Brett McCormick s’est retrouvé sans contrat pour 2010. Le (très) jeune coureur canadien a alors décidé de casser sa tirelire et de jouer le tout pour le tout.
Pour plusieurs observateurs, il était clair qu’après la saison 2008, Brett McCormick se dirigeait tout droit vers les oubliettes… En effet, c’est à ce moment que McCormick a décidé d’abandonner la puissante écurie de courses Kawasaki Canada pour aller rejoindre la petite équipe Suzuki dirigée par Pascal Picotte.
En tant que coureur, la réputation de Picotte était excellente : il fut un très bon pilote et il a notamment brillé en catégorie Superbike sur Yamaha. Comme gestionnaire, Picotte a fait beaucoup d’argent à la fin des années 1990 en réussissant l’exploit de rendre compétitives les Harley-Davidson VR1000. Mais en tant que directeur d’une équipe de course, sa feuille de route était beaucoup moins impressionnante. Et la saison 2008 ne faisait pas exception : les trois pilotes de l’équipe n’avaient obtenu que peu de succès. Alors que diable McCormick allait-il faire dans cette galère?
Brett McCormick a le sens de l’humour. Il y a quelques années, après avoir gagné une ronde à Shannonville, il a demandé à un ami d’enfiler ses cuirs de rechange et de monter avec lui à l’arrière. Les spectateurs ont eu droit à un pilote et à son clone pour le tour d’honneur autour de la piste… Un moment inédit! Le retour aux puits a été moins rigolo… Le directeur d’équipe l’a fusillé du regard, et McCormick a dû refaire un tour en solo pour la télé…
Pareilles anecdotes peuvent sembler insignifiantes, mais elles en disent beaucoup sur le tempérament du jeune pilote. McCormick écoute ses élans, c’est un intuitif. La plupart des gens n’auraient jamais songé à approcher une équipe qui vient de connaître une mauvaise saison. Mais McCormick a fait le pari que Picotte mettrait le paquet pour démontrer que son écurie était encore compétitive. De plus, en étant le seul pilote de l’équipe, il n’aurait plus à vivre dans l’ombre d’un « grand frère » plus expérimenté, comme avec Jordan Szoke chez Kawasaki.
La saison 2009 a démarré lentement. McCormick a fait quelques erreurs au début, mais il s’est mis à accumuler les podiums à mesure que la campagne avançait. Finalement, c’est Szoke qui a remporté la série, mais tout indiquait qu’il se ferait chauffer les fesses par McCormick l’année suivante. Puis la récession est venue brouiller les cartes…
Pour 2010, Jordan Szoke a reçu une offre de renouvellement de la part de Kawasaki, mais à une fraction de son salaire de 2009, et les parties ne se sont pas entendues. Quant à McCormick, il aurait pu passer chez BMW ou retourner chez Kawasaki, mais il a décidé de demeurer fidèle à Picotte et Suzuki. Sauf que Suzuki a abandonné son programme de courses entre-temps. Pourtant, Nathan Naslund de Suzuki a mis son poste en jeu pour convaincre ses patrons de changer d’idée, mais ça n’a pas marché (il est allé ensuite chez Harley-Davidson…). Bref, McCormick s’est retrouvé sans contrat pour 2010.
Jusqu’à récemment, un bon pilote canadien pouvait s’exiler au sud de la frontière pour poursuivre sa carrière. Mais la récession a été encore pire aux États-Unis, et plusieurs pilotes bien établis, dont Miguel Duhamel, se sont retrouvés sans contrat. Cela n’a pas empêché McCormick de jouer le tout pour le tout. Même s’il était pratiquement inconnu aux États-Unis, il a décidé de casser sa tirelire et de partir pour Daytona. Il a téléphoné à Picotte : les motos de l’année passée étaient prêtes à rouler. Ne restait qu’à transformer les membres de son équipe de soutien de l’an dernier en volontaires sous-payés… Le coût de l’opération : de l’ordre de 20 000 à 30 000 $. C’est beaucoup d’argent, surtout pour un adolescent sans emploi. Mais McCormick a bien fait d’écouter son instinct.
