Buell 1125CR 2009. on se met à nu

Par Uwe WachtendorfPublié le

La 1125R lancée l’année dernière se déshabille et se prépare à livrer bataille dans les rangs des motos dénudées. 

Erik Buell ne mangeait pas sa soupe, ce qui était une honte ; la nourrissante entrée de soupe aux carottes rehaussée d’un soupçon de crème sûre aurait pourtant constitué le remontant idéal après notre glaciale virée matinale. Repoussant sa soupe, il demeurait absorbé par son Blackberry, qui exécutait une recherche des résultats du rallye Dark Dog, une obscure course de plusieurs jours se déroulant en France. Ce n’est qu’une fois le plat principal servi que je l’entendis s’exclamer « Oui ! », et que j’aperçus le mouvement frénétique de va-et-vient de son bras nous signalant qu’il avait enfin trouvé ce qu’il cherchait. Le sourire fendu jusqu’aux oreilles, il nous expliqua qu’une 1125R était en tête du peloton, et tandis qu’il continuait de nous exposer les détails de la course, je me mis à songer à quel point ce moment résumait parfaitement l’homme et la compagnie qui portait son nom.

Malgré les succès cumulatifs de la marque, Erik Buell demeure un passionné de moto terre-à-terre et authentique, animé de la volonté indéfectible de construire des motos qui repoussent sans cesse les conventions établies. Le dévoilement officiel de la Buell 1125CR avait eu lieu deux jours plus tôt dans une section isolée de la station de métro berlinoise U3 à Postdamer Platz. Faisant partie d’un groupe hétéroclite de journalistes, j’avais été conduit dans les confins d’une section inachevée d’une voie ferrée située à peine à 500 mètres des restes d’un autre bunker souterrain tristement célèbre de la ville. Tandis que nous étions plongés dans la pénombre, la trame sonore de cette scène surréaliste était ponctuée d’un bruit s’apparentant à un battement de cœur bruyamment amplifié qui dura de façon ininterrompue pendant une demi-heure, jusqu’à ce que ce bruit soit enterré par le son d’une 1125CR qu’on démarrait, son phare avant m’aveuglant au loin.

La vision apocalyptique qui s’ensuivit était impressionnante ; la cacophonie d’un V-twin révolutionnant à haut régime et le crissement d’un pneu qu’on faisait griller se réverbéraient sur le ciment, tandis qu’une épaisse fumée émanant du caoutchouc qui brûlait voilait lentement la scène. Buell venait de nous asséner l’image coup de poing qu’il voulait que le monde entier associe à la 1125CR : celle d’un café racer réincarné au son rauque et débordant de personnalité – l’arme ultime de la brute urbaine. Si nous avions été crédules, nous aurions pu nous contenter de finir notre bière et partir sans demander notre reste. En fait, nous allions plutôt tester cette machine pendant deux jours avant de décider si elle était ou non à la hauteur de ses prétentions. La comparaison visuelle entre la 1125CR et le modèle R ne marquait pas un bon départ. À première vue, les deux motos semblent presque identiques, la seule différence marquée étant la substitution du demi-carénage du modèle R par un saute-vent aux lignes mieux définies sur la CR, et des guidons différents.

Un œil plus aiguisé remarquera également que l’étrier de frein avant de la CR, le ressort de l’amortisseur et les ajusteurs de la fourche ont été peints en rouge vif, et que chaque roue a été enjolivée d’une rayure. Compte tenu de l’approche minimaliste qu’inspire un café racer, il est étonnant de constater que les énormes grilles qui font saillie sur les flancs de la R ne viennent pas gâcher son look de moto dénudée. Les prises d’air qui amènent l’air aux radiateurs montés longitudinalement et agissent comme protecteurs du cadre lors des mises sur l’angle sont l’une des caractéristiques qui font qu’on aime ou qu’on déteste la 1125R ; mais peu importe ce qu’on en pense, elles permettent effectivement à la moto de se démarquer du reste de la concurrence. La seule différence sur le plan mécanique est la transmission finale de la R, dont le ratio passe de 2,593 : 1 à un ratio plus rapide de 2,815 : 1. Apparemment, ce changement permettrait à la CR d’atteindre 100 km/h à partir de l’arrêt en à peine 2,7 secondes, et même si elle semblait un peu plus rapide que la R, ces performances attribuées semblent quelque peu optimistes. Ce qui importe le plus toutefois, c’est que Buell a réglé les problèmes du modèle 1125 original et a apporté des améliorations aux modèles R et CR 2009. Presque tous les problèmes que j’avais relevés sur la 1125R semblent avoir été corrigés ; l’alimentation par crans à bas régimes et la chaleur excessive dégagée par le moteur ont disparu à la suite de la modification des cartographies d’allumage et d’alimentation et du déplacement du capteur d’oxygène et des injecteurs de carburant.

