Honda Fury, un ‘vrai’ chopper

Par Uwe WachtendorfPublié le

Il a fallu 30 ans pour qu’un fabricant japonais réussisse à reproduire l’allure d’un chopper classique américain. Faites connaissance avec la Honda la plus inattendue à ce jour.

Suivies par une traînée de poussière, deux motos tout-terrain s’arrêtent au bar La Contentaa , à l’extérieur d’une petite ville mexicaine. Sous le regard d’habitants édentés, un motocycliste élancé accote sa moto sur le mur usé. Les deux hommes disparaissent ensuite derrière la cantine pour revenir avec deux batteries  de moto remplies de cocaïne. Dès leur retour à Los Angeles, ils achètent ce qui s’avérera être la motocyclette la plus emblématique de la culture américaine, Captain America, le chopper du film Easy Rider. La route qui mène de Captain America à la Honda Fury sera longue et alembiquée. Elle oppose deux concepts, soit le désir du motocycliste d’exprimer son individualité et la tentative de l’industrie de tirer profit du phénomène. Le chopper est l’expression d’une créativité et l’élimination symbolique de tout ce qui n’est pas essentiel; c’est la recherche de la machine unique. Mais est-ce qu’une motocyclette de série peut être un véritable chopper ? Est-ce que la reproduction sur une chaîne de montage détruit le caractère unique ?

L’une des motivations de Honda dans la fabrication de la Fury s’accorde avec la philosophie derrière le chopper, soit le désir du fabricant de se libérer de la conformité du design et de s’éloigner de la stagnation des dernières années. Selon eux, la Fury est le penchant sauvage de Honda, constituant également une nouvelle direction pour les cruisers. Même si la Fury ne vous plaît pas, il est impossible de négliger son importance. La majorité des nouvelles motocyclettes offrent des améliorations progressives sur les modèles précédents. Une coupure radicale, comme la Fury, est rare.

En voyant la Fury pour la première fois, je l’ai trouvée beaucoup plus belle que je m’y attendais. Le triangle formé par les tubes du cadre au-dessus du moteur, qui avait l’air énorme sur les photos, est moins proéminent dans la réalité. L’angle du point de vue des photos avait exagéré son allure. Tous les éléments caractéristiques des choppers sont là : l’angle excessif de la fourche, la roue avant de 21 pouces et la carrosserie minimaliste. L’objectif du design de Honda était d’amplifier la longueur, un aspect qu’on comprend immédiatement en s’assoyant sur la selle basse (678 mm/26,7 pouces). C’est à partir de cette perspective qu’on perçoit réellement la longueur du cadre et du réservoir. Ce dernier commence de la même forme que le gros nez de Jimmy Durante et se biseaute jusqu’à ce qu’il ressemble à la taille imposée par un corset victorien. La Fury semble avoir un empattement plus long qu’affiché, mais ce n’est que de 5 mm de plus que la Yamaha Raider et 405 mm de moins que l’Original d’Orange County Choppers.
 
La Fury est équipée du moteur VTX1300 bicylindre 52 degrés de 1 312 cm3, avec des arbres à cames et un système d’injection de carburant faits pour la Fury. Ceux qui connaissent le moteur VTX seront surpris de constater qu’il a l’air si gros dans la Fury; d’ailleurs, un autre objectif du design était de faire en sorte qu’on voit tout le moteur pour lui donner une apparence massive dans le cadre fait de tubes d’acier.

Comme le dit Honda, la Fury devait émettre le son d’un chopper et celui qu’elle produit est réellement plus fort que ce à quoi on s’attendrait d’une cruiser japonaise de série. Sa sonorité d’échappement gutturale contribue à créer une autre illusion, soit celle d’une accélération puissante. La performance de l’accélération reflète ce qu’une cruiser de 302 kg (666 lb) devrait produire : ouvrez les papillons des gaz pour les dépassements sans limites de temps, mais rétrogradez d’une vitesse si vous croyez vous faire prendre.

Une conduite en cinquième vitesse avec papillons complètement ouverts sera rapidement restreinte par le limiteur de révolutions qui prend effet à 175 km/h. Sur l’autoroute, le jeu de direction et le réservoir élevés coupent le vent, permettant de rouler confortablement à 130 km/h. Munie de seulement cinq vitesses, je m’attendais à ce que la Fury soit axée sur la vitesse, mais les ratios semblent avoir été bien choisis. Les trois vitesses inférieures sont basses et parfaitement adaptées à la ville, alors que les quatrième et cinquième vitesses permettent à la Fury de voguer efficacement sur les autoroutes.

La transmission finale par arbre est issue directement de la moto VTX1300. Honda admet toutefois qu’ils ont tenté de faire passer le moyeu arrière pour un frein à tambour, mais ce n’est pas tout à fait réussi. Les situations où l’on doit utiliser beaucoup de puissance provoquent un léger saisissement de l’arbre, mais ce n’est pas assez pour être agaçant.