Pendant la course du Daytona 200, McCormick roulait juste à l’arrière du peloton de tête. À la télé, l’annonceur prononçait son nom avec un point d’interrogation dans la voix. Personne ne le connaissait. Mais à mesure que les tours s’accumulaient, on sentait monter le respect de l’annonceur. McCormick était en cinquième place quand il est tombé, victime d’un dérapage de la roue avant.
Que faire ensuite? Il a cassé une autre tirelire, aligné 10 000 $ et loué une machine pour la fin de semaine de course suivante, à Fontana, en Californie. McCormick a dû avoir une intuition positive particulièrement puissante ce jour-là parce que, après un mauvais début, cette fin de semaine s’est avérée déterminante.
Dans les programmes de course de l’AMA, les épreuves de Superbike ont lieu le samedi et le dimanche. Le samedi, McCormick a obtenu un résultat décevant au guidon de sa Suzuki Celtic Racing : 12e, à 48 secondes derrière le gagnant. Le dimanche, il fallait absolument faire mieux. « Sinon, expliquait McCormick, je n’avais plus qu’à plier bagage et à aller travailler chez Wal-Mart pour le restant de mes jours… » Sans doute effrayé par cette perspective, McCormick a grimpé en septième place, à 26 secondes du meneur. Beaucoup mieux, mais pas encore suffisant pour en faire un conte de fées…
Pour cela, il a fallu que, pendant cette fin de semaine, le vétéran Aaron Yates fasse une chute et qu’on apprenne qu’il ne pourrait pas courir dans les semaines à venir. L’équipe de Yates (dirigée par Michael Jordan et appuyée par l’usine Suzuki) a alors offert à McCormick de faire une course d’essai au Infineon Raceway. Ils ont ajouté que si tout allait bien, il pourrait prendre la place de Yates jusqu’à son retour. Le vent venait de tourner : son pari fou de 40 000 $ donnait enfin des résultats. « Quand Jordan m’a abordé, explique McCormick, j’ai eu le même sentiment d’exaltation que quand Kawasaki m’a engagé au Canada : je n’en revenais pas! »
McCormick a demandé à Picotte s’il accepterait de l’accompagner chez Jordan pour qu’il continue à profiter de ses grands talents de préparateur de motos de compétition. L’équipe a refusé. McCormick explique qu’aux États-Unis, la course est beaucoup plus subordonnée à toutes sortes de questions de gestion. Dans le contexte canadien, on aurait sans doute fait plus facilement une place à Picotte.
À ses débuts chez Jordan Suzuki, McCormick a obtenu des résultats moyens. Il n’arrivait pas à obtenir une machine avec laquelle il se sentait spontanément à l’aise, en contact intuitif, comme c’était le cas avec les Suzuki préparées par Picotte. Quant à son coéquipier Jake Zemke, après deux victoires en Superbike à Daytona, il a semblé perdre la cadence. Par la suite, à l’épreuve de Road America, McCormick a fini parmi les 10 premiers. À celle de Mid-Ohio, il obtenait une septième et une cinquième place. Le plus difficile était de se rapprocher du groupe de tête. Par exemple, dans la course du Mid-Ohio, les quatre meneurs étaient séparés par seulement trois secondes, et McCormick suivait 16 secondes plus tard. Bons résultats aussi dans les épreuves suivantes, notamment à Laguna Seca (huitième) et à Virginia (sixième et quatrième).
Puis, un grand pas en avant. Au New Jersey, McCormick roulait en cinquième place, mais à seulement sept secondes du gagnant. La saison s’est terminée un peu plus tard et Jake Zemke empochait le troisième rang au classement final. Mais Jordan ne lui a pas offert de renouveler son contrat. Qu’arriverait-il à McCormick, surtout qu’on savait maintenant qu’Aaron Yates ne pourrait probablement pas revenir à la compétition?
