Harley Davidson V-Rod Muscle, une Harley pour Louis Cyr

Par Uwe WachtendorfPublié le

Si vous croyez tout savoir sur Harley Davidson sans n’avoir jamais essayé une V-Rod, vous avez tort. Cette motocyclette possède un secret.

À peine à trois pieds de moi, un cours d’eau ruisselle sous le soleil de l’après-midi. Il y a un poisson qui frétille sur une roche, respirant comme un coureur après un sprint. En fait, il y a plein de pêcheurs en cuissarde dans le cours d’eau, décrivant de beaux grands arcs dans l’air avec leurs cannes. Mais personne ne remarque le poisson, là, à la vue de tous. Je descends sur la rive et lui donne un petit coup d’orteil pour qu’il puisse regagner l’eau. Le poisson part aussitôt; une vie a été sauvée. Le soleil continue de nous baigner de sa lumière. C’est magnifique.
 
Tout ça pour dire que la V-Rod de Harley est un poisson sur une roche, un poisson fort, mais personne ne lui prête attention. Les motocyclistes sont trop occupés à courir après les autres poissons. Pourtant, de tous les poissons, la V-Rod est celui qui mérite le plus d’être pris.

Harley-Davison est l’envie de l’industrie : leurs salles de démonstration ont une allure de galerie d’art, ils vendent beaucoup de motocyclettes et leurs clients préféreraient probablement emprunter le transport en commun plutôt que de conduire une autre marque ! Tous les autres fabricants ont essayé de leur prendre leur part du marché, mais en vain. Les gens achètent toujours plus de Harley. Harley rend les fabricants japonais complètement fous. Ils n’y comprennent rien. Et si nous avions grandi à Osaka, nous n’y comprendrions rien non plus. Au début, les Japonais ont eu une idée (une bonne idée, en fait) : fabriquer une moto de type cruiser qui ressemble à une Harley, lui donner une meilleure mécanique et un meilleur prix, et c’était certain qu’elle allait se vendre comme des petits pains. Mais les gens ont continué à acheter des Harley.

Cependant, quelque chose s’est produit en cours de route. Harley est devenu paranoïaque. Son raisonnement était comme suit : certaines personnes (pauvres, pauvres personnes) achètent d’autres marques parce qu’elles ont plus de puissance et ne vibrent pas autant. Donc, si Harley se mettait à fabriquer un modèle pouvant faire tout ce que ces marques inférieures font (pour Harley, toutes les autres marques sont inférieures), elle posséderait le marché des cruisers et mettrait tous les autres en faillite. C’était un plan parfait. Mais ça n’a pas fonctionné. Ce nouveau modèle était la V-Rod. Elle aurait dû attirer l’attention, mais en vain.

Comme tous les projets qui captivent l’esprit de femmes et d’hommes capables, c’en était un bon, quoiqu’un peu sournois. Mais comment vendre la technologie aux traditionalistes ? C’était ça, le problème. Si vous leurs dites « nous sommes sophistiqués, regardez ce qu’on peut faire », ils vous traîneront derrière la grange et vous en flanqueront une jusqu’à ce que votre prétention s’affaisse. Donc, Harley a décidé de faire une réplique de motocyclette de course. Pas l’une de ces motos sportives qui vous forcent à vous plier de façon pas naturelle. On ne peut pas se plier en deux pour se rendre à Sturgis. Harley a choisi de prendre le bolide de course américain par excellence, le dragster, et de le transformer en motocyclette. C’était brillant. Les fantaisies comme un radiateur et un arbre à cames en tête sont acceptables si elles sont utilisées strictement pour la vitesse. La première V-Rod a même été polie pour lui donner l’allure d’un grand suppositoire chromé ou du fuselage d’un avion de chasse. Mais ce fut un échec. Pourquoi ?

Il s’avère que ces adeptes de Harley étaient devenus très attachés à la façon dont les choses étaient déjà. Ils aimaient les tiges de culbuteur. Et ils aimaient la manière dont les nouveaux moteurs refroidis à l’air, qui demeuraient tout de même traditionnels, secouaient et branlaient dans le cadre. Et ils aimaient aussi le bruit (ah oui, ils raffolaient du bruit).

Mais Harley n’a pas abandonné. Les gens du Wisconsin n’abandonnent pas. Ils se sont retroussé les manches, ont bu du café, ont allumé leurs torches et ont commandé des pneus. Puis ils ont avisé leur famille respective qu’ils arriveraient tard à la maison. Très tard, ne m’attendez pas.

Le concept s’est donc incarné en différents modèles, avec des roues à rayons et des roues pleines, de la peinture brillante ou mate, avec beaucoup de chrome et sans chrome. Ils ont commencé à douter de leurs capacités. Peut-être que les stock-cars sont plus populaires que les dragsters. De retour dans l’atelier, ils ont créé la Street Rod, une V-Rod munie d’une suspension digne et ayant assez de dégagement pour les virages. Les journalistes se réjouissaient. Mais ce fut un autre échec et la Street Rod a été retirée du marché. (Et par le fait même, cette histoire répond aux questions touchant l’influence de la presse.)
 
Au sein de tous ces essais et ces échecs, il y a un fait qui semble s’être perdu. La V-Rod possède possiblement le meilleur moteur du monde de la motocyclette. C’est sérieux. Dans la gamme de motocyclettes qui ont été conçues pour la route, aucune n’est munie d’un moteur aussi bon que celui-ci. Il est doux et raffiné sans être fade, son couple est inépuisable et il émet une sonorité mélodieuse satinée. L’alimentation en carburant est parfaitement réglée. Nous sommes durs avec l’équipement, mais nous n’avons pas réussi à lui faire produire un contretemps… ou un pet ou n’importe quoi d’autre qui changerait notre opinion !

