La grande polyvalence de la R1200GS de BWM est un fait unanimement reconnu. Mais même le constructeur bavarois savait qu’il lui manquait juste un petit quelque chose.
N’oppose aucune résistance. C’est ce qui résume en gros ce que j’ai appris de la conduite hors route. Et c’est une approche qui fonctionne bien habituellement. Et tout ce que je peux espérer, c’est que ça fonctionne maintenant. De retour à l’hôtel, on nous donna une séance d’information sur les plus importants obstacles que nous aurions à affronter dans les sentiers en pilotant la R1200GS de BMW, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du parc national Yosemite en Californie. Nos guides touristiques ne voulaient que notre bien en s’assurant que nous étions fin prêts à faire face à ce qui nous attendait. Mais tout ce qu’ils réussirent à faire fut de m’effrayer!
Il arrive un point où la préparation devient de la surpréparation. Être trop préparé, c’est comme trop penser : cela court-circuite notre capacité à nous fier à notre propre instinct. Quand, il y a quelques saisons de cela, un chevreuil avait bondi du fossé devant moi, j’avais instinctivement écrasé les freins et contrebraqué en frappant le cou de la bête aussi calmement qu’un défenseur faisant une mise en échec avec la hanche. Ce n’est que quelques minutes plus tard que mes jambes étaient devenues molles comme une chiffe et que j’avais dû réprimer mon envie de sangloter.
Sur fond d’éclairage tamisé dans la salle de conférence où nous étions réunis, les guides touristiques nous montrèrent des photos de la route qui avaient été prises la veille de notre arrivée. Les sentiers étroits étaient parsemés de flaques d’eau qui semblaient suffisamment profondes pour dissimuler un plongeur du Club Sierra et son couteau à filet de 23 centimètres. Mes yeux se posèrent sur ceux de l’homme assis à mes côtés et nous grimaçâmes simultanément.
En dépit des prévisions météorologiques défavorables, tel qu’en témoignait le temps froid et humide le matin de notre essai, rien ne tomba du ciel. Les quarante BMW se réchauffant dans l’allée crachaient de la vapeur par leurs silencieux, telles des bouilloires. Apaisé par le tableau idyllique qu’offrait la beauté de la nature environnante et me réjouissant à l’idée de la balade à venir, j’en avais complètement oublié le montage photographique présentant des marais boueux et des falaises escarpées, et une prévision d’averse de neige.
Trente minutes plus tard, j’étais en train de négocier un virage dans le sentier, abasourdi par la lumière qui perçait entre les arbres, la largeur de la flaque d’eau devant moi et ma mémoire peu fiable. J’accélérai au passage de la flaque d’eau, manquant de peu de tomber de l’autre côté, en faisant preuve d’une trop grande confiance. Je peux y arriver, marmonnai-je dans mon casque. Presque tout le mérite revient à la moto que je pilotais.
Quand j’ai été embauché par Moto Journal à l’été 2004, c’était la R1200GS qui faisait l’objet d’un essai à long terme cette saison-là. Ma naïveté due à mon manque d’expérience sur des motos modernes m’avait porté à croire que toutes les nouvelles motos étaient aussi bonnes que ce modèle. Avec le temps, j’ai appris que j’avais tort, et que peu de motos excellaient autant que la grosse GS, un fait qui n’a pas changé depuis les six dernières années.
Bien que la GS soit effectivement une moto révisée, elle n’a pas subi de refonte en profondeur. Le principal changement pour 2010 est l’utilisation de deux arbres à cames en tête au lieu d’une seule came par cylindre opposé. Cette technologie est reprise de la supersportive et super dispendieuse HP2 Sport. Le défi que pose l’insertion de doubles cames dans le moulin boxer est un problème d’intégration. Les ingénieurs n’ont pas voulu compromettre l’angle optimal des soupapes uniquement pour pouvoir insérer les pièces des doubles cames. La solution fut d’adopter l’approche inhabituelle de prévoir un orifice d’admission et un orifice d’échappement par arbre à cames (plutôt que de recourir à la pratique habituelle qui consiste à utiliser des cames d’admission et d’échappement spécialement conçues à cet effet). Mais contrairement à la HP2 Sport à doubles bougies, le moulin boxer recalibré s’accommode d’une seule bougie par cylindre. La puissance attribuée a gagné cinq chevaux pour passer à 110 chevaux, le couple a été rehaussé de trois lb-pi pour s’établir à 88 lb-pi et le régime maximal s’est accru de 500 tr/min pour atteindre 7 750 tr/min.
