Virée au Maroc: Privilège présidentiel

Par Moto JournalPublié le

Quand le président de BMW vous invite à faire une visite guidée du Maroc, vous acceptez d’abord puis posez des questions après. Et comme l’a découvert David Booth, il vaut mieux parfois ignorer dans quoi on s’est engagé.

Vous savez que vous êtes dans la merde jusqu’au cou quand, avant votre départ en moto, un médecin prend des photos de tout le monde. « Ainsi, je saurai quel membre appartient à qui », nous dit d’un ton sardonique le charcutier Axel Thiäner, un chirurgien traumatologue de Munich qui nous accompagne dans notre petite balade. Le fait que notre médecin de service se payait notre tête avec son humour germanique était une mince consolation. Nous avions vu sa pharmacie mobile, qui contenait tous les instruments nécessaires pour faire un remplacement de la hanche sur la route (et quelques comprimés de Propofol, le somnifère de prédilection de Michael Jackson, au cas où nous aurions de la difficulté à nous endormir).

Attendez une minute. Un médecin? De la chirurgie traumatologique? Est-ce que quelqu’un pourrait bien m’expliquer pour quelle raison j’aurais besoin de quelque soin médical que ce soit? Non, mais qu’est-ce que c’est ça?

Ce que c’est? Rien de moins qu’une excursion de 1 000 km hors route (pour la majeure partie) en plein cœur du Maroc. Nous devions quitter la civilité relative de Marrakech pour traverser l’un des endroits les plus escarpés au monde : les fameuses montagnes de l’Atlas et du Jebel Saghro ainsi que les Gorges du Dadès. Aussi dangereuse que cette excursion puisse être, ce médecin n’était pas là pour nous. Non, le médecin « je-me-sens-bien » (Thiäner administre un puissant relaxant musculaire, comme j’ai pu le découvrir après une chute le premier jour) nous accompagnait uniquement parce que Hendrik von Kuenheim, le président de la division Motorrad de BMW, était là. Les journalistes peuvent bien croire qu’ils sont des personnes très importantes, mais il n’y avait qu’un seul homme qui comptait réellement au cours de ce périple. Autrement dit, si nous perdions tous nos membres simultanément, je savais qui le médecin sauverait en premier…

L’attrait de cette escapade résidait dans le fait que von Kuenheim avait déjà été le président-directeur général de BMW Canada, et qu’il se joignait fréquemment à des lancements de presse quand son horaire le lui permettait. Au cours des années suivantes, nous (Jeremy Cato, du Globe and Mail, Michael Vaughn, animateur d’un programme télévisé sur les voitures et les affaires, et moi-même) n’avons pas cessé de le harceler pour qu’il roule de nouveau avec nous. Depuis que von Kuenheim est devenu le directeur général de la division moto de BMW, nos requêtes (ou plutôt, nos jérémiades) sont devenues plus persistantes. Puisqu’il est l’homme responsable de la logistique, ou du moins l’homme responsable de la personne responsable de la logistique, je ne peux que présumer que le centre du Maroc a exercé un attrait sur lui.

Pour ma part, je suis prêt à rouler n’importe où, mais n’ayant pas piloté quoi que ce soit chaussé de pneus à crampons depuis plus de cinq ans, j’éprouvais une vive appréhension, qui s’est muée en une vague inquiétude puis s’est transformée en un sentiment de panique absolue à la seule pensée d’essayer de manœuvrer une R1200GS de 225 kg dans du sable profond. Étant de nature pragmatique (ou plutôt lâche), j’ai insisté pour piloter une F800.

Parfois la lâcheté permet de faire des choix judicieux. Quand la situation devient désespérée (comme essayer de pousser la grosse bête enlisée dans le sable ou de sauter, façon trial, par-dessus de gros rochers), la 800 plus légère était le bon choix. Pouvant difficilement être considérée comme un poids plume, la F800 pèse tout de même 50 kg de moins que la R1200. Cette perte de poids s’est nettement fait sentir pendant la traversée particulièrement laborieuse d’un lit de rivière asséché recouvert de gravelle de la grosseur de balles de golf, capable d’engouffrer une roue, et qui menaçait de transformer notre périple en un épisode de la série Survivor. Les manœuvres visant à redresser la roue avant après les inévitables décrochages et les dérapages parfois spectaculaires de la roue arrière étaient beaucoup plus faciles à exécuter sur une moto qui ne donne pas l’impression d’être aussi lourde qu’une moto de tourisme.

