Moto Guzzi se lance dans le marché fort contesté du sport touring grâce à la Norge pourvue de valises de rangement et d’un pare-brise. Mais l’Italie peut-elle produire une moto de randonnée sport qui peut égaler les meilleures au monde ? Malgré un passeport italien et une liste de caractéristiques qui porterait à croire que son plus proche compétiteur est la Ducati, il suffit d’un essai de quelques minutes pour réaliser que la Moto Guzzi Norge 1200 ressemble étrangement à la BMW mue par un moteur de type Boxer. Pendant que les moteurs modernes à deux cylindres de Ducati sont agressifs, avides de révolutions et sportifs de nature, le moteur à deux cylindres en V de la Moto Guzzi, refroidi à l’air et monté transversalement, procure une sensation de conduite détendue se comparant à celle éprouvée avec la Boxer. Nous croyions, après avoir conduit la Breva « dépouillée » (sur laquelle la Norge est modelée), qu’il ne lui manquait que les valises et un pare-brise pour devenir une charmante moto de randonnée sport.
Mais après avoir monté la Norge, il était clair que quelque chose n’allait pas. L’alimentation de carburant presque parfaite de la Breva avait disparu pour faire place à un moteur dont les révolutions oscillaient entre 1 200 tr/min et 2 000 tr/min à l’arrêt. Après avoir presque chuté en effectuant un virage en U dans un stationnement lorsque le moteur s’est emballé soudainement, nous en avons eu assez : la Norge fut retournée chez le concessionnaire. Quelques jours plus tard, nous avons pris livraison d’une moto au comportement tout à fait différent. L’alimentation de carburant à basse vitesse (sujet souvent controversé lorsqu’il s’agit de motos à injection d’essence aux réglages ultra pauvres) était remarquable, le problème éprouvé précédemment étant dû à un manque d’aération du réservoir à essence. Mais là, juste au moment où notre confiance en ce véhicule était restaurée, le démarreur ne parvenait pas à faire tourner le moteur.
Après plusieurs essais infructueux à tenter de démarrer le véhicule en le poussant, nous avons vérifié les terminaux de la batterie dont l’un s’avéra débranché. Problème réglé. Puis nous avons placé nos vêtements et nos brosses à dents dans les valises et nous avons enfin pris la route. Les problèmes d’alimentation de carburant résolus, la route libre s’ouvrait devant nous. Malheureusement, nous avons rapidement découvert l’une des caractéristiques de design les plus mal conçues de tous les véhicules que nous avons testés. Cherchant à abaisser le pare-brise pour avoir plus d’air en cette journée humide, il était nécessaire d’actionner un bouton situé sur le bloc de manettes du guidon droit, mais il était trop à l’intérieur pour être rejoint par le pouce droit, ce qui signifiait qu’il fallait le rejoindre avec la main gauche, une manœuvre hasardeuse au beau milieu de six voies de circulation à 120 km/h.
Afin d’élever le pare-brise, il fallait actionner un autre bouton, situé sur le bloc du guidon gauche, inaccessible sans retirer la main du guidon. Il peut sembler pointilleux de critiquer l’emplacement d’une manette de commande, mais une fois habitué aux pare-brise ajustables, on ne cesse d’en modifier la hauteur : vers le bas pour combattre la chaleur au moment de ralentir pour traverser une ville, vers le haut pour contrer la poussière projetée par un semi-remorque ou pour continuer à rouler malgré une averse subite. Un conducteur testeur, spéculant sur la motivation des gens de Guzzi dans le design étrange de cette commande, a émis l’hypothèse que les ingénieurs tentaient de dépasser en bizarrerie les feux de direction déglingués de la BMW, où les commandes installées séparément à gauche et à droite sont annulées par une autre commande. Si tel était leur but, c’est un franc succès pour eux.
Comme tout n’est pas négatif chez nous, nous sommes fiers de vous annoncer qu’une fois ajusté, le pare-brise est étonnamment efficace malgré sa petite taille. Même à 140 km/h (la limite des vitesses de randonnée pour ceux qui désirent éviter d’être arrêtés), les coups de vent étaient tout à fait endurables. Ajusté juste au-dessous du niveau des yeux (notre position favorite à haute vitesse), le pare-brise permet de rouler des heures sans éprouver la fatigue associée à combattre le vent. La position de conduite sur la Norge présentait des avantages et des inconvénients pour certains testeurs. Tous étaient d’accord pour affirmer que la distance du siège aux repose-pieds occasionnait davantage une position sport qu’une posture de randonnée. Le débat portait sur l’emplacement du guidon. Un testeur déclara que le guidon se situait trop à l’avant et à une position trop basse tandis que l’autre affirma que le guidon était placé en position idéale.
