Ducati Diavel: On danse avec le diable

Par Moto JournalPublié le

En exclusivité canadienne, Neil Graham a essayé la Ducati Diavel. Dans le dialecte bolognais, diavel signifie diable. Et surprise, malgré son énorme pneu, la nouvelle Ducati est diablement efficace.

« La fonction commande la forme. » Quand mon compagnon de table et chef de projet pour la Diavel m’a lancé cette phrase, j’ai déposé mon verre de vin, je l’ai regardé dans les yeux, et j’ai souri. Puis il a ajouté : « Bon, OK, ça n’a peut-être pas été tout à fait le cas pour la Diavel… ».

Non, certainement pas pour la Diavel. Ce dicton prisé des designers décrit les projets où la fonction, l’usage d’un produit, est le facteur dominant pour toutes les décisions. En décidant d’installer un gigantesque pneu arrière de 240 mm, monté sur une jante de 8 po de largeur, il est clair que Ducati voulait d’abord créer un look.

Comment se comportera-t-elle sur la route? C’est ce que nous verrons demain sur les routes de Marbella, en Espagne, où les journalistes ont été conviés pour ce lancement. Entre-temps, je continue à discuter avec mon compagnon.

Il demeure vague sur les motivations rationnelles qui ont incité Ducati à créer la Diavel. Par contre, on sait que les ventes de sportives sont en baisse. De plus, comme l’explique Michael Uhlarik en encadré, les motocyclistes qui vieillissent sont de moins en moins attirés par les modèles supersport. Il se peut aussi que Ducati ait été encouragée par le succès de sa Multistrada (une grosse moto d’aventure) et qu’elle ait alors décidé de tenter sa chance à nouveau dans un créneau non sportif, celui des cruiser. Car il s’agit bien d’une cruiser. Avec sa selle surbaissée (770 mm/30,3 po), son énorme pneu arrière et son gros bicylindre, la Diavel ne peut pas cacher ses intentions. Bon, on peut bien l’appeler « power cruiser » ou dire, comme Ducati, qu’elle « s’apprête à redéfinir le futur », mais reste qu’un chat sera toujours un chat… Et la Diavel est une cruiser.

Certains se souviendront peut-être de l’expérience – catastrophique – de Ducati dans ce marché. La bêtes’appelait la Ducati Indiana. Pour résumer, on pourrait la décrire ainsi : look de Virago réinterprété à la sauce italienne, orgie de chrome et guidon haut… Évidemment, j’en ai parlé à mon compagnon de table. Je l’ai vu saisir nerveusement un couteau (à beurre, heureusement!), puis il a pris une grande respiration, et il m’a juré que la Diavel était complètement différente…

Ducati savait qu’elle n’avait pas le droit à l’erreur en lançant une cruiser. Pour avoir du succès en dehors de sa zone de confort habituelle – les sportives et leurs déclinaisons – Ducati doit produire des machines particulièrement réussies. Ce fut le cas pour les Multistrada actuelles (mais pas pour les modèles de première génération).

Dans le cas de la Diavel, un des grands défis consistait à créer une Ducati digne de ce nom tout en la chaussant d’un immense pneu arrière. Je n’ai jamais conduit une moto à gros pneu arrière qui soit vraiment maniable. On a toujours l’impression de transporter un baril d’huile à moitié rempli attaché sur un porte-bagage mal fixé… Vous avez beau commander la roue avant, c’est l’arrière qui décide. Un gros pneu, c’est comme une grosse roche qui déboule une montagne : pas facile à faire changer de direction…

Bref, vous aurez compris que je me méfiais. Mon compagnon de table m’a alors expliqué que, comme les gros pneus peuvent effectivement s’avérer problématiques, c’est aussi de ce côté que se trouvait la solution. Pirelli et les ingénieurs de Ducati ont donc mis au point un pneu avec une section de 240, mais monté sur une jante de 17 po (plutôt que 18 comme c’est le cas pour les autres pneus aussi larges). Selon Pirelli, cela permet de donner une courbure plus prononcée et d’alléger la conduite.

