Voici venue la moto électrique. Et quand j’ai parcouru la plus grande ville canadienne au guidon d’une moto destinée uniquement aux terrains de motocross, personne, pas même les policiers, n’a semblé s’en soucier.
Contrairement aux deux premières autopatrouilles, qui ne m’avaient même pas remarqué, la troisième a ralenti pour m’observer. J’ai essayé de garder mon calme, mais la petite voix à l’intérieur de mon casque me mettait en garde contre un séjour en prison et les nouveaux compagnons que je rencontrerais chaque matin dans la douche collective… Mais lorsqu’on se sent coupable, on a l’air coupable, alors je m’en suis tenu à mon plan, qui consistait à rouler lentement et à agir comme si le fait de conduire un motocross sur une piste cyclable était parfaitement légal. Mon but? Me rendre de nos bureaux du centre-ville jusqu’en banlieue sans me mettre la police à dos.
Cette année, les motos électriques construites en série sont apparues pour la première fois dans les salles d’exposition canadiennes, et je voulais tester, en faisant une virée illégale d’un bout à l’autre de la ville, l’importance du son dans la façon dont les motos sont perçues. J’ai émis l’hypothèse que le silence, qui est considéré comme le point faible des motos électriques, pouvait en fait s’avérer son plus grand atout.
Les motos électriques constituent l’évolution la plus remarquable dans le développement des motos depuis le moteur à combustion interne. Mais peu de gens se réjouissent de cette nouvelle. La vive inquiétude qu’elle provoque s’explique par la fixation auditive des motocyclistes. Le fait que le grondement sourd d’un bicylindre ou que le hurlement aigu d’un quatre cylindres puisse être remplacé par le léger bruissement d’une chaîne et le raclement des pneus sur la chaussée est démoralisant. Si vous croyez que j’ai tort, alors prenez en considération que le succès de l’industrie florissante des pièces de rechange pour échappements repose presque entièrement sur la modification du son d’une moto. Les gains de puissance, si gain il y a, sont habituellement minimes. Mais la perte d’un attribut offre souvent l’occasion de faire des gains ailleurs.
Le Zero est manifestement un motocross. Il ne possède ni phare ni clignotant ni feu de freinage. Et sauf pour un indicateur de charge de la batterie, il ne comporte aucune instrumentation. Hormis son illégalité, mon autre inquiétude était son autonomie. Contrairement aux modèles Zero homologués pour la route qui sont munis de bloc-batterie plus volumineux, le modèle MX ne possède qu’une petite batterie puisqu’il est destiné aux terrains de motocross. Comme c’est le cas pour les motos à moteur à essence, l’autonomie d’un véhicule électrique est fonction de son utilisation. Et une fois que le bloc-batterie est déchargé, il faut près de deux heures pour recharger la batterie au lithium-ion. Pour une utilisation sur circuit, la solution, bien entendu, consiste à faire ce que vous feriez pour votre perceuse sans fil : transporter avec vous une autre batterie et les substituer (ça prend moins d’une minute). Mais transporter avec soi une batterie de rechange qui pèse 20 kilos n’est pas plus faisable que de fourrer un contenant de 20 litres rempli d’essence dans son sac à dos puis de décoller.
Depuis les dernières années, les rues de Toronto sont envahies par des scooters électriques bon marché à vitesse limitée qui ne requièrent aucune plaque d’immatriculation ni assurance. J’espérais donc que l’indifférence des citadins à leur égard fournirait une couverture pour le Zero.
Pesant 78 kg (172 lb), le Zero est plus léger de 23 kg (50 lb) que tout ce que la concurrence à moteur à essence peut offrir dans cette catégorie, mais après avoir examiné ses composantes, on comprend vite pourquoi.
Le système de freinage provient de Hayes, un fabricant de pièces de vélo de montagne. De minuscules étriers à quatre pistons agrippent des disques minces comme une galette qui peuvent être tordus à la main. La chaîne de type 420 (qui s’ajuste en déplaçant le moteur de son point d’attache) semble mieux convenir à ma Baja Bug (Canadian Tire) qu’à un motocross, même chose pour l’amortisseur d’apparence frêle du fabricant chinois FastAce. Même les roues sont plus petites, affichant un diamètre de 19 pouces à l’avant et de 17 pouces à l’arrière, au lieu des pneus standards dans l’industrie de 21 et de 19 pouces.
J’avais espéré que l’absence de son du Zero me donnerait libre accès à la ville, et jusque-là, ça semblait marcher. Je me suis rendu jusqu’à l’entrée d’un petit parc et j’ai slalomé entre les arbres afin de me dissimuler partiellement. Une femme en train de faire sa séance quotidienne de tai-chi n’a pas eu l’air de me remarquer quand je l’ai dépassée à toute allure. J’ai fait une pause dans une clairière pour apprécier le paysage sur le bord d’un lac puis je me suis rendu compte que le gazon était recouvert de crottes d’oie. Ma décision de me promener en ville avec un motocross chaussé de pneus à crampons m’a semblé divinatoire.
