La ZX-6R sortante était une moto assez compétente pour remporter une paire de titres canadiens, mais elle se trouve sacrifiée à l’autel du progrès avant d’avoir célébré son troisième anniversaire. Les mauvaises habitudes ont la vie dure, et en voilà une qu’il faudra surmonter. En pilotant la ZX-6R 2009 sur la piste d’essai de Kawasaki au Japon, j’ai sensiblement raccourci la distance qui me séparait de deux autres pilotes très rapides qui m’avaient doublé quelques tours auparavant. Un pilote plus acharné que moi tenta un dépassement risqué, mais je me méfiais. Heureusement, parce que le virage auquel je m’attendais – un large tournant vers la droite en quatrième rapport – était plutôt vers la gauche en deuxième. La raison de cette méprise est simple : je ne me rappelais plus où j’étais. Cette habitude que j’ai, de penser que j’ai mémorisé un circuit environ une séance avant la réalité, a au moins le mérite d’illustrer les prouesses remarquables d’une moto sportive contemporaine, ici la ZX-6R redessinée. Freinant jusqu’au point où je sentais la roue arrière s’affranchir du bitume, j’ai relâché mes deux doigts sur la manette du frein avant juste assez pour la faire revenir au sol.
Tout en freinant énergiquement, je rétrogradai deux fois et gravis l’apex de la courbe. Et voilà ce qui est formidable avec ces machines, car, aussi infiniment capables soient-elles en course, elles demeurent prévisibles et rassurantes à un rythme plus normal. Mais comment une moto peut-elle à la fois répondre aux habiletés d’un pro et inspirer confiance à un débutant ? Les ingénieurs de Kawasaki nous ont montré un graphique pour représenter cette apparente contradiction, une illustration énigmatique d’un triangle épais superposé à un triangle plus mince. Ils essayaient, je crois, de démontrer que le petit triangle épais du débutant se niche exactement dans le grand triangle mince du pro. Heureusement, nous n’avions pas à comprendre cela pour savoir, comme l’ont démontré mon entrée en virage approximative et sa -résolution sans panique, que la ZX 6R possède des limites stupéfiantes.
Si vous atteignez ces limites à chaque virage, c’est que vous êtes Jordan Szoke ; si vous y parvenez de temps en temps comme moi, il y a de bonnes chances que vous vous en sortiez assez bien. Les ingénieurs de Kawasaki (un groupe sérieux, qui ne sourit jamais, préoccupé par les longues nuits blanches à développer des motos) m’auraient sans doute affirmé que mon calme sous la contrainte était attribuable à la nouvelle fourche Big Piston de Showa (toute amélioration sérieuse doit se nommer par un acronyme, comme BPF dans ce cas-ci). Comparée à une fourche à cartouche de même diamètre externe, la BPF est constituée d’un piston principal presque deux fois plus grand, ce qui fait que l’huile agit sur une surface environ quatre fois plus importante. Il en découle, selon Kawasaki, que la pression est réduite alors que la force de freinage reste la même, ce qui amenuise l’effort initial de la fourche sous la compression et calme le processus à mesure que le poids est transféré vers l’avant sous freinage brusque.
Cela fait que même si vous paniquez, la machine, elle, non. Et bien sûr, tout cela est plus léger, car la fourche de la BPF comporte moins de pièces que la version précédente. Le développement dans la catégorie supersport semble avoir atteint un plateau, car Kawasaki annonce avec ce modèle qu’elle passe à un cycle de développement de trois ans au lieu de deux. Les gains de performance actuels sont modestes et atteints de haute lutte et, si j’avais moi-même à retrancher du poids, je réfléchirais aussi sévèrement que les ingénieurs. Par exemple, le changement de place du maître-cylindre du frein arrière permet de raccourcir le conduit de frein et de « contribuer à réduire le poids ». Mais cette obsession pour les détails va plus loin. Les capots de moteur en magnésium épargnent 610 grammes (et si l’on enlève les doublures réductrices de bruit à l’intérieur – pour les circuits fermés, bien sûr –, on sauve encore 340 grammes).