Ce qui est étonnant, en fait, extrêmement étonnant, est la facilité avec laquelle la grosse R1200 GS (équipée de pneus hors route Continental TKC 80) s’est acquittée du reste de la portion hors route. Effectivement, son entraînement par cardan et son moteur encombrant donnaient parfois la même impression qu’une tentative d’accostage du Queen Elizabeth sans bateau-remorqueur, mais ce même bicylindre opposé imposant permet d’abaisser considérablement le centre de gravité. Et la centralisation des masses à l’avant et à l’arrière est presque idéale, permettant de traverser très facilement tous les terrains, sauf les plus lents et les plus mous. Grâce à son centre de gravité plus bas et à la réponse beaucoup plus douce du moteur à basse vitesse, la R1200 est beaucoup plus facile à manœuvrer que la 800 dans certains sentiers, se distinguant particulièrement dans les descentes en terrain rocailleux ou accidenté.

Et Dieu sait qu’il y avait des roches! L’Afrique du Nord est peut-être parsemée de dunes, mais nous n’en avons pas vu une seule. Nous avons toutefois vu des roches. Des petites comme des grosses, des roches anguleuses ou arrondies, des affleurements massifs de roches nues, d’autres semblant avoir été expressément épandues pour faire valser la roue avant d’une BMW GS pilotée par un journaliste nerveux (ou plutôt épouvanté). Est-ce que je vous avais mentionné que les routes rocailleuses s’accompagnaient souvent, dans la plus pure tradition de l’ingénierie tiers-mondiste, de dénivellations descendantes abruptes et prolongées? C’est le parcours hors route le plus difficile, le plus terrifiant et le plus exigeant mentalement que je n’ai jamais effectué.

L’ascension du côté septentrional du col du Tizi n’Tazazert, par exemple, a posé un défi de taille aux moins talentueux parmi nous. Ce qui était censé être une route ressemblait davantage à la planète Mars jonchée de roches qu’à toute autre topographie terrestre que je n’ai jamais vue. À l’approche du sommet, comme tous les hommes virils le font souvent, nous nous sommes félicités de nos aptitudes naissantes en conduite enduro, seulement pour observer un habitant de la place, portant chaussures de tennis et casquette de baseball, cigarette au bec, amorcer la descente du même sentier réservé aux chèvres sur un scooter Docker 50 assorti de marchepieds chromés pour le passager et de pneus de route sans crampons d’une épaisseur d’à peine 2,5 cm. Nous, qui étions si fiers il y a quelques instants, nous sommes consolés du fait qu’il n’a pas réussi à se rendre jusqu’en bas de la partie méridionale, la plus difficile du col.

Toutefois, si notre séjour de cinq jours n’avait été rien de plus qu’une escapade visant à défier la mort (la dernière fois que Cato a fait le compte, il en était rendu à sa septième chute, et j’ai toujours une vilaine marque de coup sur mon coude après un entraînement prolongé au sol) dans les régions rurales du Maroc, je n’aurais jamais eu la chance de faire ce voyage d’une vie sur deux roues. Mais même si ma première impulsion en faisant ce périple était de renouer avec mon vieil ami Hendrik, ce que j’ai ramené comme souvenirs est un sentiment d’appréciation incroyable de tout ce qui compose le Maroc : son peuple, sa culture et sa nourriture.

Les Marocains des régions rurales, par exemple, offrent la quintessence de l’hospitalité cordiale. Bien que le Maroc urbain soit manifestement un pays du tiers-monde, encore que l’industrie du tourisme y soit florissante (Marrakech fait figure d’une destination de style Las Vegas pour les Européens), les zones rurales sont indéniablement médiévales. Les enfants de Marrakech doivent souvent jouer au soccer dans la rue, parce que la communauté n’a pas les moyens de se payer un terrain de jeu; les enfants des villages pauvres que nous avons rencontrés le long de notre route poussiéreuse ne peuvent même pas s’acheter un ballon de soccer.

