Royal Enfield Bullet Classic vs Ural Patrol: Authentiques antiques

Par Moto JournalPublié le

Voici deux machines à remonter dans le temps d’une étonnante efficacité.
 
Elles ont échappé à la modernité, et c’est bien comme ça.

On peut dire de la Triumph Bonneville actuelle ou de la Moto Guzzi V7 essayée plus loin que ce sont des nouvelles motos. Même si elles reprennent le nom et le look de leurs illustres ancêtres, ce sont des machines modernes, issues en grande partie d’une technologie des années 2000. Clairement, ce n’est pas le cas de la Ural Patrol, ni de la Royal Enfield Bullet Classic 2011. Bien sûr, on leur a donné quelques caractéristiques modernes : elles ne laissent pas de flaque d’huile au sol, il n’y a pas de vis platinées à réajuster à chaque sortie, et les freins fonctionnent… Mais pour le reste, on peut dire que ce sont de vraies vieilles motos, avec de vieilles âmes.

Cela dit, chacune a sa personnalité propre et son style bien défini.

Commençons par la Ural. Nous sommes allés la chercher par une belle journée d’automne, chez Peterborough Cycle Salvage. Oui, il y a des bons gags à faire sur le fait que l’importateur de ces motos russes est aussi une « cour à scrap » pour motos et motoneiges. Mais les gars ont le sens de l’humour…

On entend beaucoup de rumeurs à propos des difficultés inhérentes à la conduite d’une moto avec sidecar. La plupart sont fausses.  Bien sûr, il faut s’habituer, mais ce n’est pas vrai que la moto va tourner subitement à gauche quand vous voulez aller à droite… Le seul avertissement ferme que les gars de Peterborough nous ont donné, c’est : « Impossible de tourner sur l’asphalte en mode deux roues motrices ». Bien sûr, nous avons immédiatement essayé. Et nous avons raté de justesse la camionnette au bout du stationnement… C’était maintenant au tour des gars de Peterborough de rigoler. Mais la leçon est apprise : en mode deux roues motrices sur l’asphalte, la machine a vraiment tendance à toujours aller en ligne droite… C’est pour ça d’ailleurs que le différentiel a été inventé.

La Ural Patrol est munie d’une transmission avec cinq vitesses d’avant, et une marche arrière. De plus, comme on l’a vu, on peut rendre motrice la roue du sidecar. Cette machine russe est une copie d’un (très) ancien modèle BMW. Le moteur est, bien sûr, un bicylindre à plat. Avec sa conception antique, sa cylindrée relativement faible (750 cc), et le poids du sidecar à traîner, on ne peut pas parler de performances enlevantes. Mais il y a des avantages. Avec les motos modernes, on peut perdre son permis uniquement en roulant dans les deux premières vitesses. Avec la Ural, ce problème n’existe pas. En plus, quand on réussit à atteindre le cap des 100 km/h, on a l’impression de rouler à 200…! Cela dit, si la Ural se débrouille bien pour rouler sagement sur l’asphalte, c’est dans les chemins de terre qu’on découvre la bête en elle…

Voici la procédure à suivre en conduite hors route : enclenchez le mode deux roues motrices, et foncez dans le tas! Plus il y a de boue, de courbes, de gravier glissant et de nids de poule, mieux c’est. En fait, l’idée c’est de rouler juste assez vite pour avoir l’impression de faire du rodéo extrême, les deux mains solidement agrippées aux cornes et le derrière de la bête qui bondit de tous les côtés. Fous rires garantis! Et n’essayez pas d’éviter les obstacles; avec ses trois roues, la machine est trop large. Au diable la finesse, droit devant!

Pour plus de plaisir encore, prenez un passager. Il ajoutera du poids dans le sidecar et vous pourrez prendre les virages à droite plus vite. En prime, vous ne risquerez pas d’attraper un torticolis chaque fois que vous vous tournerez vers lui puisqu’il sera à vos côtés; et il pourra même lire la joie (ou la terreur) dans vos yeux…!

La Ural est une moto que nous avions déjà essayée auparavant. Pas la Enfield. Personne n’était vraiment chaud à l’idée de tester un gros monocylindre de l’ancien temps, et à se faire décoller les rétines à cause des vibrations qui viennent avec… Bien sûr ces gros mono ont joué un rôle fondamental dans l’évolution du motocyclisme; ils sont en lien direct avec un passé mythique. Dites le mot Manx ou Gold Star et vous toucherez une corde sensible chez bien des motocyclistes plus âgés. Ce qui n’empêche pas que les gros mono de cette époque sont des machines à émettre des vibrations.