J’ai demandé à McCormick de commenter ses chutes de cette année puisqu’il n’a pas la réputation de dépasser les limites inutilement. « C’était à cause de problèmes d’ajustement des motos, explique-t-il. Les gens sous-estiment le grand talent dont faisait preuve Aaron Yates. Quand une moto n’est pas bien préparée, on a beau forcer, on n’est jamais dans les temps. Moi, je le sens très vite : après deux virages, je sais si je vais être rapide ou lent. »
Lors des pourparlers de fin de saison avec Jordan, il a été question d’inscrire une troisième moto. McCormick a compris : « Ils veulent des victoires et ils ne croient pas que je peux leur en donner ». Le jeune homme a aussi réalisé que la course au succès n’a pas que des avantages. « J’ai 19 ans et je veux que la course soit un plaisir. J’ai presque été content que Jordan ne m’offre pas de contrat. »
McCormick a développé une position de conduite très basse avec les coudes qui frottent presque au sol en virage. Les gens de chez Jordan disaient que ce style de conduite déstabilisait la moto et ils ont voulu lui faire adopter une position plus redressée. « Avec Pascal, quand je quittais les puits pour les tours de qualification, il me donnait une tape sur l’épaule et il me disait GO! Chez Jordan, ils me répétaient de surveiller ma position de conduite… » Il était temps de partir.
Grâce à ses liens avec les gens de Pirelli (fournisseurs des pneus pour la série canadienne et grands admirateurs du jeune coureur), McCormick a obtenu un ticket pour un essai en Superbike mondial. DFX, qui préparait une Ducati pour Lorenzo Lanzi l’an dernier et une Aprilia pour Noriyuki Haga cette année, a permis à McCormick de rouler sur la Ducati de Lanzi. « J’ai eu un très bon feeling, explique McCormick. Pour me familiariser avec le circuit, je suis sorti même s’il pleuvait. J’étais le seul pilote en piste et dans le grand droit devant les puits, tout le monde avait la tête au-dessus du mur pour me regarder passer… » Plus tard, sur piste sèche, McCormick s’est lancé à la poursuite de Haga. « Et je m’approchais de plus en plus… » ajoute-t-il avec entrain.
Il fut un temps où les coureurs motocyclistes faisaient de l’argent. Maintenant, ils doivent souvent payer pour courir, surtout les jeunes qui n’ont pas fait leurs preuves. Le principe théorique étant, grosso modo : participez aux dépenses pour devenir populaire, puis les commandites pour les cuirs, les bottes et les casques vous feront faire de l’argent ensuite… McCormick a présenté son CV à différentes équipes de Superbike britannique mais, sans argent à investir, impossible d’être engagé.
En décembre dernier, la rumeur disait que McCormick était en pourparlers avec Kawasaki et BMW pour le championnat canadien de cet été. Juste avant de mettre sous presse, McCormick nous a appelés pour confirmer qu’il avait signé avec BMW. Il dit avoir opté pour la marque bavaroise à cause de son implication sérieuse en compétition. De plus, BMW Canada a des liens solides avec les équipes de Superbike anglaise et italienne. Et on ne sait jamais quand une occasion se présentera à la suite d’une blessure ou d’un imprévu.
Le seul désavantage de ce contrat, c’est que la course risque d’entrer en conflit avec l’emploi de McCormick comme préposé à l’accueil au Boston Pizza de Saskatoon… « Moi qui espérais être promu serveur bientôt! »
Cutlines:
Malgré les longues discussions et les nombreux outils technologiques, McCormick n’a jamais été parfaitement à l’aise avec les motos de Jordan. C’est pourquoi il disait qu’on sous-estimait grandement le talent d’Aaron Yates (ci-dessous).
McCormick apprend vite. On le voit ci-dessous avec un technicien qui lui donne un cours accéléré sur les particularités des Ducati. En peu de temps, McCormick s’est senti très à l’aise sur la belle italienne (ci-dessus).
McCormick roulera en BMW lors du championnat de Superbike Parts Canada. Ses entraînements exigeants ne serviront plus seulement à être l’employé de Boston Pizza le plus en forme de Saskatoon!