Le lendemain matin, c’était le temps de passer de la théorie à la pratique. Dès que j’ai enfourché la Diavel, j’ai senti qu’elle était passablement plus légère que ne le laisse croire son apparence massive. En effet, avec son poids à sec annoncé de 210 kg (463 lb), elle fait figure de poids plume dans la catégorie des cruiser. Une Honda Shadow, par exemple, pèse 20 kg de plus (et elle est quatre fois moins puissante…).

Avec son bicylindre en V Testastretta 11 de 1198 cc, la Diavel produit un très costaud 162 ch selon Ducati. C’est 12 ch de plus que la Multistrada, équipée du même moteur. Le gain de puissance provient d’une boîte de filtre à air plus volumineuse et, surtout, de collecteurs d’échappement plus longs et plus gros. Sur le dynamomètre, nous avions obtenu une lecture de 140 ch à la roue arrière pour la Multistrada. La Diavel ferait sans doute grimper l’aiguille à 150 ch. Quand on tord la poignée de la Diavel, on sent que la cavalerie est au poste; en entrant sur l’autoroute, il ne m’a fallu que quelques secondes pour atteindre le cap des 200 km/h.

Cela dit, il n’est pas particulièrement étonnant que Ducati ait réussi à construire une moto puissante et rapide. Par contre, la Diavel affiche un trait de caractère essentiel, mais que Ducati n’a pas toujours réussi à insuffler à ses machines : la cohésion.

J’ai une Ducati à la maison, et plusieurs des modèles produits au fil des ans par la célèbre firme italienne me plaisent beaucoup. Mais d’autres m’ont toujours semblé manquer d’unité. C’était le cas de la première Multistrada. Même chose pour la Streetfighter, pourtant très impressionnante sur papier. La Diavel, au contraire, m’a tout de suite parue homogène et raffinée. Malgré la selle basse, la position de conduite est confortable, le guidon tombe naturellement sous la main et la position des repose-pieds est adéquate pour les genoux et les hanches.

Côté suspension, la plupart des machines italiennes ont plutôt tendance à pencher nettement du côté de la fermeté. La Diavel fait exception. L’action des ressorts est relativement douce mais l’amortissement est ferme, ce qui donne une suspension très équilibrée. Elle absorbe les imperfections avec beaucoup de résilience et d’aplomb, un peu à la manière des BMW.

Un peu plus tard, notre guide Beppe a quitté l’autoroute qui longe la mer, puis il nous a emmenés vers les petites routes de montagne. Bonne idée! Car, encore plus que par la beauté des paysages, j’ai été époustouflé par le comportement de la Diavel.

Dans les virages en épingle à cheveu, comme dans les enfilades de courbes plus rapides, la grosse cruiser m’a surpris. En fait, mis à part un très léger flou dans le feedback donné par le pneu arrière, la Diavel se comportait comme une sportive. Et si j’avais effectivement eu une machine plus sportive entre les mains, je n’aurais pas conduit plus vite. Avec la Diavel, je roulais à une sorte d’intersection parfaite entre la vitesse, la sécurité et le plaisir. Pensez-y un instant : une route de montagne en Espagne, des pilotes très rapides, nous roulons sur des cruiser, et tout le monde est content… Personne ne se dit qu’il aimerait mieux être sur une supersport ou une autre machine. Nous roulons sur des Diavel avec un empattement de 1590 mm (62,6 po) et la vie est belle. Je ne m’attendais pas à cela.

Les concepteurs et les ingénieurs de Ducati se sont appliqués à fabriquer une machine étroite, capable d’atteindre un angle d’inclinaison de 41 degrés selon le fabricant. Pendant les 102 km de randonnée en montagne, je n’ai pas réussi à faire frotter les repose-pieds – ni aucune autre partie de la Diavel sur l’asphalte. Et ce n’est pas faute d’avoir essayé : à quelques reprises, j’ai attaqué une courbe un peu trop vite et j’ai dû pencher la machine jusqu’à sentir l’arrière qui commençait doucement à déraper.

Autre surprise, plus triviale, la capacité de la Diavel à faire des demi-tours ou des manoeuvres serrées sans enlever les pieds des repose-pieds. Sur les Ducati, le jeu du  guidon est souvent limité par la proximité du réservoir à essence, et on s’habitue à se cogner les pouces ou à faire une série de petites manoeuvres avant-arrière pour la déplacer. Pas avec la Diavel.