C’est le chroniqueur David Booth, qui a piloté la nouvelle GS au Maroc pour les besoins de l’article se rattachant à cet essai, qui résume le mieux les améliorations apportées quand il mentionne que le nouveau moteur est plus « enthousiaste » que l’ancien. C’est une mesure qui est difficilement quantifiable, mais si le moteur de la GS n’a jamais été à court de puissance, sa sonorité a toujours été dépourvue d’un certain charme guttural. On a tendance à penser que les bicylindres, qu’ils soient américains, italiens ou entre les deux, figurent parmi les moteurs les plus expressifs, mais le boxer, en dépit (ou en raison) de sa complexité, produisait le même son qu’une pompe de puisard sous l’effet d’une contrainte. Le dossier de presse de BMW met l’accent sur le couple accru sur l’étendue de la plage des régimes, mais ce n’est pas ça non plus. Non, les qualités du nouveau moteur peuvent se résumer en un seul mot : sa volonté. Au lieu de faire un changement de rapport anticipé en tentant d’atteindre la vitesse de croisière, on ressent désormais l’envie irrépressible (en partie en raison d’une soupape d’échappement à commande électronique) de le laisser grimper les tours juste pour l’entendre chanter. La différence n’est pas énorme, mais la légère lacune du moteur semble avoir été comblée.
Après le dîner, je devais échanger ma monture contre une GS Adventure, mais pour le reste de la matinée, je conservai la GS standard. Tous les essais jamais écrits dans l’ensemble des revues qui ont fait l’essai de la R1200GS ont fait l’éloge de ses prouesses sur route et sur sa mystérieuse habileté à camoufler sa corpulence hors route. Et autant j’aimerais pouvoir vous dire quelque chose qui n’a jamais été dit ou contredire un point de vue établi, je ne peux pas, parce que la moto est réellement aussi excellente que tout le monde l’affirme. Vous voulez un exemple? En raison du temps considérable passé en conduite hors route au cours de ce lancement, les pneus sportifs double usage habituellement posés ont été remplacés par des pneus à crampons plus incisifs. Au bout de quelques minutes à tenter de chercher en vain les limites de la traction des pneus sur la chaussée, le type devant moi dépassa soudainement en trombe un pilote plus lent, et moi, toujours influençable malgré mon âge, je rétrogradai d’un rapport et partis à ses trousses presque au même rythme où j’aurais roulé sur une chaussée sèche avec des pneus mieux adaptés à une routière sportive.
Sur terre battue, la GS est tout aussi stupéfiante – pour autant que vous ne veniez pas tout juste de descendre d’une moto enduro à cylindre unique d’un demi-litre. Contrairement à la plupart des grosses tout-terrain, la GS ne donne pas l’impression que son poids est déporté vers le haut, son centre de gravité semblant plutôt être abaissé (ce qui s’explique sans doute par les cylindres qui dépassent sur les côtés). Qu’il s’agisse de sauter par-dessus les racines des arbres ou de rouler dans des sentiers recouverts de boue rouge à hauteur des chevilles, la GS s’en acquittera aisément. Son gabarit imposant ne devient apparent qu’au moment de freiner à vitesse de croisière sur des surfaces inégales. En atteignant le sommet d’une colline, j’aperçus un groupe de pilotes attroupés tout au bas, ce qui me contraignit à appliquer les freins avec force. La GS demeura remarquablement stable pendant que j’écrasais la pédale de frein et que j’appuyais sur le levier, mais comparativement à une svelte enduro 450, elle poursuivit sur sa lancée, tel un navire de croisière. Je réussis à m’arrêter à temps, mais ce fut tout juste.
