MV Agusta F4: Après une si longue attente…

Par Neil GrahamPublié le

MV Agusta a amorcé son retour depuis douze ans et jusqu’à maintenant, le constructeur italien avait tourné le dos au Canada. Mais compte tenu du marché de la moto en chute libre aux États-Unis, il semblerait que notre tour soit enfin arrivé.

« Elle incarne l’essence inestimable du romantisme qui réside au cœur même du motocyclisme », avait écrit un essayeur d’une revue américaine, il y a quelques années, à propos de la F4 de MV Agusta. Il comparait la beauté de la F4 à la Chapelle Sixtine, au tableau Le dernier souper a Dernière Cène de Da Vinci, au David de Michel-Ange et à la tour de Pise (cette dernière référence étant pour le moins douteuse, puisqu’il s’agit après tout d’une tour penchée). Un autre essayeur, qui avait évoqué la phrase latine in nomen veritas (« au nom de la vérité ») ainsi que les courses de chars à l’hippodrome de Milan, prétendait que les MV étaient construites « avec un soin méticuleux et attentionné par des artisans dévoués de Rimini ». J’aime les motos italiennes, et je suis moi-même coupable de m’être déjà répandu en louanges dithyrambiques à leur égard, mais ces essayeurs sont-ils à ce point aveuglés par leur amour pour ces motos, ou se contentent-ils simplement de rapporter les faits? C’est ce que je m’apprête à découvrir.

C’était l’après-midi en milieu de semaine au cœur de l’hiver, et ma préoccupation la plus pressante était d’essayer de déterminer d’où provenait le courant d’air que je sentais sur mes pieds. Chaque fois que je me penchais en dessous de mon bureau, le vent à l’extérieur de ma fenêtre arrêtait de souffler, mais le courant d’air subsistait. J’en avais assez. Après avoir vérifié mes courriels une dernière fois, je m’apprêtais à retourner chez moi. Je serais bel et bien retourné à la maison si je n’avais pas vu cette note d’une agence de publicité italienne invitant la revue au lancement de la F4 complètement redessinée de MV Agusta. Je ne savais pas trop comment réagir. Ce message avait sûrement dû être envoyé par erreur, les invitations à des lancements étant très convoitées, et il était peu probable que MV perde son temps avec une revue dans un pays où il ne vendait aucun de ses modèles. J’avais donc décidé de répondre par un simple oui, puis de m’en aller. Mais je me suis immédiatement mis à me faire du mauvais sang. Que se passerait-il si, une fois en Espagne, on réalisait que j’étais un imposteur? Est-ce que je devrais me contenter uniquement d’observer tout le monde rouler? Est-ce qu’on me bannirait de la piste pour me confiner à mon hôtel? Me demanderait-on d’acquitter le prix de ma chambre et de mon billet d’avion? Comme j’avais la trouille, je décidai d’appeler à leau bureau chef de MV Agusta USA située à Willow Grove, en Pennsylvanie. Un homme très articulé du nom de Matthew Stutzman me répondit que non, l’invitation n’était pas une erreur, et que MV était sur le point de faire son entrée au Canada plus tard cette année. « In nomen veritas, je vous remercie », dis-je à M. Stutzman, et je me mis à faire mes bagages.

Beaucoup de choses ont changé sur la scène motocycliste depuis les années glorieuses de la MV dans les années 50, 60 et début 70 (la MV originale n’a pas subsisté jusqu’aux années 80 – voir l’article dans l’encadré). Quand j’étais enfant, la première fois où je me suis intéressé à l’histoire des courses de motos, j’avais été ébloui par des photos et des films en noir et blanc redes événements du latant les Grands Prix des années 50. Aux côtés des motos incroyablement exotiques à trois et quatre cylindres de MV, Benelli et Mondial, prenaient place les monocylindres de Norton et AJS. À mon avis, ça n’avait aucun sens. C’était clair que la technologie d’antan se mesurait à la technologie de l’avenir. Mais maintenant, après être resté à l’écart pendant 20 ans, MV fait face à un passé qui s’est tourné vers l’avenir avec une redoutable efficacité.

Après que l’impresario Claudio Castiglioni eut acheté les droits d’utilisation du nom MV et entrepris de construire une nouvelle machine, il allait de soi qu’un bloc à trois ou à quatre cylindres serait utilisé (les pilotes de course de MV avaient utilisé les deux). [Jusqu’ici, toutes les MV modernes ont été propulsées par des quatre cylindres, mais selon des rumeurs persistantes, il semblerait qu’un tricylindre de moyenne cylindrée soit en développement.] Mais en l’absence de MV sur le marché, les moteurs à quatre cylindres, depuis le lancement de la CB 750 de Honda en 1969, sont devenus la référence générale dans l’industrie de la moto. Le caractère distinctif qui était autrefois l’apanage de MV a disparu. Est-ce que la plateforme de sportive standard d’un quatre cylindres transversal serait utilisée par MV pour construire une machine qui ne se veut pas simplement une version plus dispendieuse d’une supersportive japonaise arborant un illustre insigne sur son réservoir?

