Si elles se ressemblent tant, comment peuvent-elles être si différentes?
Il serait plus facile de comparer un rotoculteur avec une moto sportive que de mettre en balance deux ou trois motos qui – du moins en apparence – se ressemblent tant. Est-ce que ces trois gros cruisers tous dotés d’un V-twin à angle étroit, de sacoches rigides et d’un pare-brise peuvent vraiment afficher leur propre personnalité? Ou est-ce comme comparer la Bud Lite, la Coors Lite et la Miller Lite : seul le nom diffère?
Chaque fabricant avancera certainement que le réservoir profilé ou les ailes finement ouvragées placent leur moto en tête de liste de sa catégorie. Mais faire parler un manufacturier de sa machine, c’est comme demander au voisin si ses enfants ont des défauts! Le commun des mortels sans parti-pris est plus objectif. Et ce que nous avons observé en effectuant cette comparaison, ce sont trois montures qui puisent profondément dans le panthéon des motos américaines. Nous avons failli écrire ici « Harley-Davidson » au lieu de « motos américaines », mais Neil Graham, en enfourchant la Kawasaki, a souri en disant que la position de conduite lui rappelait la Indian Chief 1947 de son père. Et en effet, la position avancée de la selle de la Kawasaki reprend l’agencement « le derrière sur le réservoir » des Harley Panhead et Indian d’après-guerre. Cette position avait perdu la cote depuis quelques années, les selles ayant plutôt tendance à migrer vers l’arrière et le bas, à la demande des consommateurs désirant des selles plus basses.
Le perchoir avancé de la Kawasaki, comme de fait, lui confère la selle la plus élevée et une position de conduite qui semble un peu serrée pour les personnes de grande taille. C’est là une contradiction, car l’intimité de la selle au guidon, au pare-brise, aux repose-pieds et aux pédales convient mieux aux personnes plus petites. Mais ces dernières ont des jambes plus courtes, alors que la selle est la plus haute de ces trois modèles. Perplexité. Un avantage certain, par contre, est que cette position avancée rend le pare-brise plus efficace. Les pare-brises traditionnels comme ceux des motos de police ne gèrent pas mieux le flux d’air qu’un panneau de contreplaqué vissé au guidon, mais en étant si près du pare-brise, on réduit grandement le problème courant de turbulence, même à 120 km/h.
La Yamaha Stratoliner et la Victory Cross Country sont certainement des interprétations plus modernes du touring cruiser. Pour autant qu’on puisse ici employer le mot « moderne ». Tandis que le pare-brise traditionnel de la Kawasaki remonte aux Américaines du milieu du siècle dernier, pas d’ambiguïté ici avec le carénage de la Victory et de la Yamaha : c’est sans conteste le style classique Harley-Davidson. Et la Victory n’emprunte pas que l’aspect du carénage Harley. En filant à vitesse d’autoroute pour la première fois, tous nos pilotes d’essai ont ressenti la même chose : beaucoup de turbulences sur le casque. Nous avions également vu cela sur la version Harley du carénage en aile de chauve-souris raccourcie – la H-D et la Victory ont toutes deux un pare-brise trop court pour être efficace. Et la grandeur du pilote n’y change rien, car nos essayeurs mesuraient entre 5,9 pieds et six pieds. Malgré la similarité de son carénage, les turbulences sur la Yamaha sont moins présentes que sur la Victory.
Avec une position de conduite comparable – selle basse, large guidon, marchepieds avancés –, la Yamaha et la Victory offrent un vaste cockpit qui a semblé un peu trop spacieux à notre pilote le plus petit. La Yamaha, surtout, ne lui a pas permis de placer ses pieds fermement à plat et ses poignées étaient trop éloignées. Par contre, les longs marchepieds effilés de la Victory l’accommodaient mieux, permettant plusieurs positions des pieds, de même que la courbure du guidon.