Le résultat final de cette diète est un allégement de 10 kg par rapport au modèle 2008, ainsi que le sentiment de culpabilité que cette pinte de bière d’hier soir et cette tranche supplémentaire de pain doré ce matin m’alourdissent vraiment trop, annulant les efforts des designers. Un degré en moins à l’angle de chasse (24 degrés à présent) pourrait suggérer un maniement plutôt nerveux, mais il n’en est rien. Même en surmontant une crête ou en freinant fort dans une descente et un virage, le châssis reste parfaitement homogène (une stabilité peut-être aidée par l’amortisseur de direction Ohlins en équipement de série). Le châssis ressemble à celui de l’an dernier, mais les changements subtils y sont légion. Une légère rotation du moteur vers le haut élevant le centre de gravité et le déplacement du silencieux sous la selle vers le centre de la machine obéissent au concept à la mode de « centralisation des masses ».
Les articles d’essais ne parlent pas souvent du bon jumelage d’une piste avec les qualités d’une moto en particulier. Le circuit Autopolis convient parfaitement à cette nouvelle ZX-6R, tout comme le circuit Barber au Alabama convenait à l’ancienne ZX-6R à l’époque de son lancement il y a deux ans. Costa Mouzouris, qui assistait au lancement de la ZX-10R 2006 à Autopolis, a admis que la puissance d’une 1000 pourrait être intimidante sur ce circuit, ce qui fait que quelques pilotes ont chuté sur le froid asphalte matinal, mais la 600 plus sage serait docile même aux scribouilleurs en décalage horaire. Si les 600 ont un talon d’Achille, il s’agirait d’un manque de puissance à bas et mi-régimes, mais les fabricants se désintéressent sagement de simplement rehausser les lignes rouges stratosphériques et se concentrent plutôt à augmenter la puissance à bas régime. Mais précisons d’abord ce terme de « bas régime » qui, pour des moteurs avec quatre petits pistons de 150 cm3, équivaut à des révolutions sous les 8 000 tr/min.
La réponse de Kawasaki pour gonfler les régimes moyens fut d’améliorer l’arrivée d’air en repensant les lumières des cylindres, les profils des cames, les corps de papillons et autres afin de limiter les pertes mécaniques. Le freinage est aussi plus sensé. Alors qu’il y a quelques années on était obsédé par un freinage puissant et qu’une pression moyenne sur la manette équivalait à jeter une ancre par-dessus bord, on se soucie à présent du contrôle adéquat et, à cet égard, la paire de disques ondulés de 300 mm avec étriers à quatre pistons est sans reproches. Plus ma vitesse augmentait, plus les réglages de base des suspensions semblaient trop tendres car la moto ondulait un peu, surtout dans les longs virages. L’expert en suspensions qui se trouvait sur place suggéra une retouche de l’amortisseur arrière et l’ajout d’un soupçon de précharge, ainsi qu’une révision de l’amortissement de rebond et de la compression à haute et basse vitesse.
Ces changements firent tout de suite une différence et la nouvelle stabilité en virages m’inspire confiance pour pousser beaucoup plus fort. Et puis arriva la pluie, ce qui mit fin à la journée. Pourquoi moi ? Autopolis en tant que tel est un bel exemple de l’optimisme incongru et injustifié des années fin 1980 et début 1990. Coulant et ondulant sur de fortes dénivellations, elle sied sur un plateau de montagne à deux heures de la ville de Kumamoto, et ses garages et stationnements pourraient accueillir des épreuves de Formule 1. Mais le problème, c’est la route pour s’y rendre. Semée de lacets et en pente continuelle, elle serait la plus agréable du monde à parcourir à moto (la ZX-6R serait un bon choix). Mais encombrée de 100 000 spectateurs, elle pourrait devenir une immense artère bloquée. Mais hélas ! on ne le saura jamais, car les investisseurs originaux ont fait faillite et Kawasaki a racheté le circuit à la société de construction qui en avait hérité en paiement de ses factures.
Le court cycle de vie des motos sportives et les gains minimes en performance conduisent toujours à des améliorations subtiles et nuancées, mais que l’équipe de développement de la ZX-6R ait choisi d’écouter les avis des pilotes est en soi une bonne nouvelle pour les simples humains qui s’y retrouveront en selle. Je ne peux pas vous dire que cette nouvelle mouture diffère radicalement de celle qui la précédait sans les avoir fait courir l’une contre l’autre, mais je peux affirmer ceci : une 600 agile, nerveuse, poids plume comme la ZX-6R sur un circuit fabuleux, chaussée de gommes de compétition ultra tendres (des Bridgestone Battlax BT 003R ne durant que 60 minutes en piste) est une des grandes joies du motocyclisme. Et peu importe votre monture actuelle et sa vitesse, si vous avez un jour la chance de piloter une ZX-6R sur un circuit, je vous assure que vous ne l’oublierez pas de si tôt.