Bien que prêts à poursuivre notre route sans nous presser ou nous plaindre, nous n’avons pas pu nous empêcher d’écraser l’accélérateur du moteur de 1 151 cm3 à deux cylindres en V, à 90 degrés. La puissance prétendue est de 95 ch, force modeste pour un véhicule au poids à sec de 246 kg (542 lb). Mais il y a plus à considérer d’un bon moteur que son manque ou son excès de puissance. Le bruit d’admission et le solide couple procurent une conduite amusante. Le bruit du moteur s’adoucit vers 3 000 tr/min et bien que le couple maximal de 74 lb-pi se produise à 5 800 tr/min, en pratique vous roulez sur la vague de couple entre 3 000 et 5 000 tr/min. L’enclenchement des vitesses est presque sans défaut : léger, précis et direct, et les ratios ne sont pas absurdement élevés (entendez-vous, chez Ducati ?), ce qui permet l’utilisation des six rapports à des vitesses réalistes. La seule résistance à accepter un rapport inférieur jusqu’à l’arrêt s’est manifestée lorsqu’on pressait l’accélérateur au changement de vitesse, traitement que la Norge refuse.
La Norge n’est pas aussi puissante que les Boxer de BMW, qui voisinent les 100 ch à la roue arrière, mais elle possède, à nos yeux, le moteur le plus amusant. Si la commande du pare-brise n’avait pas suscité la plus grande partie de notre colère, nous aurions peut-être été plus véhéments dans notre aversion pour les instruments ou, devrions-nous dire, pour la composante numérique de ces instruments. Le tachymètre analogique et l’indicateur de vitesse sont traditionnellement simples et faciles à lire, en contraste complet avec l’affichage numérique caché en bas à droite au sein du groupe de jauges. En plus d’être mal placé et d’exiger beaucoup de minutie à opérer, sa lisibilité était mauvaise de jour comme de nuit. Mettre en marche les poignées chauffantes de série par l’intermédiaire de l’affichage numérique était beaucoup plus compliqué que si on avait, par exemple, installé la commande sur le guidon sous la forme d’un simple interrupteur à bascule. Ce qui rend cette moto sport touring attrayante, c’est qu’elle tient compte, pour la plupart d’entre nous, de la réalité en moto. La plupart des gens de moto ne demeurent pas près de routes fabuleuses. Celles-ci peuvent se situer à une heure de route ou même de l’autre côté d’une province.
Un changement de tenue devient alors une nécessité, d’où le besoin de sacoches rigides ou de valises. Les sacoches molles qu’on place des deux côtés nous viennent de l’ère des cavaliers et ont été adoptées par les motocyclistes, mais même le cheval champion du nom de Secretariat ne prenait pas une série de courbes à 120 km/h. Pour aller où on veut, il faut un rangement pour les bagages à l’épreuve des intempéries, rangement qu’on peut verrouiller et oublier. Les valises de Guzzi fonctionnaient bien et ne sont jamais tombées, un test décisif pour tout bagage, mais nous omettions toujours d’enlever un crochet additionnel à l’arrière de la valise qui sert probablement de mesure supplémentaire pour les lourdes charges. Puisque plusieurs membres du personnel chez MJ ont la tête enflée (absolument, à la fois figurativement et littéralement), nous avons été ravis de voir la valise avaler le casque Shoei XL de Neil Graham, ce qui lui enlevait une raison de se plaindre. Pour les charges de grande taille, des emprises bien placées permettent de bien attacher à l’arrière un magnétophone classique à bobines Bang et Olufson datant de 1981.
Idéalement, la moto sport de randonnée permet de se divertir sans que le voyage abrutisse le conducteur ou son passager au point de leur faire perdre leur enthousiasme à l’arrivée. À ce point de vue, la Guzzi est excellente. Les vibrations relaxantes du moteur permettent de gruger du kilométrage, et la suspension offre un bon dosage entre la souplesse en terrain difficile et la rigidité nécessaire dans les courbes. Une moto d’origine italienne qui ne pourrait se tailler les courbes avec vigueur serait vue comme un travesti et la Norge fait bien sur plusieurs plans dans ce domaine. Si votre style est extrême, les virages à gauche doivent se faire avec prudence puisque la béquille centrale est beaucoup trop basse. Si nous habitions un coin montagneux, nous enlèverions la béquille centrale et nous adopterions la béquille latérale, chose qui est possible grâce à l’absence d’une chaîne à lubrifier. Les avis concernant le style étaient partagés, ce qui a étoffé notre théorie selon laquelle les designers italiens avaient perdu confiance dans les motos qui affichent des capacités pour la randonnée.