Néanmoins, Harley tente toujours de concevoir une moto qui captivera le public. La plus récente incarnation de la V-Rod est la Muscle. Contrairement aux modèles aux lignes allongées, typiques de la gamme V-Rod, la Muscle a des lignes beaucoup plus trapues. Le garde-boue arrière est coupé court, laissant la roue dépasser, le feu arrière fixé en dessous. Le bout des pots d’échappement est tourné vers l’extérieur, leur donnant une allure tronquée. La plaque d’immatriculation se trouve près de l’écrou d’essieu, sur le côté gauche.

Le pneu arrière mesure 240 mm de large, dépassant les proportions de Josée Lavigueur ! Il devrait être plus mince, mais les gros pneus ont la cote. Il rend le maniement de la moto plus difficile. Il faut donc être patient dans les virages, car les lignes droites sont divines. Les freins, des éléments souvent critiqués sur les Harley, doivent être bons parce qu’on n’a même pas eu l’occasion de se plaindre.

De petites ailes rivetées ont été ajoutées sur l’avant du réservoir (ce n’est pas vraiment le réservoir, c’est le couvert de la boîte à l’air; le carburant se trouve sous la selle). Elles sont munies de treillis d’acier, servant vraisemblablement à garder les petites bestioles à l’extérieur. Les instruments de bord à l’allure déco ont beaucoup de style et s’agencent bien au revêtement d’aluminium du guidon, mais cela soulève une question : pourquoi ne pas tout simplement avoir un guidon d’aluminium, éliminant les revêtements ? Le guidon est positionné à une distance confortable, mais les pieds sont placés loin du corps de la machine. Avec une hauteur de selle de 678 mm (26,7 po), la position de conduite de la V-Rod donne un peu l’impression de s’asseoir dans un kayak.

Toute discussion de la V-Rod commence et se termine avec le moteur. Le simple fait d’alimenter les papillons des gaz, peu importe la vitesse ou le rapport de vitesse (il y en a cinq, chacune d’elles vous accueille gentiment), vous offre une poussée vers l’avant si convaincante que vous tomberez sérieusement amoureux de ce moteur, vous faisant presque trop facilement oublier les éléments moins intéressants de la moto. Presque. La suspension arrière, avec ses amortisseurs doubles issus des années 1970, se trouve rapidement écrasée par la gigantesque masse du pneu arrière. Mais nous pouvons leur pardonner ça, même si nous ne pouvons pas oublier.

Il est difficile de ne pas succomber à la tentation d’imaginer le moteur de la V-Rod dans une motocyclette complètement différente. C’est un moteur lourd, mais installé dans une moto de tourisme sportif ou même dans une moto standard, ça produirait un bolide sublime. Les gens qui travaillent pour les magazines de motocyclettes l’aimeraient et tout le monde l’ignorerait. C’est un fait que nous pouvons accepter, même si nous souhaitons que ce soit autrement. Y a-t-il quelqu’un qui peut libérer ce moteur ?
 
En selle
La première fois que j’ai conduit une V-Rod, il y a à peu près trois ans, ça m’a sidéré. Pourquoi personne ne m’avait parlé de ce moteur avant ? Comment était-il devenu aussi bon ? Je sais que Porsche a participé à son développement, mais qu’est-ce que les Allemands connaissent à propos des V-twins? Je me demande si c’est vraiment le moteur qu’ils voulaient créer. Ou y avait-il une chimie spéciale dans la dynamique entre les Allemands et les Américains qui a produit des résultats magiques ?

Même avec les limites imposées par sa conception, la V-Rod demeure une bonne motocyclette, mais il est impossible de ne pas imaginer son moteur dans une autre monture. Je crois qu’il n’y a aucune autre motocyclette qui me fait penser à cela; nous concevons des objets, y compris les motocyclettes, comme des touts plutôt qu’en pièces détachées. Mais je n’arrive pas à me débarrasser de cette idée, même si elle ne sert à rien.
Neil Graham

Quand j’étais jeune, les magazines que je lisais contenaient des publicités pour des lunettes à rayons X, des singes de mer et Charles Atlas, qui promettait de transformer les hommes chétifs en messieurs muscles. Les ingénieurs de Harley-Davidson ont dû lire les mêmes choses, car leurs promesses sont similaires. Les publicités de H-D ne le disent pas directement, mais la V-Rod Muscle est réellement un outil de culture physique déguisé en motocyclette; il fait usage des plus récentes découvertes en isométrie de résistance au vent pour former de plus gros cous, des jambes et des bras plus puissants, et raffermit le postérieur à l’aide d’un système de pilonnage du derrière breveté.
 
Bon, je blague. La Muscle est en fait la première V-Rod que mon corps peut supporter la durée d’un réservoir de carburant. Et même si le gros pneu arrière et la suspension inadéquate compromettent son maniement, le moteur Revolution fait en sorte qu’il vaut vraiment la peine de l’essayer. Je ne me suis jamais lassé de pousser cette moto au maximum, papillons des gaz grands ouverts, appréciant son vrombissement sourd tout en m’accrochant bien fort, le paysage défilant en accéléré.
Uwe Wachtendorf

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