Pour créer une cruiser, Ducati a dû modifier certaines de ses façons de faire habituelles. Ainsi, pour abaisser la selle, il a fallu récupérer l’espace derrière le cylindre arrière, ce qui impliquait de déplacer l’amortisseur (il est maintenant sous le moteur). La batterie a aussi dû être relocalisée, à l’avant du moteur. Nouveau aussi, une paire de radiateurs montés latéralement avec prises d’air fonctionnelles (au-dessus, il y a deux autres prises d’air pour le moteur). Ces quatre prises donnent d’ailleurs un faciès imposant à la Diavel.

Depuis le poste de pilotage, on aperçoit un tableau de bord composé de deux écrans. Celui du haut est l’écran habituel de Ducati avec ACL (affichage à cristaux liquides) : il indique la vitesse, le régime moteur, l’heure et la température. L’autre est de type TFT (à matrice active), comme les écrans de iPod : il indique le comportement moteur sélectionné, le rapport de transmission enclenché et la distance parcourue. La visibilité de cet écran est excellente; même avec une visière teintée, en plein soleil, il demeurait parfaitement lisible (contrairement à l’ACL classique).

Pour gérer la puissance du gros bicylindre, la Diavel offre un choix de trois modes de comportement moteur. En mode Sport, toute la puissance est disponible et le système de contrôle de la traction de Ducati (DTC) est au niveau 3. En mode Tourisme, la puissance maximale demeure disponible mais elle est livrée de façon plus progressive, et le DTC est au niveau 4, donc plus actif. Finalement, le mode Ville, qu’on pourrait aussi appeler mode Pluie, limite la puissance à 100 ch, avec DTC au niveau 5.

Côté équipement, la Diavel est bien servie : freinage ABS de série (et il fonctionne bien), étriers Brembo monoblocs, suspension entièrement ajustable, embrayage à glissement limité (avec levier facile à actionner). Mais ce qui impressionne tout autant, ce sont les nombreux détails de réalisation et de finition. Par exemple, la barre de maintien (rétractable sous la selle) et les repose-pieds pour le passager sont extrêmement ingénieux. Et ce qui frappe beaucoup d’observateurs, c’est le support pour la plaque d’immatriculation fait d’un treillis d’aluminium qui reprend le concept du cadre.

Le prix de base de la Diavel est de 18 995 $. Pour ce lancement de presse, on nous avait fourni des Diavel Carbon (qui coûtent 2000 $ de plus). Les deux modèles sont identiques d’un point de vue mécanique, mais la Carbon est munie de roues Marchesini qui permettent de sauver 2,5 kg. De plus, comme son nom l’indique, ce modèle comporte différentes pièces en fibre de carbone. Au moment où vous lirez ces lignes, les modèles devraient être en montre chez les concessionnaires.

Bien sûr, on ne peut pas découvrir toutes les facettes d’une moto après seulement quelques centaines de kilomètres. Toutefois, une chose est claire d’ores et déjà : la Diavel est une motocyclette remarquable. Visuellement parlant, à vous de voir si vous aimez le style gros pneus-gros bras. Mais d’un point de vue dynamique, c’est une des machines les plus agréables à conduire que j’ai essayées depuis que je suis entré au magazine il y a six ans. Et ça c’est une surprise à laquelle je ne m’attendais pas du tout en mettant le pied sur la terre d’Espagne.

Pour visionner une vidéo du lancement de la Diavel en Espagne, visitez le http://www.cyclecanadaweb.com/multimedia/videos/hd/449/

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Un design audacieux et réussi

Pauvre Ducati. Célèbre dans le monde entier, louangée pour ses modèles légendaires, forte d’un bagage génétique peu commun, elle ne peut pas se contenter de demi-mesures. Alors quand vient le temps de sortir un nouveau modèle, les ducatistes l’attendent avec une brique pis un fanal… La première Multistrada et les ST de tourisme ont eu droit au traitement impitoyable des amateurs. Heureusement, les Monster étaient là pour garder le phare (et alimenter les ventes).

