BMW S 1000 RR: OK Computer

Par Neil GrahamPublié le

Le constructeur allemand aurait-il changé de nationalité pour devenir Japonais? Sa S 1000 RR pourrait nous porter à le croire, mais si sa conception est traditionnelle, son fonctionnement relève de la pure technologie électronique. 

Après avoir assisté à une douzaine de lancements de presse, ceux-ci finissent par s’estomper pour ne devenir qu’un vague souvenir dans mon esprit. Mais je ne suis pas prêt d’oublier les 40 BMW S 1000 RR en livrée verte que j’ai aperçues en me dirigeant vers les puits sur le circuit de Portamao dans le sud du Portugal. Ce n’est pas l’apparence de ces motos qui est inusitée (même si, après tout, toutes les BMW ont l’air un peu étranges); c’est le fait d’apercevoir le familier logo bleu et blanc en forme d’hélice sur ce que nous en sommes venus à considérer comme une hypersport japonaise. C’est un peu comme si on avait arraché l’étoile à trois branches qui orne le capot d’une Mercedes et qu’on l’avait apposée sur une Corvette.

Quand le mot s’est répandu disant que BMW était en train de construire une moto hypersport, la nouvelle a été accueillie avec anticipation et beaucoup de stupéfaction. Après tout, que signifie exactement le terme « hypersport »? La définition varie quelque peu d’un constructeur à l’autre, mais à part le fait de suggérer qu’il s’agit d’une moto rapide, ce terme n’a pas de définition coulée dans le béton. Et personne ne savait comment BMW interpréterait ce vocable, tout ce que nous savions, c’est que ce serait différent. Aurions-nous droit à deux moteurs Boxer juxtaposés? Peut-être un V-6? Ou encore un moteur à cinq cylindres en ligne? N’oublions pas qu’il s’agit de la firme qui a conçu un plus grand nombre de systèmes de suspension que tous les autres constructeurs réunis. Les suspensions seraient sûrement une variation d’un système Telelever ou Paralever tenant une roue. Un ingénieur m’a dit que tout avait été envisagé, en passant par les bicylindres et les tricylindres aux quatre cylindres en V… puis il s’est arrêté pour me laisser deviner la suite.

Mais quand les premières photos de la S 1000 RR se sont mises à circuler, personne n’aurait pu prévoir que ce modèle aurait une allure aussi déconcertante. La S 1000 RR était dotée d’un entraînement par chaîne et d’une fourche télescopique, et son moteur à quatre cylindres était positionné transversalement dans un cadre en aluminium. Tout comme n’importe quelle moto japonaise. Est-ce que BMW, après avoir passé des années à mettre la charrue avant les bœufs, s’était finalement résigné et avait mis les bœufs avant la charrue?

C’était un geste audacieux, voire insensé. La plupart des marques européennes interprètent la plate-forme hypersport différemment des Japonais. Les Ducati et les KTM sont dotées de bicylindres en V et même le moteur à quatre cylindres RSV4 d’Aprilia présente une configuration en V. La volonté de faire les choses différemment s’explique en partie par les différences qui existent entre l’Europe et le Japon. Les concepteurs de motos européennes détestent suivre les traces des autres, mais la deuxième raison en importance est qu’en s’éloignant du courant dominant, toute comparaison est ainsi évitée.

Les motos japonaises sont bon marché et incroyablement performantes. En faisant les choses différemment, les Européens peuvent formuler des termes ésotériques comme « sonorité » ou « sensations » pour attirer les acheteurs, mais le fait de concevoir un modèle qui ressemble à une moto japonaise équivaut à mettre en jeu sa réputation sans pouvoir se raccrocher au « caractère distinctif » de la mécanique.

Les recherches menées par BMW sur la plate-forme hypersport ont révélé, notamment, que l’architecture adoptée par tous les constructeurs japonais était solide. Selon BMW, c’est le moyen le moins coûteux de se déplacer rapidement, puisque la fabrication des quatre cylindres en ligne est économique et qu’ils favorisent l’intégration optimale des composantes auxiliaires.

Et BMW a toujours prétendu que le prix de sa S 1000 RR serait concurrentiel par rapport à celui des hypersports japonaises. Mais « concurrentiel » ne signifie pas nécessairement « le même prix ». En effet, BMW a fait quelque chose d’inconcevable pour une marque européenne de première qualité : il a laissé tomber le surcoût. La S 1000 RR, qui se détaille 17 300 $, coûte 500 $ de plus que la R1 de Yamaha. Mais pour ce prix, la BMW inclut des freins ABS de course, un système d’antipatinage et un système d’assistance au passage des rapports de vitesse, ce qui en fait une meilleure affaire si, bien entendu, la moto est l’égale de la R1, ou des CBR, ZX-10 ou GSX-R, ce que je suis sur le point de découvrir.

