage quelque chose de puissant.
— Steve Thornton
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Un observateur non averti ne verrait sans doute pas énormément de différences entre cette nouvelle Monster et le modèle original d’il y a presque 20 ans. Toujours le même cadre en treillis caractéristique, toujours la même propulsion par bicylindre en V refroidi à l’air. Le fait que nous considérions cette 1100 EVO comme la meilleure Monster de toutes signifie que le design de base était particulièrement solide. C’est aussi une victoire pour ceux qui soutiennent qu’on obtient les meilleures résultats en raffinant graduellement un bon concept, plutôt qu’en suivant des tendances éphémères de design ou d’ingénierie.
Tous les meilleurs ingrédients Monster sont là. Le moteur produit son couple à bas régime. (On a abandonné, avec raison, les moteurs refroidis au liquide à régimes élevés. Ces engins se distinguaient aussi par leur horrible tuyauterie – ils avaient été conçus pour demeurer bien cachés derrière un carénage…) Le bras oscillant monobranche est très élégant. Les silencieux sont les plus réussis de tous. Autrement dit, après avoir essayé toutes sortes de configurations de moteurs et d’échappement (très bas, très haut, entre les deux…), la dernière Monster est juste bien.
Très bien même. Le moteur est exubérant, le guidon est juste au bon endroit et on sent une belle attention aux détails (ce qui n’est pas toujours le cas chez les italiennes). Aujourd’hui, la Monster a beaucoup plus de concurrence qu’à ses débuts dans le segment des sportives dépouillées. Elle n’affiche pas toute la haute technologie de ses rivales, mais, tout comme la Harley-Davidson Sportster, elle offre quelque chose de rare : la continuité.
— Neil Graham