Dans Easy Rider, Dennis Hopper et Peter Fonda roulent avec un air de satisfaction « postdéfonce », ne montrant jamais l’inconfort associé à un chopper sans suspension arrière. Mais Jack Nicholson, le passager, parlant avec franchise de la réalité des choppers faits à la main tandis qu’ils commandent de la nourriture dans un restaurant, n’est pas convaincu : « Je crois que je vais commander des reins puisque j’ai perdu les miens quelque part sur la route. » Si Nicholson avait été passager sur la Fury, il aurait commandé le spécial du jour. Pour un bolide aussi radical, la suspension fonctionne très bien. L’amortisseur arrière est caché pour conserver l’allure sans suspension et s’ajuste pour limiter les rebondissements et régler la précharge. La robuste fourche de 45 mm absorbe les irrégularités de la route beaucoup mieux que ne le suggère son angle.
Longeant la côte entre Daytona Beach et Savannah, en Géorgie, le soleil d’hiver réchauffe mon dos couvert de cuir noir.

La Fury s’avère plus confortable que je ne l’aurais crû, avec son guidon bien placé et sa selle qui compense très bien la position de conduite avec jambes vers l’avant en procurant un excellent soutien. La Fury encourage un rythme plus lent avec des arrêts fréquents plutôt que l’allure frénétique d’une motocyclette plus sportive; en cette journée, avec la mer à mes côtés, c’est une expérience enrichissante. Avec sa masse et un pilote près du sol, la Fury démontre un très bon équilibre, même lorsqu’elle roule doucement. Le braquage de la direction est suffisant pour effectuer des virages en U sans mettre un pied à terre, ce qui est surprenant pour une motocyclette avec un empattement aussi long. Les changements de direction à des vitesses élevées soulèvent toutefois un problème : la moto répond lentement, même si son système de direction est très léger. Le pneu avant mince a une traction précise, mais le pneu arrière de 200 mm prend du temps à changer de direction.

Bien qu’elle ne soit pas la plus lourde des cruisers, il faut considérer la mince roue avant lorsqu’on freine jusqu’à un arrêt. Le pneu avant de 90 mm peut se mettre à crisser en appliquant agressivement les freins (composés d’un étrier à deux pistons serrant un disque de 336 mm). Le long empattement des cruisers impose une plus grande proportion de freinage arrière pour avoir des distances d’arrêt raisonnables, mais, en tant qu’acheteur, je me sentirais plus en sécurité avec les freins antiblocages qu’on nous promet pour la Fury de l’année prochaine. Le tableau de bord est très simple. L’odomètre, muni d’un petit écran ACL encastré, est placé au centre du guidon et est fini d’une solide lunette chromée. Des témoins lumineux d’indication et d’avertissement sont cachés sous un couvert noir sous le tableau principal et sont bien lisibles, même avec un soleil direct. Que ce soit pour abaisser son prix ou son poids, il y a trop de plastiques sur cette motocyclette et ça déçoit. Le garde-boue arrière et le revêtement latéral chromé de la transmission fléchissent à la moindre poussée du doigt…

Ceux qui sont intéressés par cette nouvelle facette sauvage de Honda devront se départir de 16 115 $ pour pouvoir garer une Fury dans leur garage. Si les couleurs de base (noir ou rouge) ne vous plaisent pas, vous devrez vous satisfaire de la couleur argentée mate de notre moto d’essai, mais il vous en coûtera 200 $ de plus. Toutefois, ne vous attendez pas à ce que les dépenses supplémentaires s’arrêtent là. Honda offre déjà une panoplie d’options, comme une barre d’appui pour passager ou des sacoches avant. Et on ne parlera même pas des produits tiers !
 
Quand Honda affirme que des fabricants de motocyclettes artisanales ont regardé la Fury au salon de la moto d’Edmonton et ont dit qu’ils « avaient réussi », je suis sceptique, mais les gens que j’ai croisés le long de la route abondaient dans le même sens. Et même en faisant un mauvais virage qui m’a mené vers l’entrée d’une base navale américaine, l’agent de police qui m’a interpellé semblait plus intéressé par la moto que par le fait que je puisse être une menace pour la sécurité nationale. Ce qui m’a aussi surpris est le nombre de personnes qui reconnaisse immédiatement la Fury, même si, au lancement, elle n’était pas encore arrivée dans les salles d’exposition. Il serait facile de critiquer la Fury comme étant une VTX1300 redessinée, mais ça ne serait pas voir la Fury pour ce qu’elle est. Les cruisers brillent sur la route, pas à cause de leur mécanique; rouler avec la Fury pendant une journée a changé mon opinion sur les choppers. Si jamais je me retrouve avec une batterie de moto un peu spéciale, je me laisserai peut-être tenter !

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