Avant notre entrée en piste, Christian Landerl, vice-président de BMW Motorrad, nous prévient que « les freins ABS de course et le système d’antipatinage ne peuvent modifier les limites et les lois de la physique qui s’appliquent à la conduite d’une moto ». Bien que mon expérience avec le système d’antipatinage de Ducati ait démontré qu’il ne pouvait pas empêcher les sorties de piste dues à un manque d’attention, ce système peut toutefois modifier du tout au tout la conduite d’une moto.

Le système de BMW est facile à expliquer mais son fonctionnement est complexe. Le système ABS et le système d’antipatinage (DTC en jargon BMW pour Dynamic Traction Control) sont couplés. Le bloc-commutateurs droit du guidon intègre un bouton Mode qui permet au pilote de choisir parmi quatre modes de conduite : conduite sur chaussée mouillée (Rain), conduite sur route (Sport), conduite sur piste (Race) ou conduite sur piste avec pneus lisses (Slick). En mode Rain, la puissance disponible se limite à 150 ch; mais ce n’est pas tout, car un capteur de prise d’angle atténue l’accélération dès que l’angle d’inclinaison dépasse 38 degrés. En mode Sport, la puissance disponible atteint 193 ch et ce réglage est conçu « pour une utilisation sur les routes de campagne », mentionne BMW, ce à quoi je rétorque : « Dans quel pays y a-t-il des routes où une moto de 193 chevaux ne vous enverra pas croupir en prison? » Le mode Sport bloque l’accélération à partir d’un angle d’inclinaison supérieur à 45 degrés et, comme on peut s’y attendre, est le réglage recommandé pour une utilisation normale sur route. Le mode Race autorise un angle d’inclinaison de 48 degrés avant d’entrer en action et est le réglage qui convient à une conduite sur piste avec des pneus à gomme sportive homologués pour la route. Enfin, le mode Slick correspond à une conduite sur piste avec pneus lisses et permet les accélérations jusqu’à un angle d’inclinaison de 53 degrés. Il ne s’agit là que d’une brève description des capacités du système (en mode Slick, par exemple, le frein arrière ABS est désactivé, et pour chaque progression de modes, l’accélérateur électronique (Ride-by-Wire), entraîne une réponse du moteur « beaucoup plus directe », ce qui signifie que l’ouverture des gaz donnera des résultats différents selon le mode sélectionné.

Nous commençons en mode Rain à un rythme modéré, mais dès que mon genou effleure le sol dans un virage lent qui se négocie en deuxième, j’ouvre les gaz à fond. La sensation est étrange, la moto semble lente à réagir, mais dès que je ressors du virage et la redresse, je vais de plus en plus vite. Le capteur de prise d’angle sait que je suis maintenant sur la partie du pneu qui offre le plus d’adhérence et autorise donc une plus grande accélération. (La progression de la moto est supervisée par des capteurs de vitesse de rotation des roues avant et arrière et par le capteur de prise d’angle qui interviennent sur la séquence d’allumage ainsi que sur la position des papillons des gaz.)

J’essaie successivement chacun des autres modes, qui peuvent être sélectionnés en roulant, à condition de regarder d’abord par-dessus son épaule ou de ne pas rester dans la trajectoire des autres pilotes. Pour effectuer un choix, il faut ramener la poignée des gaz, puis choisir le mode désiré et enfin actionner le levier d’embrayage. En mode Slick, le moteur délivre la puissance démentielle à la fois enivrante et terrifiante qui caractérise les motos d’un litre, mais quand les autres modes sont sélectionnés, la puissance, quoique substantielle, n’est pas intimidante. Tout comme je l’avais découvert en pilotant la Ducati 1198S sur le même circuit, le système d’antipatinage n’est pas une formule magique capable de transformer un motocycliste ordinaire en pilote de GP. Il permet plutôt aux pilotes ayant de bonnes aptitudes de s’améliorer, tout en étant confiants quant à la capacité de la machine pour tempérer leur enthousiasme un peu trop débordant.

BMW prétend que l’alésage de 80 mm du cylindre serait le plus important de sa catégorie, et pourtant, le moteur est gorgé de couple à partir des bas régimes jusqu’à sa zone rouge de 14 200 tr/min. Le couple attribué est de 82,5 lb-pi à 9 750 tr/min, et les collecteurs d’admission à longueur variable favorisent l’accélération. Le circuit intègre un virage à grand rayon qui débouche sur un long droit rapide qui sépare les hommes des petits garçons (je me situe entre les deux : un adolescent plutôt rapide mais loin d’être aussi rapide qu’un dénommé Troy Corser). Il s’agit d’un virage qui se prend en deuxième en s’assurant de placer l’orteil gauche sous le sélecteur de vitesses pour pouvoir amorcer la sortie de virage en troisième avec le genou droit collé au sol. À mesure que la journée avance et que les effets du décalage horaire se font ressentir, je me contente de prendre le virage en troisième et de laisser le couple faire le reste.
 