Si on jugeait les motos seulement au son qu’elles produisent, MV aurait visé juste. En traversant l’aire de repos en bordure de la piste en route pour prendre possession de ma moto d’essai, jamais (je vais soupeser le choix de mes superlatifs, je vous le promets) n’avais-je entendu un son d’échappement de quatre cylindres aussi mordant et agressif. Et il s’agit du système d’échappement de série. Je me suis demandé si les quatre tuyaux d’échappement y étaient pour quelque chose, mais les quatre embouts d’échappement ne sont qu’une ruse – ils sont tous alimentés par un seul tuyau relié au moteur.

À la sortie des puits sur le circuit hispanique Almeria, la MV fonce droit devant en poussant un mugissement d’échappement enveloppant. Développant une puissance attribuée de 186 ch au vilebrequin à 12 900 tr/min (la limite du rupteur est atteinte à 13 500 tr/min), la F4 ne produit pas la même poussée monstrueuse à bas régime que celle de la dernière supersportive que j’ai pilotée, une S1000RR de BMW, mais elle dégage tout de même une puissance effrayante. C’est une moto qui est à l’aise à haut régime et avec ce son, j’aime la faire grimper dans les tours. Même si MV prétend que la position de conduite est plus accueillante que celle du modèle de l’année passée, son guidon plus relevé et plus reculé, et son réservoir d’essence écourté (il s’agit de la première MV que j’ai pilotée, alors je vais croire le constructeur italien sur parole), son train arrière haut perché et ses repose-pieds relevés font que la position de conduite de la F4 ressemble beaucoup à celle de ma Ducati 916, ce qui n’a rien d’étonnant, puisque les deux modèles ont été conçus par Massimo Tamburini, qui a pris sa retraite récemment.

En raison de la compacité de la machine, j’ai du mal à me retrancher derrière le pare brise à haute vitesse, et la griffe d’attache massive des repose-pieds du passager constitue un irritant, puisqu’elle fait retrousser le talon lorsque la pointe du pied est sur le repose-pied. Si je possédais une F4, la première chose que je ferais serait de les enlever – quiconque a les moyens de se payer une MV a également les moyens de se permettre une V-Strom pour la conduite en duo.

Afin de pallier l’infaillibilité humaine, la MV est fort heureusement équipée de freins Brembo jumelés à des maîtres-cylindres Nissin, qui permettent de réprimer l’enthousiasme un peu trop débordant de pilotes souffrant de décalage horaire. Alors que la force de freinage immédiate des freins Brembo dont sont dotés les modèles Ducati haut de gamme, par exemple, peut être terrifiante, celle des freins de la MV est relativement douce lors de leur application initiale (ce qui se traduit par un freinage graduel, même lors d’une application agressive des freins), mais tout de même puissante. L’alimentation en carburant est également douce, du moins sur les motos présentes au lancement de presse. Une conduite agressive sur piste peut dissimuler de subtils problèmes d’alimentation en carburant sur une moto, mais une courte balade sur la route dans les montagnes environnantes, et les virages en U sans fin en passant et en repassant devant l’objectif du photographe, n’ont révélé aucun temps mort ni faiblesse.

Malgré la déclaration grandiose lors du point de presse voulant que « les artistes doivent rejeter le passé », les concepteurs ont admis qu’ils avaient reçu comme directives de moderniser la F4 (sa première refonte majeure depuis son lancement), mais sans toucher à son architecture ni à ses proportions – MV ne voulait pas risquer le même fiasco que celui de la Ducati 999. On peut sans doute reprocher à Tamburini de s’être fortement inspiré de la 916 pour la conception de la F4. Mais la 916 a été conçue il y a plus de 15 ans, et la F4 avait commencé à accuser son âge depuis fort longtemps. Bien que la combinaison d’un monobras oscillant et d’un système d’échappement sous la selle semble l’apanage exclusif de la Ducati et de la MV, la F4 2010 constitue une refonte réussie de la formule. Le profil du carénage a été rétréci de quatre centimètres, lui conférant l’allure d’un torse finement musclé revêtu d’un t-shirt ajusté, tandis que le carénage de l’ancien modèle donnait l’impression d’avoir enfilé une chemise une taille trop grande. Le système d’échappement distinctif à quatre sorties de la MV à pots arrondis a fait place à des tuyaux caissonnés, et les orifices de sortie du carénage (qui sont nécessaires pour faire dévier la chaleur dégagée par le moteur plus puissant) permettent d’apercevoir le couvercle d’arbre à cames rouge. Il n’y aucune caractéristique, hormis le son, qui pourrait permettre à la MV de se démarquer de façon significative d’une supersportive japonaise et, malgré tout, elle réussit à s’en démarquer. Pas en mieux, mais de façon différente, et il faudra faire un essai à plus long terme et passer plus de temps en selle afin d’en expliquer les raisons de façon plus détaillée.

