La tête remplie de visions de westerns spaghettis, Uwe Wachtendorf pilote une punk rocker italienne en parcourant un paysage ayant servi de toile de fond à la musique d’Ennio Morricone. Dommage que les policiers aient mis un terme à sa rêverie!
Écrasant les freins, le conducteur d’une Volvo beige de la fin des années 80 s’arrête en faisant crisser ses pneus puis, engageant la marche arrière, recule jusqu’à ce que la fenêtre ouverte du côté du passager soit à ma hauteur. Je peux voir le mouvement des lèvres du conducteur, mais même s’il est clair qu’il crie, mes bouche-oreilles, mon casque intégral et le grondement de mes échappements m’empêchent d’entendre ce qu’il me dit. Mais les mots ne sont pas nécessaires. D’après l’expression de son visage, je peux voir que c’est un fervent admirateur de motos Ducati, et la livrée blanche inhabituelle du nouveau Hypermotard que je pilote l’a mis dans tous ses états. Je me trouve sur l’accotement d’une route aux abords d’Apache Junction, en Arizona, et même si je devrais tenter de rejoindre les autres membres du groupe qui sont passés devant, je médite sur ce type qui s’intéresse à la fois aux boîtes à savon suédoises et aux motos italiennes.
La route menant à Tortilla Flats devient subitement sinueuse et se met à serpenter entre les canyons panoramiques, et c’est ici que je rencontre mon premier encombrement de la journée. Une file de trois véhicules avance à pas de tortue, mais avant que je me décide à faire un dépassement, j’aperçois une série de virages aveugles. Je me contente donc de respecter la ligne pleine qui sépare les deux voies pour les trente prochaines minutes. Soudain, le journaliste mexicain Santiago Calcagno s’affiche dans mes rétroviseurs. Le conducteur du dernier véhicule de la file est assez courtois pour se mettre sur le côté pour nous laisser passer, mais celui de la voiture de tête tient son bout. Seuls les gyrophares bleus et rouges montés sur le hayon arrière de la camionnette de couleur sombre qui me précède m’empêchent de faire un dépassement. C’est alors que j’entends Calcagno ouvrir les gaz.
Mais avant qu’il ait fini son dépassement, les gyrophares de la camionnette s’allument et une sirène se met à hurler. Calcagno, qui se concentre sur la route, ne voit pas ou n’entend pas la camionnette qui s’est lancée à sa poursuite et il réussit à se pousser. Ce n’est que lorsqu’il atteint le premier arrêt prévu pour prendre des photos qu’il descend de sa moto. J’arrive juste à temps pour voir le policier – qui porte, par le plus étrange de tous les hasards, un blouson de cuir noir orné d’un énorme logo Harley-Davidson dans le dos – réprimander le Mexicain et faire signe de se ranger aux autres pilotes qui, apparemment, l’avaient également dépassé en flèche. Que le lancement d’une moto délinquante débute par des actes délinquants semblait aller de soi. Le lancement des deux modèles Hypermotard révisés pour 2010 s’accompagne de l’annonce agréablement prévisible d’une perte de poids et d’un surcroît de puissance. Le modèle Hypermotard de base 1100 est désormais désigné 1100 EVO (comme dans evoluzione – « ou légèrement différent de l’année passée » en français). Le poids à sec annoncé de l’EVO est de 172 kg, soit 7 kg de moins que la mouture 2009. Bien que les dimensions du cadre demeurent inchangées, il accuse maintenant 1,8 kg de moins et les longerons du train arrière en fibre de carbone contribuent à retrancher davantage de poids.
