Triumph Thunderbird: invasion britannique

Par Uwe WachtendorfPublié le

Triumph vise l’Amérique moyenne avec un cruiser au style conservateur doté d’une grosse cylindrée. Mais cela suffira-t-il ?

Malgré la morosité de l’économie mondiale, l’année 2009 sera mémorable pour la marque Triumph, puisqu’elle prévoit écouler le nombre record de 50 000 motos. Le fabricant affirme être celui qui croît le plus au monde, mais pour maintenir son élan, il devra ouvrir de nouveaux marchés, c’est pour quoi la Thunderbird arrive à un moment critique. La vaste popularité du segment du cruiser est un monde peu exploité, et la marque a besoin d’y affirmer sa présence pour continuer son ascension.

Triumph promet de lancer bientôt plusieurs nouveaux modèles et il y a fort à parier que diverses variantes seront basées sur la Thunderbird. Ce cruiser de 1 597 cc rempli l’écart dans la gamme Triumph entre la costaude Rocket III et les plus légères Speedmaster et America. Ce cruiser veut répondre à la sensibilité américaine, et Triumph doit absolument se montrer à la hauteur. Le designer Tim Prentice de Los Angeles a sculpté les lignes de la Thunderbird et explique qu’il visait « une moto franche, honnête et mécanique » avec « une posture forte aux proportions musclées ».

On constate son succès dès le premier regard, mais on peut aussi lui accoler un autre qualificatif : anodine. N’eût été de sa caractéristique principale – son moteur bicylindre parallèle T-16 – elle se noierait dans une mer de cruisers semblables. Mais ce conservatisme (peu coutumier chez un fabricant comme Triumph qui sait prendre des risques) est intentionnel : on ne conquiert pas l’Amérique moyenne avec un cruiser du genre de la Rocket III ; cela aussi, ça s’apprend.

Mais mécaniquement, rien n’est banal sur cette moto. Clairement, Triumph a beaucoup planché pour trouver la bonne recette. Comme l’explique Warburton « Une sportive, c’est facile, on peut la développer sur un dynamomètre, on y recherche la puissance et les révolutions. Mais développer un moteur de cruiser n’est pas aussi simple qu’on pense. La Thunderbird pourrait facilement déployer plus de puissance et de couple, mais on ne la ressentirait pas comme il se doit. Sa conception cherchait à lui donner du caractère. Et quel caractère !

Triumph devait lancer la Thunderbird il y a un an, mais ce fut reporté lorsque Harley-Davidson présenta sa nouvelle transmission à six rapports. Consciente que la Thunderbird devrait faire la lutte à Harley, Triumph a mis de côté sa boîte à cinq rapports pour concevoir à sa place une transmission à six rapports. Que Harley-Davidson soit dans le collimateur, ce n’est pas surprenant; tout fabricant qui convoite une part du marché des cruisers doit aller piger dans les parts de marché de ce Goliath. Mais Warburton demeure réaliste : « Nous ne remporterons pas tout le marché du cruiser. On ne délogera pas Harley de si tôt – peut-être même jamais.»

Heureusement que Triumph possédait déjà un bon héritage. Le nom Thunderbird est revenu régulièrement dans la gamme depuis la 6T 1951, et la monture la plus récente est le plus gros bicylindre parallèle jamais réalisé, contredisant bravement l’emploi du V-twin dans les cruisers. Comptant sur de doubles arbres à cames en tête, quatre soupapes et deux bougies par cylindre, le vilebrequin à 270° reproduit la cadence d’un bicylindre en V. Des arbres de balancier devant et derrière le vilebrequin calment les vibrations indésirables.

L’interconnexion fondamentale ne s’arrête pas là. La Thunderbird laisse entendre une belle musique, même avec les pots d’échappement de série. Bien que son bicylindre parallèle ne possède pas le grondement d’un V-twin au ralenti, il lui ressemble davantage quand les révolutions augmentent. L’un des exemplaires d’essai était équipé de silencieux de remplacement (540 $).

Sur un feu rouge, quelqu’un de notre groupe a donné un petit coup d’accélérateur et, bien que j’aie apprécié le geste, les automobilistes autour semblaient irrités. C’est précisément ce comportement antisocial que cette moto fait ressortir en vous. La Thunderbird de base a l’attitude d’un rustre dans une brasserie – toujours prête à se rebiffer et à foncer. Et encore pire, cette grosse cylindrée recèle un cœur hooligan de vengeur !
 