Malgré cela, nous avons été cordialement accueillis partout même si nous roulions sur le devant du terrain de quelqu’un ou sur le potager ou la salle de lavage (les femmes de la place se servent du lit des rivières pour enlever la poussière à la main sur les vêtements). Inévitablement, tous les enfants du village se précipitaient à notre rencontre, les filles nous saluant habituellement de façon réservée, tandis que les garçons, ayant apparemment regardé trop de matchs de la NBA sur la télévision par satellite communautaire, tentaient de nous faire des give me five avec la même force qu’un smash de Karl « le postier » Malone (nos épaules endolories suite à ces accueils débordants d’enthousiasme servaient souvent de prétexte au bon médecin pour nous administrer ses, euh, relaxants musculaires). Ce n’était pas non plus un signe avant-coureur de la tradition du tiers-monde de nous quémander des dirhams. Nous n’avons presque pas vu de mendiants. Les Marocains méritent tout à fait leur réputation de négociateurs impitoyables (ils vont essayer de vous vendre les roches sur lesquelles vous venez tout juste de rouler), mais ils demandent rarement l’aumône.

Et que dire de la nourriture! C’est ma nouvelle cuisine préférée. Finis les sushis et autres mets « crus » à la mode complètement ridicules. Partout où nous allions, même dans les régions les plus reculées, les repas étaient spectaculaires. Il n’y avait rien d’extravagant (Cato en a parfaitement saisi l’essence, décrivant ces plats comme de la « nourriture de paysan simple et bien apprêtée »), mais évidemment, le caractère alléchant de ces mets repose dans les détails. Une banale salade, composée principalement de tomates et d’oignons à la bruschetta, était tout simplement délicieuse; j’ai même songé à m’en mettre plein les poches pour en ramener chez moi!

Et, bien entendu, les régions rurales réservent toujours leur lot de surprises, dont l’une des plus étonnantes est que le Maroc semble avoir joui d’une grande popularité auprès des producteurs de films. À l’extérieur d’Ouarzazate, nous sommes tombés sur le décor de « Jérusalem » dans le film La Dernière tentation du Christ. À Aït Benhaddou, la totalité du ksar, ou ville, a été rénovée pour le tournage du film Lawrence d’Arabie et est considérée comme un site du patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1987. Parmi les autres monolithes temporaires figurent une reproduction miniature de La Mecque et une autre ruine qui aurait pu passer pour n’importe quoi allant d’Agadir au Fort Alamo.

Mais pour ce qui est de mon endroit préféré, il faut retourner au mont Tizi n’Tazazert dont j’ai parlé plus tôt. Au sommet de la chaîne de montagnes Jebel Saghro, en dépit du sentier qui semble infranchissable, se dresse un hôtel. C’est le genre d’établissement que ni vous ou moi ne considérerions habituellement comme un hôtel, mais plutôt un « pavillon » fait de roches (encore!) et de mortiers qui pourrait fort bien avoir été construit il y a plus de 1 000 ans (il a été baptisé en juin 2005), tellement l’emménagement est rustique. Mais la nourriture, aussi restreinte qu’elle soit, est fantastique, le thé à la menthe poivrée est brûlant et la vue est époustouflante. Cet hôtel comporte même une suite présidentielle de 3,5 m x 2,5 m avec toilettes extérieures primitives en bas de la colline et un plancher en pierre recouvert d’innombrables couvertures pour adoucir votre sommeil, le tout pour 120 dirhams, à peine de quoi payer un Joyeux festin de McDonald au Canada! Mais ce qui est mieux que tout, évidemment, c’est son isolement. À l’exception des motocyclistes aventureux et de l’occasionnel cycliste tout-terrain complètement cinglé, vous avez la sainte paix du reste du monde. Réservez une chambre au sommet de Tazazert, et vous ne serez jamais aussi éloigné de la civilisation qu’à cet endroit.