À l’instar des autres modèles Ducati, le carter moteur est soumis à un processus de moulage sous vide, ce qui permet de le solidifier en réduisant sa porosité et, par conséquent, la quantité de métal nécessaire pour le fabriquer. Les capots moteurs en magnésium et le volant d’inertie allégé permettent de soustraire encore plus de poids. Les culasses comprennent des orifices d’admission et un arbre à cames redessinés, et le rapport volumétrique est porté de 10,7:1 à 11,3:1. (En raison de l’efficacité accrue du processus de combustion, l’ajout d’une deuxième bougie par cylindre n’est plus nécessaire – c’est une des raisons pour lesquelles le moulin n’est plus désigné comme un moteur à double allumage.) Bien que le nouveau moulin soit physiquement plus petit que l’ancien, la puissance annoncée est de 95 ch, soit un gain de 5 ch et la puissance maxi est atteinte plut tôt, à 7 500 tr/min. Le couple maxi demeure le même, mais il est atteint plus loin dans la plage des régimes (76 lb-pi à 5 750 tr/min), ce qui, selon Ducati, permet au pilote d’attendre plus longtemps avant de changer de rapport qu’auparavant puisque le moteur ne s’essouffle plus aussi rapidement. Afin de contrer la chaleur, le refroidisseur d’huile a été élargi de 85 pour cent.
Un système de régulation moteur Siemens remplace le système Marelli pour le contrôle de l’allumage et de l’alimentation puisqu’il repose sur une nouvelle technologie et est doté d’un microprocesseur plus rapide. Deux capteurs d’oxygène supervisent chaque cylindre individuellement, une mise à niveau qui a également été apportée aux autres modèles de la gamme. Ducati annonce une économie d’essence légèrement améliorée, mais l’avantage le plus remarquable du nouveau moteur est le plus grand espacement entre les ajustements de soupapes, qui doivent désormais être effectués aux 12 000 km, ce qui est loin d’être typiquement italien.
Malgré ces changements, une caractéristique propre à Ducati a été conservée : la démultiplication ridiculement longue. Notre première sortie en selle nous mène sur une autoroute à voies multiples, ce qui illustre qu’il vaut mieux ne pas tenter des manœuvres de dépassement agressives sur le dernier rapport, et ce, même à 120 km/h. À des vitesses d’autoroute légales, la boîte de vitesse a, de fait, cinq rapports. Il s’avère que la EVO Desmodue aime grimper dans les tours, pas autant qu’un quatre cylindres en ligne surexcité, mais avec son volant d’inertie allégé, elle monte rapidement dans les tours. La vibration est une compagne de tous les instants, mais il s’agit d’une pulsation à basse fréquence qui ne devient jamais gênante ou lassante.
Bien que les vrais supermotards ne dorlotent pas le pilote, je suis soulagé que la selle du Hypermotard soit accueillante. Étonnamment spacieuse et confortable, la selle est le seul élément non traditionnellement supermotard sur la moto et elle permet de passer toute une journée en selle. L’instrumentation entièrement numérique est compacte et lisible, cependant, le minuscule appareil de commutation de type Streetfighter est difficile à manipuler pour un type dont les doigts gantés de cuir sont gros comme des boudins. Accompagnant le modèle Hypermotard de base au lancement de presse, le Hypermotard EVO SP – le modèle surperformant de la gamme – se veut fort différent. Les étriers Brembo à montage radial à quatre pistons du Hypermotard font place sur le SP à des unités Brembo monoblocs dont l’application requiert une précision chirurgicale. Un simple resserrement du cuir de votre gant entraîne un enfoncement prononcé du train avant vers le sol. Des freins aussi puissants et précis sont une bénédiction sur la piste, mais une malédiction sur la route…
En temps normal, un constructeur se ferait châtier s’il proposait une fourche qui s’enfonce aussi facilement que celle du SP lors de freinages intenses, mais il s’agit d’une caractéristique de sa conception. La fourche Marzocchi de 50 mm est plus longue de 50 mm par rapport à celle du modèle de base, ce qui se traduit par un débattement accru de 30 mm. Les pilotes de supermotards préfèrent la dynamique d’un train arrière qui s’allège rapidement pour les aider à amorcer un dérapage de même qu’une fourche qui s’enfonce promptement et qui se détend progressivement pour permettre de stabiliser la tenue de route. Un monoamortisseur Öhlins plus long de 15 mm permet un débattement de 156 mm à l’arrière. Les changements apportés à la suspension du SP en augmentent nettement la hauteur, ajoutant 30 mm à la garde au sol et à la hauteur de selle qui, culminant à 875 mm, transforme le SP en un promontoire permettant d’admirer la vue de haut. Les guidons ont également été rehaussés de 20 mm.