Le parc était situé derrière un stationnement qui était utilisé par deux agents motocyclistes et plusieurs autopatrouilles afin d’exécuter des exercices de manœuvres. J’ai fait demi-tour afin d’éviter d’être repéré et j’ai attendu à côté d’un jogger et d’un cycliste à un passage pour piétons. Ni le jogger ni le cycliste n’ont accordé la moindre attention au Zero, mais quand le feu pour piétons m’a autorisé le passage, je pouvais sentir sur moi le regard des automobilistes curieux. J’ai pénétré dans l’enceinte de l’Exposition nationale canadienne comme si de rien n’était, et j’ai filé à toute vitesse en traversant son imposant parc de stationnement. Le moteur du Zero produit 17,4 kW, soit suffisamment de puissance pour alimenter une douzaine de séchoirs à cheveux. Pour ceux qui ne s’y connaissent pas en électricité, cela équivaut à environ 23 ch.
De l’autre côté d’une passerelle pour piétons, un gardien de sécurité de Place Ontario me bloquait le chemin. Dès l’instant où il m’a aperçu, il a su que quelque chose clochait. En détalant à toute vitesse, je me suis retrouvé acculé entre le lac Ontario à ma gauche et six voies de circulation à ma droite. La piste cyclable était ma seule option. Afin d’économiser la charge et de maintenir la même vitesse que les scooters électriques que je tentais d’émuler, j’ai réglé la puissance et le couple au minimum, limitant ma vitesse à 40 km/h.
Mais au bout de 10 minutes, la moto a soudainement accusé une perte de puissance et s’est arrêtée. L’indicateur de charge clignotait, mais avant que j’aie pu céder à la panique, l’indicateur a cessé de clignoter et la puissance est revenue. Quelques minutes plus tard, le problème se manifestait de nouveau. Le Zero n’est pas muni des conduits du modèle de route qui poussent l’air de refroidissement vers le moteur, et j’ai soupçonné que le fait de le conduire à plein régime l’avait fait surchauffer.
Après avoir emprunté les rues secondaires d’un quartier résidentiel, j’ai atteint une zone industrielle de la ville et je me suis enfin senti confiant pour la première fois. La façon la plus facile et la plus discrète de traverser cette zone et d’atteindre mon but, un terrain abandonné idéal pour la conduite hors route, était de suivre la voie ferrée. Le Zero s’est attaqué au mauvais terrain, mais non sans se rebiffer, brouillant ma vision et engourdissant mes mains. Épuisé par ce mauvais traitement, je me suis arrêté devant un labyrinthe de rails entrecroisés et de dispositifs d’aiguillage regroupés. Plutôt que de risquer de bosseler la jante avant (ou mon front) sur les longs rails en acier, j’ai franchi les obstacles en marchant à côté de la moto en utilisant sa puissance.
La différence entre la livrée de puissance du Zero et celle d’un moteur à essence requiert un haut degré d’adaptation de la part du pilote. Bien que la puissance de sortie du Zero soit linéaire, la totalité du couple (attribué) de 50 lb-pi est disponible dès qu’on tord la manette des gaz, et elle propulse la moto en avant de manière fulgurante en entraînant le soulèvement de la roue avant. L’absence de frein moteur requiert également une certaine adaptation, ce qui m’a fait réaliser à quel point j’utilisais sa contre-force en conduite normale pour me ralentir.
Je m’habituais graduellement à toutes ces différences, mais pendant que je franchissais le dernier rail en marchant à côté de la moto, mon pied a glissé et par inadvertance, j’ai tordu la manette des gaz avec force. Le couple omniprésent s’est manifesté en propulsant la moto et son pilote dans les airs, et j’ai observé avec impuissance la machine retomber sur ses roues puis basculer sur le côté. Je m’attendais à ce que ses disques minces comme du papier et ses leviers de frein digne d’un vélo soient détruits, mais les seuls signes de dommages étaient des égratignures sur les pièces en plastique et le bras oscillant. Le Zero est plus solide qu’il en a l’air.
Bien qu’un incident comme celui que j’ai subi ne soit pas couvert par la garantie, bien entendu, le Zero MX est assorti d’une garantie de deux ans, ce qui est sans précédent pour un motocross, qui couvre les pièces et la main-d’œuvre pour les principales composantes telles que le moteur, la commande moteur, le bloc-batterie et les organes de roulement. Pour la deuxième année, les pièces sont toujours couvertes par la garantie, mais le propriétaire doit assumer les frais de main-d’œuvre. Mais si vous coursez avec, vous ne serez pas couvert, du moins si vous n’êtes pas assez futé pour enlever les numéros de course.
Après ma chute, j’étais davantage embarrassé que blessé, et une fois mon but atteint, une aire de pilotage partiellement cachée tout juste après une autoroute principale, j’ai fait le point sur mon premier essai à long terme avec une moto électrique. J’en ai conclu que personne, jusqu’ici, ne prenait ces motos au sérieux. Habitués aux scooters électriques, les passants (et plus particulièrement, la police) ne m’ont même pas remarqué. Mais à mesure que les motos électriques deviendront plus populaires, cette situation sera sûrement appelée à changer.
Ce n’est qu’à la fin de la journée que j’ai réalisé que l’absence de son des échappements ne m’avait pas manqué. Et, comme ma chute en témoignait, le nombre moindre de pièces mobiles d’une moto électrique a l’avantage de se traduire par des frais d’utilisation moins élevés. Le Zero MX, ainsi que les autres modèles hors route, pourrait faire changer la perception généralement négative du public à leur égard en faveur d’une opinion plus favorable et, ce faisant, aider à préserver les aires de pilotage hors route. Et les pilotes n’auront pas l’impression que les performances ne sont pas à la hauteur. Ne vous laissez pas berner pas son silence; le Zero MX fonctionne comme une vraie moto et procure la même sensation, même s’il n’en a pas la chanson.