Nos motos d’essai étaient équipées du réglage électronique des suspensions (Electronic Suspension Adjustment ou ESA) et de l’ABS, ce qui fait grimper le prix de la R1200GS à 21 150 $, et ce, avant même que vous ne succombiez aux valises brillantes en acier inoxydable. Le prix de base est de 17 650 $. L’ABS est inclus dans la trousse de sécurité de 1 900 $, et le réglage des suspensions sur route se décline en modes Confort, Normal et Sport et permet l’ajustement de la précontrainte du ressort en fonction de la présence ou de l’absence d’un passager et de bagages. Quant aux réglages hors route, ils se déclinent en modes Souple, Normal et Rigide. Ceux qui n’ont jamais piloté une moto dotée du réglage électronique des suspensions sont les seuls qui continuent de débattre de son mérite. Je comprends la frustration que son prix peut causer ou la crainte qu’elle se détraque dès l’expiration de la garantie, mais ses performances transforment une moto.
Après avoir troqué ma monture contre une R1200GS Adventure après le dîner, le temps se détériora; le ciel ensoleillé fit place à des nuages bas et à une chute soudaine de la température. En enfourchant l’Adventure, j’eus l’impression de me trouver sur la partie supérieure d’une balançoire à bascule. Avec une hauteur de 910 mm (près de 36 pouces), la selle de l’Adventure accuse 40 mm de plus que celle de la R1200GS. Si on combine la hauteur de la selle au poids tous pleins faits de 27 kilos (60 lb) supplémentaires de l’Adventure (en partie attribuables à la capacité additionnelle de 13 litres du réservoir d’essence), elle devient presque intimidante.
Bien que l’Adventure ait certainement l’air aventureuse, une partie de l’après-midi est consacrée à parcourir Bull Creek Road, dont le nom confère au sentier poussiéreux à flanc de montagne une aura de permanence qui lui fait cruellement défaut. Sachant qu’un faux mouvement me précipitera dans le fond de la vallée dans le temps qu’il faut pour éternuer, je regrette amèrement le poids additionnel de l’Adventure, qui est fortement apparent. (Le débattement de ses suspensions est également accru de 2,5 cm tant à l’avant qu’à l’arrière.) Si je n’avais pas été tant préoccupé par mon instinct de survie, j’aurais pu regretter son prix. Se détaillant 24 100 $ avec les trousses en option respectives qui la dotent de l’ABS et de l’ESA (son prix de base est de 20 300 $), c’est une moto dont le prix et le poids sont considérables par rapport à ceux du modèle GS de base, mais sans les avantages évidents, à l’exception des jantes à rayons à l’épreuve des roches et du colossal réservoir d’essence. Elle affiche toutefois le meilleur style « la fin du monde est proche » de toute l’industrie de la moto.
Le lancement qui avait commencé sous un ciel bleu et ensoleillé se termina devant un verre de scotch avec club soda dès que la neige se mit à tomber. Mais finir la journée dans un bar du pavillon Ahwanee me fournit le cadre idéal pour faire le point sur la journée. Le journaliste assis à côté de moi affirma que 80 pour cent des propriétaires de customs mettraient le feu à leur monture actuelle après n’avoir enfourché qu’une seule fois une GS. En essayant de m’imaginer des customs enflammées empilées jusqu’au ciel, je lui demandai de m’expliquer pourquoi, dans ce cas, si l’Amérique est le pays des VUS, ses concitoyens n’ont pas réservé un accueil plus favorable à la GS. Il me répondit que rien n’a du sens dans son pays. Nous regardons alors par la fenêtre la neige qui tombe doucement. Je lève mon verre en faisant un geste vers la fenêtre. « Ça a du sens pour moi », lui dis-je. « D’accord », me répond-il après une longue pause. « Tu m’as eu. Mais je suis sérieux quand je disais que je voulais mettre le feu à ces customs. »