Alors que le modèle de base est chaussé de pneus Pirelli Diablo Rosso, le SP est monté sur des pneus de course Diablo Supercorsa à gomme supertendre, homologués pour une utilisation sur la route. Mais dans la circulation lente, les pneus du SP ne génèrent pas suffisamment de chaleur pour atteindre leur température optimale. Quand la circulation devient moins dense et que les virages peuvent être vigoureusement négociés, il en résulte des dérapages involontaires et imprévus. Sur le chemin du retour en sortant des canyons, le modèle de base met davantage le pilote en confiance. L’autre trait qui contribue à différencier la personnalité des deux modèles est le plus grand déport du SP qui, à 108 mm, affiche 7 mm de plus que sur le modèle de base. Combiné à des jantes Marchesini en aluminium forgé et au bras de levier supplémentaire conféré par le guidon, le déport semble produire une certaine instabilité et j’aurais souhaité que ma moto ait été munie d’un amortisseur de direction.
En ville, c’est un secret de polichinelle qu’un supermotard qui offre une position redressée et de larges guidons se veut l’outil parfait pour les déplacements quotidiens. Et contrairement à tous les autres modèles Ducati, le Hypermotard permet un généreux angle de braquage, ce qui le rend très maniable dans la circulation et permet de faire demi-tour dans la même voie. Les rétroviseurs fixés sur l’embout des guidons renvoient une vue sans égale, et ils devraient être de série sur toutes les motos, quoique dans les virages serrés, il faille respecter leur largeur plus importante, à moins, bien sûr, de les replier avant d’attaquer les allées. Une longue balade dans la banlieue de Phoenix ne révèle aucun défaut de l’alimentation du modèle de base. On nous avait prévenus que les SP venaient tout juste d’arriver du lancement de presse européen et étaient dotés d’échappements accessoires Termignoni et d’un système de régulation moteur configuré pour l’essence européenne. Comme il n’a pas été possible de configurer adéquatement les motos pour l’essence nord-américaine à temps pour le lancement, il serait injuste de mentionner que l’alimentation à bas régime est terrible et que le SP, malgré ses 7 ch additionnels et ses 7 kg en moins par rapport au Hypermotard, ne produit pas la même puissance à mi-régime que le modèle de base. Bien entendu, les versions pour les consommateurs ne seront pas compromises.
En mettant de côté mon penchant pour ce qui est un peu trop tape-à-l’œil, le modèle de base est sûrement la monture qui conviendra le mieux à la plupart des pilotes, puisque le SP est tout simplement trop pointu pour une utilisation normale sur la route. Sauf si, évidemment, votre interprétation d’une utilisation sur route suppose de dépasser en trombe des policiers! Puis il y a la question du prix. À 14 995 $, la moto la plus conviviale est également celle qui affiche le prix le plus amical, la SP se détaillant 17 495 $. Mais l’argument du prix ne tient pas entièrement la route. Les accessoires installés sur le SP coûtent au bas mot près de 2 500 $.
En route vers chez moi, fixant le ciel gris peu invitant au-dessus de Cleveland durant un arrêt prolongé, je me suis rappelé qu’en me rendant au lancement de presse, je m’étais interrogé à propos de l’utilisation continue des moteurs refroidis au liquide sur des motos modernes. Mais après avoir passé une journée en selle sur les deux Ducati, j’ai inversé la question : le caractère pratique, la simplicité et la polyvalence de deux cylindres refroidis à l’air chacun jumelé à deux soupapes semblent la solution la plus sensée pour tous les futurs modèles Ducati.