Selon les ingénieurs de Buell, ces changements auraient également permis d’améliorer de 20 % l’économie d’essence et de faciliter le démarrage du moteur. Cependant, malgré ces modifications, les ventilateurs de refroidissement continuent de fonctionner pendant un long moment après l’arrêt du moteur. On m’a assuré que c’était le résultat d’un réglage plus modéré du thermostat plutôt que d’un quelconque problème de surchauffe du moteur. Notre prise de contact avec la CR a débuté par des tours de piste torrides sur le circuit Spreewaldring, une installation d’essais au tracé étroit, située à 70 km au sud de Berlin. Même si la configuration restreinte de la piste ne nous permettait pas de sélectionner le 4e rapport sur la moto, cette piste s’est révélée l’arène parfaite pour mettre en valeur la tenue de route et le freinage exceptionnels de la Buell. Avec ses réglages d’usine, la CR semblait parfaitement dans son élément sur la piste, et inspirait confiance pour la pousser encore plus loin, tour après tour. Selon les caractéristiques techniques de la CR, celle-ci afficherait un angle d’inclinaison maximal de 50 degrés, mais pour atteindre cet angle, il faut d’abord acquérir l’habileté de dégager les pieds ; il m’a fallu limer un protecteur d’orteil avant de trouver une façon de maintenir mon pied plus haut sur le repose-pied. L’agencement des pneus de série Pirelli Diablo Corsa III a certainement contribué à la tenue de route impressionnante de la CR.

Les pneus à gommes multiples de 120/70 à l’avant et de 180/55 à l’arrière ont mis à l’épreuve la résistance à la torsion du châssis, et ont permis de prouver dans les courbes rapides et les enchaînements successifs de virages que le cadre était en mesure de résister à l’adhérence tenace des pneus. Développant une puissance et un couple attribués respectifs de 146 ch et 82 lb-pi, le V-twin Helicon de 1125 cm3 refroidi par liquide se veut un moulin convivial. Pour le pilote moyen, sa livrée de puissance linéaire et sa vitesse d’accélération modérée conviennent mieux aux journées d’essai en piste qu’un quatre cylindres en ligne à haute révolution. Pour mettre en pratique cette théorie, j’ai amorcé ma journée en changeant de rapport à la valeur de couple maximale de 8 000 tr/min, plutôt qu’à 9 800 tr/min où la puissance maximale est atteinte, et j’ai constaté que je n’avais pas été pénalisé outre mesure par ce test. Même après des heures d’utilisation frôlant la zone rouge, aucune vibration gênante ne s’est fait sentir. L’Helicon utilise trois arbres d’équilibrage, ce qui ramène les vibrations du bicylindre à un niveau procurant une sensation plaisante de combustion contrôlée.

Sur une note plus superficielle, j’ai été déçu du son produit par les échappements de la 1125. Quelque part au cœur du pot catalytique fixé sur le côté inférieur de la machine jaillit le son rauque et robuste qui confère à un bicylindre sa personnalité si attrayante. Même si les concepteurs de Buell ont arrondi et adouci la surface des échappements pour obtenir un son de baryton, les contraintes découlant de la conformité à la réglementation en matière de réduction des émissions et contre le bruit se sont répercutées sur la signature acoustique de la CR. L’immobilisation de la masse (170 kg/375 lb à sec) de la CR met en jeu une autre caractéristique propre à Buell. Bien qu’il soit possible que le frein arrière monté sur le bras oscillant et le disque de 240 mm ne fassent pas froncer les sourcils, le simple frein avant ZTL2 entraîne habituellement un deuxième coup d’œil. Il est doté d’un étrier à huit pistons agrippant quatre plaquettes de frein (mis à niveau en 2009) sur le massif disque de 375 mm fixé sur le bord de la jante.

Cette configuration permettrait de réduire le poids non suspendu à l’avant de 2,5 kg (5,5 lb) comparativement à la GSX-R1000. Une fois actionnés, les freins fonctionnement certes très bien ; grâce à son fort mordant initial, le système de freinage sans ABS est facile à moduler et ne présente aucun signe de fading lors de freinages énergiques. J’ai eu l’occasion de tester l’embrayage à limiteur de contre-couple HVA (Hydraulic Vacuum Assist) en freinage intense. En tentant de trouver une ligne plus rapide à l’amorce de la courbe Lundt se négociant en première, je rentrais souvent trop rapidement et me retrouvait à devoir rétrograder de façon tellement agressive que cela aurait pu entraîner un blocage de la roue arrière. Heureusement, le système HVA s’activait discrètement, m’épargnant des sorties de piste embarrassantes et me permettant de négocier le virage avec un minimum de maîtrise. Ayant récemment piloté une 1125R affichant une mauvaise tenue de route et un réglage inadéquat, j’étais heureux de pouvoir compter sur l’aide d’un spécialiste en suspensions qui faisait la mise au point de la moto d’essai de chaque pilote.

