Oubliez les garages de rêve ou les listes des dix meilleures motos! Quatre motocyclistes se sont fait remettre la moto de leur choix parmi toutes celles qui sont actuellement sur le marché. Et la lutte débuta.
Il fut un temps où il était relativement simple de choisir une moto. Après en avoir d’abord discuté avec les copains et avoir trouvé quelques concessionnaires locaux à la réputation bien établie, il ne restait plus qu’à faire son choix entre quelques marques puis de sélectionner un modèle en fonction de son budget. Mais tout cela a radicalement changé.
De nos jours, un motocycliste doit toujours choisir son concessionnaire, la marque et le modèle, mais alors que l’industrie de la moto n’offrait à l’époque que deux catégories — les motos de route et les motos hors route —, il existe maintenant des sous-catégories au sein d’un nombre de plus en plus restreint de catégories principales! Certains modèles exigent un type de conduite bien précis. Impossible d’aller en piste avec un chopper ou de voyager à deux sur une sportive. Mais la plupart des gens veulent tout essayer. Et les idées quant à la façon de le faire sont simplement très différentes. Ce qui nous amène à notre premier Défi moto unique annuel. Le concept est fort simple. Quatre motocyclistes doivent choisir la moto qui, à leur avis, s’acquittera le mieux des tâches auxquelles ils s’attendent qu’une moto accomplisse. C’est là que les problèmes ont débuté. Nous ne sommes même pas parvenus à nous entendre sur ce qui se qualifiait comme une moto quand l’idée du Défi moto unique a été lancée la première fois au cours d’une réunion éditoriale il y a un an! Mais nous sommes habitués d’être en désaccord à Moto Journal. Mais être en désaccord à ce point était une première, même pour nous!
Peut-être, sans grande surprise, comme s’il s’agissait d’un appui subliminal à leur choix de moto, les quatre participants au Défi moto unique ressemblent physiquement à leur machine, comme les propriétaires de chien qui, avec le temps, finissent par ressembler à leur animal de compagnie… Andrea Goodman, collaboratrice à Moto Journal, qui est également monitrice de conduite moto et pilote de moto d’époque, a choisi la Ninja 250R de Kawasaki. Andrea, qui est suffisamment menue pour rentrer dans la boîte à gants d’un modèle Beetle original de Volkswagen, a choisi la plus petite moto du groupe. La Ninja et elle sont toutes deux compactes, nerveuses, agiles et délurées. Andrea teint parfois ses cheveux de la même couleur que le vert fluo de la Kawasaki.
Le poids moyen du groupe était représenté par Tim Poupore. Rédacteur attitré au design à notre publication sœur Cycle Canada (et concepteur industriel le jour), celui-ci a jeté son dévolu sur la 690 Duke de KTM. Le cadre mince et compact de la moto reflète la stature de Tim, tandis que l’auvent pointu et angulaire du phare avant fait écho aux traits anguleux de son pilote. Bien que Tim, qui n’a jamais un mot plus haut que l’autre, puisse honnêtement être décrit comme un homme tout en subtilités, on ne peut pas en dire autant du rédacteur associé Uwe Wachtendorf. Alors que les antécédents en matière de design de Tim ont guidé son choix vers une machine toute simple, Wachtendorf, qui est un fervent admirateur du révolutionnaire compositeur d’opéra Richard Wagner, est tombé dans l’excès en arrêtant son choix sur la tout aussi révolutionnaire V-Max de Yamaha. Méprenant le Défi moto unique pour un spectacle de démolition de monster trucks, Uwe voulait une machine au gabarit imposant convenant à sa stature tout aussi imposante. Côte à côte, Uwe et sa monture semblent avoir été séparés à la naissance. Les oreilles de Wachtendorf ressemblent aux orifices d’admission d’air de la V-Max et son long torse reflète l’empattement qui n’en finit plus de la V-Max.
C’est le rédacteur associé Neil Graham qui a eu l’idée du Défi moto unique et qui, avec l’originalité qui le caractérise, avait sélectionné le MP3 500 de Piaggio comme monture unique. Puis il a disparu avant que le Défi ne débute sans expliquer les raisons de son choix. Il serait apparemment parti faire du camping dans sa fourgonnette VW (l’équivalent sur quatre roues d’un MP3) avec sa fille. C’est Derreck Roemer, l’éditeur Web, qui a hérité du MP3. Roemer était loin d’être impressionné. « Je trouve ce choix tout à fait ridicule », s’est-il exclamé.