De même que pour la série ST discontinuée, les lignes de la Norge évoquent le style « travailleur » sans parvenir à la beauté, et la bizarrerie de la BMW R1200RT nous manquait presque. La Norge n’est pas une moto à détester à cause de son allure, mais ce n’est pas une moto qu’on désirerait pour son style non plus. Mais tous ne sont pas restés perplexes devant ses lignes. Uwe Wachtendorf a décrit avec extase les feux arrière en les comparant à des mitrailleuses Gatling jumelles entourant des œufs de Fabergé. Bien qu’il soit facile de ne pas aimer une mauvaise moto, il est beaucoup plus difficile de détester de bonnes motos attrayantes qui auraient pu être mieux fabriquées. Un conducteur testeur de Moto Guzzi aurait dû mettre son poing sur la table du designer et exiger un nouvel emplacement pour la commande du pare-brise, un autre design pour la béquille centrale et un tableau de bord lisible. Telle qu’elle est, la Norge à 18 995 $ est une bonne moto qui est équipée de freins ABS de série, d’une garantie de deux ans et d’une protection d’assistance routière de 24 heures. Mais de la même façon qu’un verre de vin vinaigré peut gâter un repas excellent, les défauts mineurs peuvent gâcher l’appréciation d’un véhicule fort convenable.
En selle
Le problème majeur de la Norge de Moto Guzzi est qu’elle n’est pas la seule moto bizarre à deux cylindres refroidie à l’air dans la classe Grand Turismo et à cinq dollars de différence, elle affronte une sérieuse concurrence. La BMW a plus de puissance, est plus légère, est plus maniable et possède un carénage très fonctionnel. Mais elle est aussi horrible à regarder – résultat obtenu, en laboratoire, par des Allemands en blouses blanches qui ont construit une moto en se basant sur ses fonctions. Heureusement, il y a des Italiens passionnés qui refusent d’ignorer la forme, et oui, la Norge est esthétiquement plus agréable et il est facile d’apprécier l’attention portée aux détails dans son design. La Norge semblait dessinée pour un conducteur beaucoup plus petit que moi à une taille de 1 m 86 (6 pi 1 po). L’emplacement des repose-pieds et du guidon procurait une position de conduite étrange, non idéale pour une moto destinée à couvrir de longues distances. Puis il y a le moteur de la Norge, un deux cylindres inhabituel qui met en péril le plaisir de la randonnée. En effet, le moteur doit être maintenu à hautes révolutions, protestant allègrement quand le conducteur tarde à changer de vitesse ou qu’il tente une manœuvre subite à partir d’une révolution basse. Quelques changements à la Norge en feraient une proposition intéressante, mais à son stade de développement actuel, je suis davantage porté vers l’autre moto équipée de commandes un peu bizarres. — Uwe Wachtendorf
Ce mois-ci, je suis en retard à cause de toutes ces motos à tester en trop peu de temps. Alors, lorsque je passe devant mon café-restaurant préféré, que je file vers la campagne et que j’oublie mes obligations de testeur, c’est là un signe de ce que je pense de ce véhicule. J’ai beau bien aimer cette moto, il faut dire qu’à 19 000 $, on peut avoir le choix parmi toutes les motos et, dans une catégorie où l’on trouve tant de véhicules de qualité, les défauts mineurs peuvent devenir des empêchements à l’achat. Alors qu’il est facile de comprendre pourquoi les cruisers sont si inconfortables (les designers sont restreints par une esthétique qui dicte que les sièges soient bas et que les suspensions soient rabaissées), j’ai peine à expliquer pourquoi les ingénieurs chez Guzzi n’ont pas réussi à produire un affichage numérique plus lisible ou un pare-brise qui se commande plus intelligemment. C’est dommage, car la part la plus ardue de la tâche avait déjà été accomplie. La Norge roule bien, procure une belle sensation et possède un moteur plein de caractère : un propriétaire pourrait être fier de son achat. Avant l’achat, assurez-vous bien que les questions qui nous ont irritées ne vous irriteront pas. — Neil Graham