La fourche Showa de 47 mm et l’amortisseur arrière sont réglables en compression, détente et précontrainte du ressort, et leur conception fait en sorte que la moindre altération des réglages entraîne une modification palpable de la tenue de route. Avant de pouvoir m’engager dans le virage en épingle à rayon constant à la fin du long droit, je devais freiner intensément de façon à réduire ma vitesse de 140 km/h. Sous cette contrainte, le train avant de la CR produisait suffisamment d’oscillation pour me donner l’impression que je tentais le destin, et j’ai abandonné l’idée de négocier ce virage avec plus de force jusqu’à ce que le régleur démontre qu’en ajoutant un seul cran à la précontrainte de la fourche, on pouvait régler le problème. Le programme de la deuxième journée prévoyait un trajet de 220 km dans le paysage rural de l’ancienne Allemagne de l’Est, et une virée sans entrave fort attendue sur l’Autobahn.

Alors que notre convoi de Buell dans leur livrée Midnight Black et Racing Red traversaient d’innombrables petits villages dispersés reliés par des routes dont le revêtement ressemblait parfois à des chemins de charroi, la CR a su démontrer ses capacités dans des conditions de conduite sur route. Parmi la liste des caractéristiques qui m’ont impressionné figure la solide conception ergonomique. Quand j’ai vu les guidons Clubman pour la première fois, j’ai supposé que cette moto ne serait endurable qu’à petites doses, mais les apparences peuvent être trompeuses, et la position de conduite s’est révélée très confortable. La selle allongée permet d’adopter diverses positions de conduite, et elle répartit également le poids du pilote entre ses mains, ses pieds et son arrière-train. On nous a invités à essayer un modèle équipé d’un guidon accessoire qui positionne le pilote dans une position relevée. Les guidons plus hauts constituent habituellement une option plus confortable, mais ceux-ci donnaient une impression d’être détachés de la machine, impression qui faillit se concrétiser un peu plus tard au cours de mon essai. Alors que la bretelle d’accès à l’Autobahn devenait visible, je savais que j’avais été dupé.

À l’arrêt précédent, un autre journaliste m’avait demandé d’échanger nos motos – son modèle équipé de guidons plats contre mon modèle de série muni d’un guidon Clubman. Comment a-t-il su que nous étions sur le point d’accéder à l’autoroute à haute vitesse ? Je n’en ai aucune idée. Mais mon expérience avec ce genre de routes me dit qu’il n’aurait pas pu choisir meilleur moment pour procéder à notre échange. Telle une meute d’hyènes folles reniflant une proie, notre groupe se rangea rapidement dans la voie de gauche sur l’autoroute avant que la situation dégénère et fasse place à l’anarchie. Soudainement, chaque CR sur la route roulait sur la testostérone ; sachant qu’Erik Buell se trouvait directement derrière moi, et ne souhaitant rien d’autre qu’il y demeure, je me fis aussi petit que possible sur la CR en maintenant les gaz ouverts à fond. Alors que le compteur de vitesse numérique dépassait la barre des 250 km/h, il n’y avait aucune issue à l’augmentation exponentielle de la pression du vent, et j’eus subitement l’impression que je m’accrochais à l’aile d’un avion agricole avec toute l’énergie du désespoir.

Cet essai de vitesse superflu confirma l’évidence même : la vitesse de pointe de la CR non seulement vous conduira dans toutes les prisons au Canada, mais il est également impossible de soutenir cette vitesse avec le moindre degré de confort. On trouve toujours quelque chose à redire à propos d’une moto, et bien qu’il soit plus facile de tolérer certaines choses telles qu’un affichage de température ambiante irrégulier ou un système de commutation qui semble provenir tout droit de Canadian Tire, il n’y a aucune excuse pour les rétroviseurs qui ne réfléchissaient que la collection d’insectes morts collés sur mes bras. D’après les commentaires que j’entends généralement de la part de ceux qui ne sont pas familiers avec Buell, il faudra encore un certain temps avant que la compagnie se débarrasse complètement de son image de constructeur utilisant des moteurs refroidis à l’air archaïques.

Sur papier, la 1125CR affiche un meilleur ratio poids–puissance comparativement à la Super Duke de KTM, à la Monster S4RS de Ducati, à la Speed Triple de Triumph et à la Tuono d’Aprilia, et avec son PDSF de 12 599 $, elle se détaille quelques milliers de dollars de moins que la plupart de ses concurrentes.  J’ai quitté Berlin en étant fort impressionné. La CR était très facile à piloter, et aussi bien adaptée à la conduite sur route que sur piste. Sa livrée de puissance malléable et son châssis bien équilibré font d’elle une option intéressante pour quiconque envisage l’acquisition d’un café racer confortable et moderne. 

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