La première journée du Défi commença par une courte balade sur l’autoroute suivie par 45 minutes dans la circulation dense. Dans ces conditions, c’est sans surprise que le MP3 s’est révélé être la monture exigeant le moins d’effort à piloter, ces trois roues aidant à maintenir l’équilibre à basse vitesse et sa transmission à variation continue automatique allégeant l’effort lors des arrêts et départs fréquents. Après avoir échangé nos montures, le MP3 reçut des opinions divergentes. Andrea trouvait le scooter ennuyant, mais aimait le « plaisant grondement » de ses échappements. Tim était d’avis qu’il produisait le même son que son four micro-ondes…
Même si un tas d’enfants assis sur la banquette arrière d’un véhicule levèrent le pouce en signe d’approbation en apercevant la Ninja – comme la plupart des gens, ils ignoraient que la Ninja a une cylindrée d’à peine 250 cm3 tellement Kawasaki a réussi à lui donner l’apparence d’une sportive de pleine dimension –, elle n’était pas sans reproche dans la circulation. Son agilité est contrebalancée par le fait que pour accélérer jusqu’à 60 km/h et ensuite ralentir, il faut effectuer jusqu’à huit changements de rapports tellement son moteur manque de couple. Mais pour 5 100 $, on peut facilement comprendre pourquoi ce modèle connaît autant de succès : il fait disparaître la gêne de conduire une moto de petite cylindrée.
Des problèmes d’alimentation hors ralenti rendaient la Duke difficile à conduire dans la circulation, entachant son excellente performance à plus hauts régimes et à vitesses plus élevées. Incapable d’atténuer ses gènes de moto hors route, KTM a fait de la Duke une moto beaucoup trop haute pour tout pilote de taille moyenne ou de petite taille. Bien que Tim soit vraiment à la limite de sa longueur d’entre-jambes, la KTM était pratiquement impossible à conduire pour Andrea, qui devait grimper sur le trottoir pour monter et descendre de la moto.
La V-Max faisait compétition à la Duke comme pire moto de route. Malgré l’effort léger requis sur le levier d’embrayage pour un moteur développant près de 200 ch, l’engagement et le désengagement constants du premier rapport ont eu vite fait d’épuiser mains et poignets… De loin la moto fabriquée en série la plus impétueuse de notre époque ou même de tous les temps, le gabarit de la V-Max a amené Andrea à la rebaptiser IMAX. Bien que la selle soit suffisamment près du sol, nous retenions tous notre souffle chaque fois qu’elle balançait la moto sur son pied droit tout en cherchant à tâtons avec son orteil la béquille latérale. Uwe tenta de lui témoigner un peu de sympathie en lui disant : « c’est une moto pour un vrai homme ».
Dès que la circulation redevint fluide, la V-Max bondit droit devant, tel un cheval libéré de son harnais, son pneu laissant un nuage de fumée bleue dans son sillage. Une simple torsion du poignet suffisant à faire tourner le pneu, la conduite à vitesse de croisière en faisant griller le pneu de temps à autre ne devient jamais monotone. La souplesse du moteur était telle que les cinq rapports de la boîte de vitesse étaient, dans une large mesure, inutiles : un seul rapport aurait suffi pour atteindre n’importe quelle vitesse.
Même si la Ninja exigeait l’utilisation de chacun de ses six rapports, Andrea était bien déterminée à maintenir un rythme rapide. Mais le sujet de la performance de la moto lors des reprises divisa le groupe. Tim et Derreck affirmèrent qu’elle était inexistante, puis débattirent du nombre de rapports dont il fallait rétrograder avant qu’un mouvement en avant ne puisse être détecté. Uwe suggéra d’essayer de pédaler avec les pieds. Andrea argumenta qu’il fallait simplement trouver le point idéal de la plage des régimes, même si elle s’abstint de dire exactement où ce point se trouvait. Elle était en fait trop polie pour faire des commentaires au sujet du poids de certains pilotes qui compromettait les performances. Mais la Ninja ne réussit pas à convaincre Derreck et Tim. « Il n’y a rien que nous n’aimons pas particulièrement, dirent-ils, mais elle n’a rien d’excitant ».