La boîte de vitesse est sublime et le mérite revient en grande partie au système d’assistance au passage des rapports de vitesse grâce auquel les changements s’effectuent sans qu’il soit nécessaire d’actionner l’embrayage ou de ramener la poignée des gaz. Dès que le pied touche au sélecteur, l’allumage est momentanément coupé afin de permettre des changements de rapport coulés. Auparavant, certains systèmes pouvaient se montrer récalcitrants à moins que la moto atteigne des vitesses de piste, mais maintenant, même quand je retourne aux puits à 30 km/h, le passage des rapports se fait comme dans du beurre. Je rétrograde de la deuxième en première, mais l’embrayage à rétroglissement (que BMW appelle embrayage antidribble) ne bloque pas la roue, même si le train arrière se met à se tortiller en signe de protestation.

Si le constructeur allemand a préféré mettre l’accent sur le raffinement plutôt que sur les inventions pures et simples dans le cadre de la mise au point des systèmes mécaniques de la S 1000 RR, le style insufflé par David Robb démontre clairement que BMW n’a que faire du statu quo en ce qui concerne les motos sport. Quand j’ai posé des questions à Robb au sujet de son penchant pour les formes asymétriques, en lui mentionnant que les études révélaient constamment que les humains étaient attirés de façon disproportionnée par les visages symétriques, il a rejeté d’emblée cette notion. Quiconque avale cette salade n’a jamais vu la réflexion d’un visage dans le miroir, qui a une apparence bien particulière. Il n’y a aucune symétrie sur les motos, affirme Robb, puisque les tuyaux d’échappement sont souvent placés sur un seul côté tandis qu’un entraînement par chaîne ou par cardan ne peut être situé que d’un seul côté.

Le but de Robb, avec la S 1000 RR, était d’atténuer la hauteur de la machine tout en étirant visuellement sa longueur. Le cadre de la plupart des motos sport comporte des longerons qui s’étirent vers le bas et pointent en direction de la roue arrière, mais Robb voulait qu’en la regardant, notre œil parte de la pointe du phare jusqu’au train arrière et au feu arrière en saillie. Selon le dossier de presse de BMW, la moto est censée ressembler à « un animal affamé sur le point de bondir sur sa proie ». Si nous devons continuer de faire des comparaisons avec des animaux, les phares du carénage, qui sont de taille différente, ne ressemblent-ils pas à un animal à l’œil boursouflé? Non, réplique Robb, leur apparence évoque plutôt celle des pilotes d’endurance, le phare gauche ayant été allongé pour imiter la forme d’une plaque numérotée. Robb n’a fait aucune tentative non plus pour que les longerons du cadre soient le moindrement similaires. Le longeron gauche comprend un large conduit pour évacuer l’air provenant du radiateur monté à l’avant, tandis que le longeron droit intègre des ailettes de refroidissement en forme de branchies de requin pour disperser la chaleur. (Robb mentionne qu’initialement, il aurait voulu que le longeron droit soit plein, mais les ingénieurs ont rejeté cette idée car il fallait s’assurer que la chaleur du moteur puisse être évacuée dans l’atmosphère.)

Dans notre dernier numéro, nous avions fait l’essai de la BMW F800R à bicylindre parallèle et nous avions été étonnés de constater que, à l’instar de la S 1000 RR, même si sa partie mécanique était conventionnelle selon les normes de BMW, elle donnait l’impression de n’être rien d’autre qu’une BMW. Il y avait un je-ne-sais-quoi dans les commandes et les réglages de la suspension de la F800R qui révélait ses origines. Mais c’est un peu différent dans le cas de la S 1000 RR.

Je demande à Troy Corser, l’ancien champion du monde en superbike, de quelle façon la BMW se compare aux supersportives japonaises qu’il a pilotées. Après avoir réfléchi à la question pendant quelques instants, il me répond qu’elle intègre des éléments de toutes ces motos, puis ajoute, avec une authentique sincérité, qu’à son avis, c’est une moto aussi bonne que n’importe quelle autre moto à l’heure actuelle. Contrairement à presque toutes les autres motos sport européennes jamais construites, dont les performances sont évaluées en fonction de paramètres différents, la S 1000 RR s’est attaquée au créneau le plus difficile de l’industrie et s’est révélée, à bien des égards, être comparable à la compétition ce qui, en soi, en fait une bonne moto. Compte tenu de sa technologie électronique de haute technicité et de son prix, la S 1000 RR pourrait bien être la moto qui nous convienne le mieux, à vous et moi. Et nul besoin de tenir rigueur à ses origines européennes.

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