En version de série, Triumph annonce 85 chevaux à 4 850 tr/min et un couple de 108 lb-pi à 2 750 tr/min. Le kit de gros alésage porte la cylindrée à 1 700 cc pour un gain de 15 chevaux et de 7 lb-pi de couple. Ce kit de 1 080 $ comprend des arbres à cames, des pistons, des garnitures de cylindres et des ressorts d’embrayage, tous modifiés, et pour s’assurer de ne pas être confondue avec une version de base relevée, elle porte l’inscription « 104 pouces cubes » embossée sur son couvercle d’embrayage. Le coût n’inclut pas les 10 ou 12 heures de travail du concessionnaire pour installer l’ensemble.

Contribuant aux performances, le bloc de commande électronique surveille la vitesse d’action de l’accélérateur et utilise cette information pour choisir laquelle des deux cartographies d’alimentation sera automatiquement déployée par les deux corps de papillon de 42 mm. Triumph appelle ces deux modes « sport » et « cruise » et, bien que conçus pour harmoniser le débit du moteur avec l’intention du conducteur, on dit aussi qu’ils abaissent la consommation.

À l’exception du premier rapport, les pignons de la boîte à six vitesses sont taillés de façon hélicoïdale afin de réduire les bruits mécaniques et le coup de fouet de la partie cycle. Les changements de rapport sont souples et l’embrayage par câble est léger, ne craignant que la circulation en accordéon. Le rapport supérieur agit comme surmultiplication à des vitesses d’autoroute, transformant le ronronnement régulier du moteur en un battement de cœur assuré. Une courroie amène la puissance à la roue arrière, ce qu’on n’avait pas vu sur une Triumph depuis le modèle H des années 1920.

Triumph voulait que la Thunderbird se manie de manière précise et neutre, et c’est ce qu’elle fait. Les débuts de virage demandent un effort normal pour une machine de 339 kg (746 lb) mais on y parvient aisément grâce au large guidon. Une fois inclinée en virage, elle tient facilement sa ligne, ne requérant qu’une légère pression pour modifier la trajectoire. Ce cruiser se manœuvre comme un charme sur les routes en épingle, demeurant stable en forte inclinaison, mais sa garde au sol modeste étant son seul reproche.

Ses suspensions et ses pneus ont été conçus en collaboration avec les fournisseurs. La fourche Showa de 47 mm est non réglable tandis que la suspension arrière s’ajuste en précharge, dont le cran le plus bas accommode un conducteur de 85 kg (187 lb). Le roulement est souple sur les irrégularités de la route, mais suffisamment ferme pour les virages et freinages énergiques. Pour être franc, les routes européennes de notre essai ont peu en commun avec celles du Québec, et ce n’est que lorsque la Thunderbird s’engagera sur nos chemins parsemés de nids-de-poule qu’on saura si cette qualité demeure. Metzeler a conçu une version modifiée de son pneu ME880 Marathon spécialement pour la Thunderbird, la chaussant d’un 120/70R19 devant et d’un 200/50R17 derrière, ce qui assure un bon mordant sur les routes de montagne.

Pour attester du bel équilibre de la Thunderbird, rien de tel qu’une longue session de changements de voie. Sur le retour vers Barcelone, nous avons dû affronter l’heure de pointe du vendredi après-midi et nous faufiler entre les voitures immobiles sur plus de 20 kilomètres. C’est une activité légale dans un pays où le scooter est l’arme ultime, et la Thunderbird se tire bien d’affaire, se glissant à côté des automobilistes frustrés avec à peine un ou deux pouces entre leur rétroviseur et son guidon…

La nacelle d’instruments montée sur le réservoir force le conducteur à quitter la route des yeux et serait inutilisable avec une sacoche de réservoir. Le compteur de vitesse occupe la moitié supérieure du grand cadran, tandis qu’un tachymètre plus petit se trouve dans la partie inférieure. Entre les deux loge un écran à cristaux liquides contrôlé par une touche à droite sur le guidon. Celle-ci permet de choisir les modes d’affichage, mais elle se trouve là où on s’attendrait à voir le bouton du démarreur. Plusieurs personnes (dont moi-même) ont fait l’erreur d’essayer de démarrer la moto avec le mauvais bouton.