La KTM sans carénage, dont la position de conduite donne l’impression d’être assis sur une chaise haute dans un tunnel aérodynamique, était épuisante à piloter à vitesse de croisière, mais c’est sa selle qui s’attira le plus de commentaires méprisants. Même Uwe, qui possède une KTM, décrivit la selle comme « un véritable supplice qu’aucun humain ne devrait avoir à subir ». Mais c’est le MP3 qui était le moins dans son élément sur l’autoroute, et ce n’est pas à cause d’un manque de puissance, celui-ci pouvant facilement atteindre des vitesses illégales. Mais en raison de ses petites roues et de son large gabarit, les vents latéraux le balayaient dans tous les sens, un peu comme un piano sur des roulettes. La Ninja et la V-Max se révélèrent raisonnablement confortables lors de longs déplacements, la KTM, beaucoup moins. Les opinions au sujet du MP3 étaient partagées. Derreck fut le plus loquace. « Durant les longs trajets sur le MP3, j’ai souffert de maux de dos aigus que je ne pouvais soulager qu’en m’asseyant sur le siège surélevé du passager. » Uwe et Tim ajoutèrent que l’habitacle semblait trop étroit et n’offrait pas assez d’espace pour les jambes. Andrea mentionna que la selle était trop grande et qu’elle était conçue pour un postérieur de la taille idéale. Uwe, qui de l’avis de ses collègues possède un tel postérieur, conclut que ladite selle était loin d’être de la taille idéale, et suggéra qu’un simple banc horizontal aurait été un choix plus sensé.
Aucune des motos du groupe n’était équipée pour faire du tourisme. Le MP3 était le seul qui comportait un espace de rangement (dans son bunker sous la selle), mais il était dépourvu de tous les autres accessoires de tourisme. Le moteur de la Ninja révolutionnait trop rapidement aux vitesses de croisière et ses dimensions trop étroites pour n’importe qui sauf Andrea (nous plaignons la personne qui chargerait cette moto de bagages en s’attendant à maintenir le même rythme rapide de la circulation). Faire du tourisme sur la Duke serait aussi avisé que de faire brûler des journaux pour réchauffer votre maison – ça se fait, mais les efforts requis en annulent les bénéfices. Ce qui nous laisse la V-Max comme « la meilleure des pires » montures sur la route à circulation libre. Elle avait au moins la puissance nécessaire pour suivre sans trop protester.
Comme nous détestons tous les autoroutes, notre groupe se mit à la recherche de routes de campagne. Derreck, que les performances du MP3 avaient déconcerté jusqu’ici, fit volte-face, alléguant que les mises sur l’angle étaient « excitantes, particulièrement quand le châssis de roulement raclait le sol. » La traction accrue qu’offre la deuxième roue permet d’accroître l’angle d’inclinaison en virage ainsi que la confiance du pilote, mais Tim prétendit au contraire que cette caractéristique était son plus grand défaut. « Qui veut annoncer au monde entier qu’il a peur de tomber? Si tu as besoin de plus de deux roues pour te sentir en confiance, achète-toi une voiture. Au moins, les gens ne se moqueront pas de toi. »
Mais la plupart des critiques concernant l’angle d’inclinaison furent formulées contre la V-Max. Son poids, son pneu arrière de 200 mm et ses suspensions spongieuses posaient tout un défi lors des mises sur l’angle. C’est Uwe qui avait utilisé le mot « défi »; tous les autres affirmant qu’un mauvais sort avait été jeté à la moto. Une fois inscrite en virage, la V-Max se mettait à valser avec lourdeur. Tim compara la V-Max à Superman et les virages à de la kryptonite. Andrea, qui nous avait avoué avoir eu un faible pendant des années pour la V-Max, descendit de la bête après une enfilade de virages serrés et confessa qu’elle n’avait plus aucun faible pour cette moto. « À moins d’habiter au bout d’une piste d’atterrissage et de travailler à l’autre bout, cette moto n’est pas pour vous », dit-elle. La KTM, quant à elle, était dans son élément. Avec sa généreuse garde au sol, ses suspensions de course et la réponse rapide du moteur, la clé de contact de la Duke était fortement convoitée. Mais la Ninja était loin de se traîner les pieds. Il était toutefois essentiel de maintenir la vitesse en virage, son manque de puissance la faisant ralentir dans les pentes, cependant, la Ninja a su démontrer qu’une soi-disant moto de débutant pouvait se révéler extrêmement amusante.