Mais pas la Enfield. À notre grande surprise, nous avons réalisé après quelques kilomètres que ce moteur était étonnamment agréable, sophistiqué même. (NDLR : Comme nos essayeurs venaient de descendre de la Ural quand ils ont essayé la Royal Enfield, il faut tout de même prendre leurs observations avec un grain de sel…) Elle démarre du premier coup et elle adopte un ralenti régulier et rassurant. Le levier d’embrayage est aussi facile à actionner que celui d’une Honda moderne, et les vitesses s’enclenchent proprement. Les accélérations sont franches et on peut rapidement se synchroniser à la vitesse de la circulation. En plus, tadadaam!, le frein avant est puissant, et il donne un bon feedback. Bref, nous avions des préjugés : nous aurions dû essayer cette moto bien avant.

Avec ses pneus étroits et adhérents, la Enfield se conduit presque comme une bicyclette. Elle se faufile dans la circulation urbaine avec une aisance et une précision remarquables. Le succès de cette machine s’explique notamment par l’amélioration des composantes mécaniques (boîte de vitesse, embrayage, freins). Mais on remarque aussi qu’on a apporté beaucoup d’attention à la peinture et aux détails de finition. Quand on la regarde de près, on a l’impression qu’il s’agit d’un modèle de collection miraculeusement préservé, et subtilement amélioré. Quant aux vibrations qui nous inquiétaient tellement, on peut les qualifier de tout à fait non problématiques, du moins jusqu’à 100 km/h environ. Comme pour la Ural, les vitesses à trois chiffres engendrent des vibrations plus abondantes et le plaisir de conduite s’en ressent.

À 7395 $, la Royal Enfield est une moto économique qui n’en a pas du tout l’air, au contraire. Quant à la Ural Patrol (13 795 $), elle coûte plusieurs milliers de dollars de moins que toute autre moto avec une troisième roue, que ce soit du côté des machines avec sidecar ou des nouvelles venues comme la Spyder de BRP.

La Ural dégage une aura très soviétique. On a envie de la comparer à une solide paysanne russe, prête à affronter sans broncher les hivers sibériens les plus difficiles. Elle n’a aucune frivolité et elle est très peu exigeante. Son moteur à faible rapport de compression provient d’une époque austère où l’approvisionnement en carburant était incertain. On pourrait sans doute la faire rouler au kérosène, à l’huile de patates frites ou à la graisse de poulet… Côté rangement, le sidecar est parfait pour transporter du lard, de la farine, un fusil, une réserve de carburant et quelques bouteilles de vodka. Car le fait que les choses n’aillent pas trop mal maintenant ne signifie pas qu’il en sera toujours ainsi. Les jours sombres reviendront un jour. Ainsi va l’âme russe.

Quant à la Royal Enfield Bullet Classic, même si elle est fabriquée en Inde depuis longtemps, elle est, elle aussi, très proche de ses origines. Dans son cas, c’est l’Angleterre, bien sûr. Et on devient soi-même un peu British quand on l’enfourche. On imagine qu’on roule sur des routes au revêtement bien lisse, bordées de haies centenaires, en récitant du Shakespeare avec les lèvres serrées pour ne pas avaler trop de moustiques (car bien sûr on porte un casque d’aviateur en cuir et des lunettes de natation).

Si vous êtes intéressé par une de ces motos, prenez le temps de bien vous demander ce que vous recherchez, en réalité, avant de passer voir votre gérant de banque. La Enfield est une excellente moto de ville, et elle encore plus dans son élément sur les petites routes de campagne. Là où elle est moins à l’aise, c’est sur l’autoroute. Vous devrez constamment rouler sur la voie de droite. Si vous avez de longues distances à parcourir ainsi, vous trouverez peut-être le temps long. On pourrait dire à peu près la même chose de la Ural en ce qui concerne la conduite sur l’autoroute. Mais si vous habitez au milieu de nulle part et que vous voulez une machine pour vous y emmener, parfois avec le fou rire, la russe à deux roues motrices est peut-être pour vous.

Ural ou Enfield, à vous de choisir. Dans les deux cas, vous vivrez une expérience unique. Rouler sur une moto rétro moderne qui fait semblant d’être vieille, ça peut être intéressant. Mais ça n’a rien à voir avec la sensation de rouler sur une véritable machine antique.

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