La selle est large mais ferme, et bien que je craignais qu’elle ne devienne inconfortable après une longue journée, ce fut mieux que prévu. Avec une hauteur de 700 mm (27,6 po), elle convient à la plupart des jambes et favorise l’accès au guidon et aux repose-pieds. Toutefois, la distance aux manettes est considérable et l’ajustement de leur débattement devrait être disponible en équipement standard. Même avec mes grandes mains, je les aurais préférées un peu plus proches des poignées, surtout la manette de freinage.

La Thunderbird s’immobilise par trois disques de 310 mm, pincés devant par deux étriers Nissin à quatre pistons, et derrière par un étrier Brembo à deux pistons. Ce système est extrêmement puissant et facile à moduler, à l’aise sur les routes de montagne, comme l’ont démontré quelques-uns d’entre nous en se faisant une lutte de freinage façon Grand Prix à l’approche des virages. Triumph offre un système ABS pour un surplus de 1 000 $, et ce serait un investissement prudent.

La Thunderbird se trouvera déjà dans les salles d’exposition lorsque vous lirez ces lignes. À 14 899 $, c’est une bonne valeur – tant que vous ne tombez pas dans le catalogue d’accessoires Triumph qui contient plus de 100 articles pour personnaliser votre moto… 

Au cours de notre randonnée, nous avons serpenté sur les routes montagnardes de Montserrat en Catalogne, apercevant furtivement l’abbaye bénédictine Santa Maria de Montserrat tout en haut. La légende du roi Arthur et de Parsifal mentionne cette abbaye comme hébergeant le Saint Graal, ce qui est précisément ce que recherche Triumph avec cette moto. Il sera intéressant de voir l’accueil que réserveront les conservateurs du cruiser à un bicylindre parallèle. À voir ses performances, elle devrait faire bonne figure et, bien que son style ne renverse rien, au moins il ne choque pas. Cela peut sembler mitigé, mais les cruisers sont jugés selon des critères fort différents de ce qui a fait le succès de Triumph dans le passé.¬

« Que Harley-Davidson soit dans le collimateur, ce n’est pas surprenant ; tout fabricant qui convoite une part du marché des cruisers doit aller piger dans les parts de marché de ce Goliath. »

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Journaliste d’un jour

Glenn Middleton, un détective privé de 46 ans de la Gold Coast australienne, est assis à côté de moi lors d’un dîner qui suit une présentation offerte par Triumph. Ma mauvaise conscience me dicte une liste de raisons justifiant sa présence, mais, avant que je tombe dans la paranoïa la plus totale, Middleton déballe tout. En fait, il a participé à un concours en envoyant son formulaire par la poste six jours avant la date limite et il a gagné un voyage à Barcelone, en Espagne. Il y sera le premier membre du public à essayer la nouvelle Thunderbird.
 
En considérant le parcours de Middleton, Triumph a trouvé un gagnant qui le méritait. Il conduit des motos depuis vingt ans et il possède présentement deux Triumph : une America 2008 et une Sprint 2009. Mais Middleton reconnaît que sa fidélité à la marque lui a été transmise par son frère aîné. « C’est lui qui m’a allumé. Comme policier, il patrouillait sur une Triumph et maintenant, c’est tout ce qu’il pilote – il a même commandé une Thunderbird ».

Middleton, un Australien typique, s’exprime ouvertement. Pendant le dîner, Simon Warburton, directeur de produits chez Triumph, lui demande quels changements Triumph devrait apporter à ses motocyclettes. Je ne m’attendais pas à une telle avalanche d’idées sur le design et le développement. J’ai pu glaner de leur conversation qu’une nouvelle Sprint est en production.

Middleton se retrouve dans mon groupe d’essayeursle matin suivant et il paraît apprécier la dernière Triumph. Ses six pieds quatre pouces et ses 300 livres donnent du travail supplémentaire à l’équipe de service de Triumph. J’entends dire qu’on règle la suspension à 3, alors que pour toutes les autres motos, la suspension est réglée à 1…

À la fin de notre randonnée, je demande à Middleton son opinion sur la Thunderbird. « C’est un cruiser très stable, très maniable – ce qu’un cruiser n’est habituellement pas. C’est le meilleur cruiser que j’ai essayé et c’est fantastique de voir que les cruisers peuvent négocier les courbes comme les autres modèles de moto. Ç’a été une journée extraordinaire et c’était merveilleux de côtoyer des mordus de motos. » Oh ! Vous voulez dire des journalistes ? « Oui, c’est un groupe étonnamment varié. » Vraiment, c’est certainement une façon polie de l’exprimer.

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