Neil Graham a presque perdu connaissance lors d’un lancement de presse de la Victory quand le présentateur a essayé de l’assommer avec des graphiques PowerPoint très poussés prouvant que les sacoches rigides et le pare-brise de ce cruiser étaient l’espoir de l’humanité (il a peut-être mentionné que ce segment de marché est en croissance, mais le souvenir de Graham de cet événement est assez faible). Cette popularité se comprend facilement. Les petits couples d’amoureux ont besoin d’un espace pour ranger le fondant au chocolat et le pot-pourri lors de leurs excursions de fin de semaine, et les sacs à dos ne correspondent pas au luxe auquel ils sont habitués. Après les avoir tous essayés, nous avons collectivement décidé que ces coffres devraient être articulés sur le dessus au lieu de sur le côté, comme c’est la norme sur la plupart des sport touring. Nous ne nous sommes jamais pincé un doigt ni n’avons perdu le contenu de la sacoche, ce que nous ne pouvons affirmer pour les sacoches de ces motos que nous avons conduites lors de notre plus récent tour automnal.
En se forgeant une impression seulement en lisant les caractéristiques (nous savons que vous êtes beaucoup plus raffiné que ça), on pourrait croire que du point de vue sportif, le moteur Kawasaki ACT refroidi au liquide serait le plus athlétique, suivi du Victory ACT refroidi à l’air et plus loin par le moulin Yamaha à tige refroidi à l’air. Mais il n’en est rien. Pour mieux vous figurer, inversez cette liste. Les tiges de la Yamaha sont le reflet mécanique de l’apparence rétro de cette monture, mais son énorme cylindrée (1 854 cc) et sa culasse à quatre soupapes lui confèrent le tempérament le plus fougueux – la Stratoliner a été la terreur de la piste, peu importe le pilote.
Bien qu’elle n’égale pas l’exubérance de la Yamaha, la Victory respire le raffinement. Et on ne parle pas ici de la sorte de fadeur trop technologique qui peut saper une moto de tout intérêt. Non, la Victory est comme une Mercedes à bicylindre en V sur deux roues. Ses commandes sont légères (du moins pour une machine gigantesque) et on a envie de la conduire toujours plus vite – n’eût été de ces turbulences dues au pare-brise, bien sûr). Comme c’est particulier que la Kawasaki soit la plus calme des trois! D’accord que sa cylindrée est la plus petite, mais à 1 700 cc, elle ne concède tout de même pas beaucoup à ses rivales.
La Victory est la plus sérieuse du trio. Les caractéristiques raffinées de son moteur, ses suspensions perfectionnées et son assise confortable en font, plus que les autres, davantage un cruiser traditionnel qu’un soi-disant « cruiser de tourisme ». Pas surprenant puisque la Cross Country descend directement de la farfelue Vision de tourisme tout équipée. En effet, lors du Tour automnal 2009, nous avons essayé une Vision et avons été aussi impressionnés par son agilité à se faire bousculer dans les virages serrés que par son talent à nous protéger du froid grâce à son carénage efficace. Si le style de la Victory ne vous semble pas évident, la Cross Country exaucera vos vœux, sinon vos exigences dynamiques : cette machine demanderait un pare-brise plus haut.
Nous sommes d’accord (dans la mesure où nous soyons parfois d’accord) pour dire que la Kawasaki est la plus indiquée des trois pour rouler sur les routes secondaires avec un casque sans visière et un cure-dents sur le bord des lèvres. Le cure-dents est important. Elle est parfaitement capable de filer sur l’autoroute, mais cette position de conduite favorise une attitude décontractée. Son style et son agilité en virage en font la moto idéale pour voir et être vu. Et la Victory? Elle cherche encore une feuille de plexiglas.
En selle :
Avant de les avoir essayées, j’aurais douté qu’elles affichent des différences certaines. Ce sont toutes des cruisers, elles sont conçues pour le tourisme, elles ont de costauds byclindres en V, alors quelle divergence peut-il bien y avoir?
En général, pas beaucoup. Mais quand on conduit une grosse moto sur une autoroute dense, les petites différences comptent.
J’ai préféré la Kawasaki. Elle me va comme une bonne vieille robe de chambre, ajustée là où il faut, lâche ailleurs. Toutefois, elle manque de caractère; à la torsion de la poignée des gaz, elle avance jusqu’à un certain point, comme une file d’attente au théâtre lorsqu’ils ouvrent les portes.