Vint ensuite la partie essai sur piste. Notre groupe hétéroclite se rendit à Shannonville Motorsport Park où Hot Laps Events tenait une journée d’essais libres. Les propriétaires A.J. Tibayan et Rahul Dua acceptèrent gracieusement de regarder ailleurs durant la pause du dîner, et nos motos d’essai firent leur entrée sur la piste. En quelques instants, tout ce que nous avions appris sur la route nous fut confirmé sur la piste : la V-Max ne pouvait pas tourner, la Ninja était lente mais amusante, la MP3 freinait avec force et la Duke était dans son élément.
La caractéristique la plus impressionnante du MP3 sur la piste était sa stabilité lors des freinages intenses. On pouvait tirer les leviers de frein avant et arrière aussi fort que possible et la moto se cabrait et s’arrêtait comme une auto. Les freins de la Ninja offrirent une bonne performance, mais n’avaient pas la même précision que les pièces de la KTM répondant à des normes plus élevées et qui pouvait aisément se hisser sur sa roue arrière tout en ralentissant. Seule la V-Max était dotée de freins ABS, une caractéristique de sécurité essentielle et attendue d’une moto dans cette fourchette de prix. Bien qu’il ait fonctionné de façon adéquate sur la route, Tim trouva que le système ABS était beaucoup trop sensible sur des surfaces légèrement recouvertes de sable et de gravier. Il aurait peut-être préféré faire une chute.
Même si elle s’est fait tordre le cou pendant la majeure partie de notre essai, la Ninja a affiché une consommation d’essence moyenne de 4,5 L/100 km, mais c’est la KTM qui a présenté la meilleure économie d’essence; sa cylindrée faisant plus du double de celle de la Ninja, la KTM a dégagé une consommation impressionnante de 4,2 L/100 km. Le MP3 500 a dû composer avec son poids et sa transmission automatique peu efficiente, mais s’en est tout de même tiré avec une consommation plausible de 4,9 L/100 km. Quant à la V-Max, elle offre la même économie d’essence que celle d’une voiture, soit 8,4 L/100 km. Une moto extrêmement puissante, dont le choix est extrêmement difficile à justifier.
Tim s’en est tenu à la KTM comme choix final. « Ça pourrait bien être mon unique moto. Il n’y a rien qu’elle ne puisse pas faire; c’est la meilleure du lot en ville et je pourrais même la rouler en sentier », ajoute-t-il de façon peu convaincante. Uwe est demeuré tout aussi loyal face à son premier choix. « La V-Max est la parfaite moto nord-américaine; c’est une moto prétentieuse qui produit une puissance phénoménale, et il n’y a rien de plus excitant que d’amorcer un virage trop rapidement avec cette moto. » Andrea est demeurée entièrement dévouée à sa Ninja, affirmant qu’elle s’acquittait mieux d’un plus grand nombre de tâches que les trois autres machines.
Tous souhaitaient couronner un vainqueur. Et tous voulaient que leur moto soit choisie comme unique moto. Les pauses entre les séances d’essai ressemblaient à des conversations entre politiciens faisant des manœuvres de couloir pour une cause qui ne sert que leurs meilleurs intérêts. Il suffirait qu’un pilote renie la machine qu’il a choisie pour appuyer le choix d’une autre moto pour qu’un vainqueur soit couronné. Andrea, Tim et Uwe avaient tous senti la faiblesse de Derreck. Il avait hérité d’une machine qu’il n’avait pas choisie et il en était très contrarié. Il prétend que sa femme lui aurait dit que s’il possédait un MP3, elle n’aurait plus de rapports sexuels avec lui, tellement elle trouvait que la machine avait une allure de mauviette. « Je ne suis pas prêt pour le célibat pour l’instant », nous a-t-il expliqué. En fin de compte, il a abandonné le MP3 pour se rabattre sur la Ninja parce « c’est la moto la moins pénible ». Ce qui fait de la Ninja 250R de Kawasaki la grande gagnante du Défi moto unique jusqu’à ce nous récidivions l’an prochain.