Bien que les prix n’aient pas encore été fixés, Matt Stutzman m’a indiqué que, afin de susciter un plus grand enthousiasme, le prix aux États-Unis pourrait passer de 25 000 $ US pour la F4 2009 à un prix aussi bas que 20 000 $ pour la F4 2010. Et comme nous l’avons appris au lancement, les gains d’efficience découlant de la refonte du modèle permettront à MV de faire davantage de profits avec sa nouvelle monture qu’avec l’ancienne. Mais plus important encore, c’est que le prix de la F4 se rapproche beaucoup de celui de la 1198S de Ducati, laquelle possède, tout comme la MV, un système d’antipatinage ajustable à modes multiples (qui fonctionne très bien, soit dit en passant, même si les températures inférieures à 10 degrés Celsius qui sévissaient lors du lancement ont contraint la plupart des essayeurs à l’utiliser de façon modérée).

MV est un constructeur de très petite envergure, et le « réalignement » du prix de la F4 pourrait permettre à la marque italienne de se défaire de son carcan de constructeur à marché ultra spécialisé, tout comme l’a fait Ducati au cours des 20 dernières années. Stutzman insiste sur le fait que MV ne veut pas suivre les traces de Ducati, mais un simple coup d’œil aux chiffres (Ducati vend aux États-Unis près de 10 000 modèles par année, m’a-t-on dit, tandis que MV en vend moins de 1 000, soit à peu près l’équivalent de ce que vend Ducati au Canada. Si on applique ces ratios à MV au Canada, cela suggère des ventes d’environ 100 modèles annuellement.) nous fait comprendre la suite logique que constitue la décision de MV de pénétrer le Canada. Depuis une douzaine d’années, Stutzman tâte le terrain auprès de concessionnaires éventuels au Canada, et il est étonnamment à l’affût de la scène motocycliste canadienne. Il reconnaît également que les marques italiennes, en particulier, n’ont pas la cote auprès des consommateurs pour ce qui est du soutien technique et de la fiabilité des modèles.

Mais nous ne faisons que parler pour parler. M. Stutzman, quand pourrons-nous acheter une MV au Canada? « Il y a de bonnes chances que vous puissiez faire le plein sur une MV Agusta au Canada avant la tombée des feuilles cet automne. » Nous admirons une telle confiance chez un homme. Quand je lui dis que les acheteurs éventuels seraient contrariés s’il ne remplit pas sa promesse, Stutzman me répond avec la franchise qui le caractérise : « Si je ne réussis pas à faire rentrer MV au Canada cette année, quelqu’un d’autre pourrait bien occuper mon poste l’année prochaine ». Espérons que ce ne soit pas le cas!

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L’obsession du comte

Un seul homme, le comte Domenico Agusta, légua le plus important héritage qui soit aux courses de Grand Prix. Puis, tout se termina rapidement et sans grande pompe.

L’insatiable appétit que nourrissait l’Europe d’après-guerre à l’égard de la mobilité permit d’enrichir ceux qui étaient capables de transformer des matières brutes rares en autos et en motos. C’est dans ce contexte que la MV Agusta vit le jour. Le comte Agusta agissait tant sous l’impulsion du besoin impérieux de réussir de l’homme d’affaires, que de l’ardent désir de compenser l’échec de l’entreprise aéronautique que son père avait fondée dans les années 20 (mais qui ne survécut pas à la guerre).

Meccanica Verghera Agusta (Verghera est une petite ville dans le nord de l’Italie, à l’extérieur de Milan) amorça la production de motos plutôt génériques de petite cylindrée  pour le grand public en 1948, mais les profits de la firme furent réinvestis dans certaines des montures de course les plus exquises jamais construites. Le comte était devenu obsédé; non pas par les courses, mais par la victoire. MV remporta son premier titre en 1952 dans la catégorie des 125 cm3. Mais ce que le compte désirait plus que tout, c’était de remporter un championnat mondial dans la prestigieuse catégorie des 500 cm3. Pour y parvenir, il devait trouver le bon pilote.