Parmi les choses que j’ai appréciées, je cite le pare-brise qui protège bien du vent, les marchepieds au bon angle pour moi, le guidon qui vient à ma rencontre. Même la selle arrière est confortable; lorsqu’on m’a annoncé que j’occuperais le deuxième siège pour un tour, j’ai presque quêté la Kawasaki; c’est clairement celle qui accueille le mieux son passager.
La Yamaha ne m’a pas déplu, mais son style Art déco et son large guidon ne m’ont pas conquis. Mes pieds ne reposaient pas à l’aise sur les marchepieds, et les turbulences autour du casque à cause du pare-brise très bas devenaient inconfortables sur l’autoroute.
J’ai apprécié le moteur et la maniabilité de la Victory Cross Country, ainsi que son guidon bas et confortable. Mais ma tête était tellement secouée sur l’autoroute que je qualifierais cette moto « d’inconduisible ». Par moments, je ne voyais plus rien.
Greffez le moteur de la Victory ou de la Yamaha sur la Kawasaki, et le résultat sera très bon. Mais comme telle, étant donné les évidentes pénalités de performance qui affectent les motos de cette taille, je choisirais la Kawasaki. Quand je voudrai aller plus vite, je prendrai le train.
-Steve Thornton
Dès que le marchepied de la Kawasaki a touché le sol dans un virage léger, je savais que j’étais sur une Vulcan. Et au moment où des piétons horrifiés tournaient la tête vers la source de ce grondement, je me suis rappelé qu’il y a dix ans, j’avais traversé le nord de l’État de New York à la recherche d’un motel, ma petite amie frissonnante sur la selle arrière, et moi maudissant les marchepieds chaque fois qu’ils raclaient l’asphalte à la moindre inclinaison.
Je montais à l’époque une Vulcan Drifter 1500 et, même si je me suis séparé depuis longtemps de cette malheureuse compagne de route et que je suis à présent sur un membre complètement différent de la famille Kawasaki Vulcan, une chose n’a pas changé : la garde au sol de la Vulcan est toujours aussi limitée et laisser des rognures de métal dans son sillage sur une route sinueuse est resté la norme.
Bien que ces trois machines permettent aux conducteurs de moins de six pieds d’appuyer solidement leurs pieds au sol à l’arrêt, ceux qui ont les jambes plus courtes préféreront sans doute la selle très basse de la Yamaha ou de la Victory. Ce qui me plaît bien est le fait qu’avec une garde au sol plus généreuse que la Vulcan, la Stratoliner et la Cross Country me laissent rouler confortablement à un angle certain, et c’est pour moi un facteur important sur une moto.
-Derreck Roemer
Plusieurs choses m’intriguent. Entre autres, je ne comprends pas pourquoi ma fille m’appelle Madame quand elle joue! Je lui demande de m’appeler Monsieur : en roulant des yeux, elle répond que je n’ai pas à poser cette question. Et maintenant, j’ajouterai un mystère de plus à la liste : la Victory ou plutôt, pour être précis, son pare-brise. Tous nos essayeurs ont expérimenté de sévères turbulences au niveau de la tête. Victory a eu le courage de suivre sa propre route et de se distinguer de Harley-Davidson, mais je me demande pourquoi ils ont reproduit le style et les désavantages du carénage de Harley.
Ce problème s’ignore difficilement, mais si on y parvient, on trouve que la Victory est une excellente moto, qui pourrait ébranler les fidèles de Harley – si du moins on peut les dévisser de la selle de leur monture actuelle.
Le problème avec ce genre de test, c’est qu’on a tendance à faire comme Steve Thornton dans son commentaire : combiner les avantages de chacune dans une moto imaginaire. Pour ma part, je prendrais le moteur et le style de la Yamaha, et j’installerais la selle de la Kawasaki juste derrière le compteur de vitesse. De la Victory j’emprunterais une dose de raffinement (je n’ai jamais assez de raffinement) et j’obtiendrais la machine fictive idéale. Mais la réalité ne fonctionne pas ainsi. Considérant ces trois machines telles quelles, je prendrais la Yamaha suivie de près par la Victory et la Kawasaki (mais changez le pare-brise de la Victory et je vais repenser mon classement – oups, n’ai-je pas dit que je ne jouerais pas à ça?).
-Neil Graham