Et maintenant voici la Diavel.
De la part d’une compagnie réputée pour ses motos supersport et pour ses Monster, la Diavel peut sembler « déplacée ». En fait, quand les premières photos ont commencé à circuler dans la blogosphère, on a parlé d’hérésie, de blasphème, d’insulte à l’esprit des Ducati…! Comment la marque italienne avait-t-elle pu se résigner à poser sur une moto un pneu de 240 mm et une fourche si inclinée?

Je me suis posé la même question. Et je me suis dit que, comme la Honda VFR ou la Triumph Tiger 800, la Diavel a été pensée en fonction du plus important groupe de motocyclistes bien nantis de tous les temps : les baby-boomers. Ducati a examiné sa clientèle et elle en est venue à une conclusion inévitable : les vieux n’achètent pas de super-sportives… Pour garder dans son giron les quarantenaires qui deviennent quinquagénaires, Ducati a donc voulu créer une nouvelle machine raisonnablement confortable, mais qui garderait les grandes qualités de la marque : sexy, cool, puissante. Alors, Ducati a opté pour le segment des power cruiser.

Il y a toutes sortes de drôles de termes pour définir les segments de marché en motocyclisme. Power cruiser est un bon exemple. En fait, il s’agit d’une cruiser à laquelle on a greffé des composantes de machine sportive pour la faire paraître plus moderne. Yamaha a parti le bal avec sa Warrior il y a 10 ans en l’équipant d’une fourche inversée, de freins de R-1 et d’un cadre en aluminium, mais elle n’en demeurait pas moins une vague imitation de Harley-Davidson. La V-Max me paraît un peu plus sensée parce que plus franchement axée vers les performances.

Quant à la Diavel, force est d’admettre que son design est solide, mature et réalisé avec grand soin. Quand on la regarde, appuyée sur sa béquille latérale, elle a vraiment de la gueule. Comparée à la Warrior, et même à la V-Max, elle a l’air carrément féroce. Par rapport à la Streetfighter (de Ducati), on dirait qu’elle a gobé une bonne dose de stéroïdes. Clairement, la deuxième tentative de Ducati dans ce segment est plus réussie que la première, l’infâme Indiana.

Du point de vue d’un designer, la Diavel suit une logique intelligente, en ce sens qu’elle reprend les thèmes forts de Ducati. La silhouette globale est arquée, masculine tout en affichant une belle fluidité de l’avant vers l’arrière. Elle réutilise certains éléments de la Monster, en les réinterprétant. On remarque aussi des détails inusités et bienvenus, comme la barre de maintien rétractable, en aluminium coulé, pour le passager. Le design de la Diavel est l’oeuvre du Néerlandais Bart Janssen-Groesbeek. Nous avons étudié ensemble, puis travaillé tous les deux au design de différents modèles Yamaha chez GK Design à Amsterdam. Quand je suis entré chez GK, Bart y était depuis quelque temps déjà. Il mettait la touche finale à la BT1100 Bulldog, un roadster sophistiqué, à bicylindre en V, destiné au marché européen, segment hommes plus âgés. Si vous jetez un coup d’oeil à la Bulldog, vous y verrez l’essence de la Diavel. Chaque designer a en lui des formes et des lignes qui lui viennent plus naturellement, comme une sorte de signature visuelle reconnaissable. Bart ne fait pas exception. La silhouette de la Bulldog aura servi d’esquisse pour la Diavel.

Malheureusement, la Bulldog n’a pas connu beaucoup de succès. Les magazines l’ont comparée à des sportives dénudées plus radicales et conclu qu’elle ne faisait pas le poids. Son look demeure cependant très réussi. Et sur la Diavel, on retrouve plusieurs des touches de conception et de finition sophistiquées typiques du design de Bart : abondance d’aluminium au fini soigné, réservoir aux lignes très affirmées, phare compact, solutions novatrices et élégantes pour toutes sortes de détails. Parions cependant que Bart a dû utiliser toute son expérience et sa force de conviction pour faire accepter à la direction son idée de support de plaque d’immatriculation. Bien sûr qu’un morceau de plastique aurait pu faire l’affaire, mais le support de la Diavel est en treillis métallique, et il est d’une rare élégance. Les meilleurs design demandent du temps, des efforts et de l’argent. Et celui de la Diavel est très réussi.
Michael Uhlarik

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