Les courses internationales des années d’après-guerre étaient confrontées à un étrange schisme. Les Anglais, qui dominaient la piste depuis un bon moment, avaient sombré dans un état léthargique en matière de développement. Leurs machines étaient réputées pour leur excellente tenue de route, mais étaient toujours propulsées, de façon prédominante, par de gros monocylindres. Puis, il y avait le reste de l’Europe. L’Italie à elle seule produisit les Gilera, Moto Guzzi et la toute puissante escouade Mondial, tous des modèles dotés d’exotiques moteurs à multicylindres. Agusta réussit à soutirer l’ancien champion du monde Les Graham à AJS, et ce fut Graham plus que quiconque qui permit de développer le quatre cylindres de 500 cm3 en une monture imbattable.

Avant l’arrivée de Graham, les motos à quatre cylindres de MV étaient pourvues de fourches à poutres et d’une suspension arrière munie d’une barre de torsion. Graham les remplaça par une fourche télescopique conventionnelle et un bras oscillant arrière à doubles amortisseurs, ce qui améliora grandement la tenue de route de la machine. Malheureusement, le décès de Graham en 1953 au championnat durant l’épreuve de l’Isle of Man TT l’empêcha de récolter le fruit de ses efforts. Ce fut John Surtees qui en bénéficia.

En 1956, Surtees remporta le premier titre de MV dans la catégorie des 500 cm3; le massacre venait de commencer. Cinq ans plus tard, il fit défection en Formule Un (où il remporta également un titre, un fait connu de Signor Rossi), mais la réputation de MV était telle que les meilleurs pilotes au monde étaient tous prêts à piloter les machines à la livrée rouge et argentée. En 1958, MV perdit bon nombre de ses concurrents quand Gilera, Mondial et Moto Guzzi se retirèrent des courses. Certaines choses ne changent jamais : les trois firmes prétendaient que les courses étaient devenues trop dispendieuses.

Des pilotes tels que Mike Hailwood, Giacomo Agostini et Phil Read succédèrent à Surtees. Le comte trouva ce qu’il avait toujours recherché en Agostini : le pilote italien dominant pour son invincible monture italienne. Dans les années 60, MV résista aux assauts du Japon (principalement Honda) et en 1974, quand Read s’empara du dernier titre de MV, le constructeur avait remporté un nombre incroyable de 17 championnats consécutifs dans la catégorie des 500 cm3. Mais, comme c’est toujours le cas, la fin vint rapidement.

Le décès du comte Domenico Agusta, le grand patron des courses, eut lieu en 1971 et sans sa volonté de fer à la tête de la firme, MV ne pouvait plus continuer. MV, sentant sans doute que sa fin était proche, refusa de mettre au point des motos deux temps et fut rapidement relégué aux oubliettes de l’histoire. MV se retira des courses en 1976 et, à la fin des années 70, tout était terminé. Du moins, c’est ce que tout le monde pensait.

Claudio Castiglioni, dont le père avait fondé Cagiva, acquit les droits d’utilisation de MV en 1991 et l’ajouta, de même que Husqvarna et Ducati, à ses avoirs. Castiglioni était un homme fort occupé quand il était à la tête de Ducati, présidant au lancement de la 916 conçue par Massimo Tamburini, grâce à laquelle la fortune avait enfin souri à Ducati. Mais même s’il détenait les droits d’utilisation du nom MV, Castiglioni n’avait pas encore construit de motos MV. Castiglioni vendit alors Ducati à Texas Pacific Group puis embaucha Tamburini pour concevoir une sportive à quatre cylindres de 750 cm3 dont l’allure s’inspirait de la 916. En 1997, MV était de retour. L’ajout de la Brutale à l’allure d’une Monster de Ducati donna lieu à une modeste gamme constituée de deux modèles.

Mais MV était un constructeur à faible production (et, de l’avis de certains, à faibles profits) dirigé par Castiglioni, un homme au tempérament bouillant digne successeur du comte Agusta. Il vendit MV, tout en demeurant à sa tête, à la firme malaisienne Proton. Puis, Proton se retira et une firme de courtage italienne ramena les droits de propriété en Italie. À son tour, cette firme vendit MV à Harley-Davidson en juillet 2008, mais Harley, en octobre 2009, annonçait qu’il désirait se départir de la marque. Cette dernière n’a pas encore trouvé preneur, mais quelqu’un, quelque part, se manifestera tôt ou tard avec les fonds nécessaires et permettra d’assurer la survie de MV, du moins aussi longtemps que Castiglioni désirera qu’elle continue d’exister. Longue vie au comte!

–Neil Graham

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