La chose la plus difficile, c’est de s’y rendre. Vous aurez certainement besoin de pneus à crampons. Et ce ne serait sans doute pas une mauvaise idée d’amener votre propre médecin « je-me-sens-bien » avec vous, ou du moins son pharmacien…

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Un long parcours

Hendrik von Kuenheim est peut-être né dans la légendaire famille BMW, mais son ascension à la tête de la division motos de BMW tient davantage à sa propre nature qu’au népotisme.

Pour quelqu’un qui n’a jamais voulu travailler au sein de l’entreprise familiale, Hendrik von Kuenheim, l’actuel directeur général de BMW Motorrad, a certainement gravi les échelons de la firme bavaroise à la vitesse de l’éclair.

L’entreprise familiale, pour ceux qui ne connaissent pas le nom von Kuenheim, a sauvé BMW. Avant que son père, Eberhard von Kuenheim, n’en devienne le président-directeur général en 1970, BMW était un petit constructeur d’automobiles original mieux connu pour ses motos excentriques et ses petites voitures à bulle étranges. Au moment du départ à la retraite de von Kuenheim père, en 1999, BMW arborait fièrement le slogan Le plaisir de conduire et avait usurpé le titre de Mercedes-Benz en tant que constructeur de voitures de luxe le plus prolifique d’Allemagne. Les légendes sont faites de transformations moins impressionnantes que celle-là.

Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que von Kuenheim fils n’ait pas voulu perpétuer la tradition familiale. En effet, il se précipita aux États-Unis pour y étudier, tenez-vous bien, la gestion hôtelière à l’université Cornell. Puis il se rendit dans une ville encore plus éloignée, à Cape Town, en Afrique du Sud, pour y travailler comme directeur de réception.

Mais l’industrie automobile continuait d’exercer sur lui un puissant attrait. Le facteur décisif qui le convainquit de retourner à ses racines, mentionne von Kuenheim aujourd’hui, fut de s’apercevoir que même si les emplois en gestion hôtelière « lui procuraient des cartes professionnelles en lettres dorées, ils ne lui offraient qu’un salaire de crève-faim ».

C’est ainsi que le plus jeune des von Kuenheim décida enfin de se joindre à l’entreprise familiale. Mais même là, il emprunta le parcours le plus long, acceptant un poste de niveau inférieur comme agent de ventes à la clientèle à San Francisco plutôt que de choisir un poste trié sur le volet à Munich. Gravissant graduellement les échelons, il dirigea la percée de BMW au Moyen-Orient, triplant les ventes pendant son affectation de quatre ans entre 1994 et 1998, puis accomplissant le même exploit en sol canadien entre 1998 et 2004.

Finalement, ces réalisations l’amenèrent à assumer la direction de la division Motorrad, un poste prestigieux au sein de BMW, même si les ventes d’automobiles de la firme surpassent celles des motos dans une proportion de 10 contre une. Il s’avère également que von Kuenheim a gagné ses galons honnêtement, se faisant la main sur une Moto Guzzi California « empruntée » quand il avait 16 ans. Plus récemment, il mit à profit sa résidence secondaire à l’extérieur de Madrid pour devenir un adepte de moto hors route, exécutant tout d’abord des whoops sur une Husqvarna 250 (dont BMW venait alors tout juste de faire l’acquisition) pour ensuite passer à une BMW G450X. Lorsqu’on lui demande de nous dire quelle est la réalisation dont il est le plus fier depuis qu’il a pris les rênes de la division motos en janvier 2008, von Kuenheim ne souligne ni le succès relatif de la division Motorrad durant la récession (baisse des ventes d’à peine huit pour cent par rapport à la moyenne de l’industrie se situant entre 40 et 50 pour cent) ni le lancement de la S1000RR qui a reçu un accueil incroyablement favorable, mais, en vrai passionné, ce dont il est le plus fier est d’avoir enfin réussi à faire frotter son genou à l’âge vénérable de 50 ans.
 
« J’ai enfin réussi à impressionner les ingénieurs », prétend le directeur général tout sourire.
 
Et, comme je peux en témoigner pour avoir suivi le « grand chef » de 50 ans sur l’un des sentiers les plus difficiles que recèle l’Afrique du Nord, von Kuenheim possède de réels talents de pilote.
 
Un directeur général qui peut réellement piloter les produits construits par sa firme. Voyez-vous ça!

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