Au bout de l’avenue Buell à East Troy (Wisconsin) se trouve une usine où 180 employés produisent annuellement 12 000 motocyclettes Buell. La compagnie Buell célèbre cette année son 25e anniversaire.
Buell produit surtout une gamme de motos sportives à bicylindre en V, culbuteurs à tige, refroidis à l’air, dont le châssis avant-gardiste comprend des pièces européennes et dont les performances contrastent avec les habitudes américaines. Mais quand on se rappelle qu’il y a 25 ans, Erik Buell avait fabriqué la plus rapide coursière américaine de l’époque (la RW750 quatre cylindres, à deux temps et soupapes rotatives), on ne s’étonne plus. Élevé sur une ferme dans l’ouest de la Pennsylvanie, Erik modifiait dès l’âge de 11 ans sa Honda C110 afin d’en rehausser la vitesse et la maniabilité. Plus tard, un emploi dans un atelier de motos pour gagner ses études universitaires lui fournit une base solide et développa chez lui l’intérêt pour la course motocycliste, d’abord en tant que mécanicien pour un coureur local. Mais lorsque celui-ci prit sa retraite à la mi-saison, Buell hérita de sa moto en guise de paiement pour ses services, et c’est comme cela qu’il devint propriétaire de la Kawasaki Big Horn 350 monocylindre à soupape rotative qui lui a permis de se forger un nom au cours des saisons 1972 et 1973 dans le Nord-Est américain.
Passant au championnat national de l’AMA en 1975, Buell devint en 1978 recrue expert dans la classe F750 sur une Yamaha TZ750 préparée par lui-même, et pilota aussi en Superbike une Ducati 900SS. « Je fus la recrue la plus rapide en qualifications au Daytona 200, me classant 17e sur 80 participants, raconte Erik. Durant les quatre années suivantes, j’alignai de bons résultats avec ces motos, tout en obtenant au collège mon diplôme d’ingénieur, et je trouvai ensuite un emploi chez Harley à Milwaukee, au service du développement. Après quelques courses sur une Harley-Davidson RR250 à deux temps trop petite pour moi, j’ai acquis de Barry Hart en Angleterre une Sparton 750 à deux temps et soupapes rotatives et je l’ai pilotée aux nationaux de l’AMA. Elle était très rapide, mais aussi très fragile et aussi maniable qu’un camion ; j’ai donc fabriqué mon propre cadre et repensé le moteur avec mes propres cylindres, pistons, vilebrequin et le reste.
Elle était extrêmement puissante : 163 chevaux à 10 500 tours. J’étais certain qu’il y avait là un marché et en 1983, j’ai hypothéqué ma maison pour fonder la compagnie Buell Motorcycle et la mettre en production. Mais à la même époque, l’AMA modifia ses règles et fit disparaître la Formule 750 en faveur des Superbikes – nous n’avons donc vendu qu’une seule Buell RW750 de série, et c’était au syndicat américain des mécaniciens, alors le plus important syndicat chez Harley-Davidson, qui souhaitait ainsi appuyer une coursière tout américaine. » Toutefois, cette moto Buell tuée dans l’œuf occasionna une série d’événements qui conduisirent à ce qu’est aujourd’hui Buell. « J’ai débuté au bas de l’échelle chez les ingénieurs de Harley en 1979, se rappelle Erik. Mais je suis ensuite passé à des tâches de développement plus sérieuses, surtout dans le design des châssis.
J’avais déjà construit mon propre châssis pour la Kawasaki Big Horn, et depuis lors j’étais resté un “plieur de tuyaux” au fond du cœur. Cela s’intensifia encore en travaillant à la RW750. » Buell travailla au département de R&D de 1979 à 1984, puis quitta la compagnie afin de poursuive son propre développement de la RW750. « En 1986, on me commanda la fabrication d’une Harley XR1000 de démonstration avec moteur en fonte pour un atelier de customs, et tout est parti de là. J’ai monté le moteur sur caoutchouc pour que les vibrations restent raisonnables, construit un châssis avec une bonne géométrie de direction pour une belle maniabilité, et recouvert le tout d’une carrosserie futuriste. Ce fut la première Buell RR1100 Battle Twin. » « Je réussis à obtenir 25 commandes fermes de cette moto de la part de concessionnaires Harley désirant élargir leur gamme avec une sportive, et Vaughn Beals, devenu président de H-D à la suite du rachat de l’entreprise par ses cadres, accepta de me fournir les moteurs.
Nous avons donc entrepris la production en 1987, la commande de 25 motos se transforma en 50 exemplaires, mais le stock de ces moteurs plus vieux vint à s’épuiser. Harley me fournit alors son nouveau moteur Evolution 1200 en aluminium pour animer la Buell RR1200 West Wind, dont nous avons produit 70 exemplaires de 1988 à 1990. En 1990, nous avons lancé la RS1200 à deux places qui s’est très bien vendue : 150 exemplaires dès la première année. Mais l’année suivante Harley proposait une nouvelle motorisation à cinq rapports, dont tous les points d’attache à notre cadre étaient modifiés, ce qui nous obligeait à repenser tout le design de la moto. » Cette RR1000 détermina la direction de toutes les motos Buell subséquentes, incorporant les montures de moteur Uniplanar en caoutchouc, brevetées par Erik, qui permettent de monter le moteur Harley dans un cadre léger en tubes d’acier.
Elle était dotée d’un amortisseur simple à l’arrière, placé horizontalement sous le moteur à carter sec, agissant en extension (plutôt qu’en compression) via un couplage progressif. La demande pour les routières Buell convainquit la direction de Harley-Davidson, maintenant présidée par son ancien patron de l’ingénierie Jeff Bluestein, d’épauler à plein temps les opérations de Buell. C’est ainsi qu’en février 1993 la nouvelle compagnie Buell Motorcycle fut fondée, Erik détenant 51 % des actions et Harley détenant le reste. La nouvelle usine Buell à East Troy commença à produire une gamme plus large de sportives à moteur Harley, au design encore plus radical. La S2 Thunderbolt fut lancée en 1994 et la hot rod S1 Lightning deux ans plus tard. Une version sport-tourisme, la S2T, s’ajouta à la gamme en 1995. En 1998, Harley acquit le contrôle majoritaire de Buell Motorcycle, soit 98 % des actions, laissant à Erik 2 % des actions et un contrat à long terme en tant que fondateur, président du conseil et chef technique.
La production fut portée à 8 000 motos par année en 1999. Cela ouvrit la porte au développement d’une série de moteurs Buell spécialisés, à commencer en l’an 2000 par le monocylindre de 492 cm3 animant la Blast, puis un V-twin à courte course de 984 cm3 pour la XR9R 2003, dérivé d’un moteur de Sportster ; c’était aussi le premier moteur Buell à injection de carburant. La XB9R Firebolt rassemblait plus d’innovations techniques dans son châssis que toute autre moto de grande marque jusqu’alors. Son cadre monocoque en aluminium à double berceau contenait le carburant, tandis que son bras oscillant en fonte d’aluminium faisait aussi office de réservoir d’huile. La géométrie radicale de son châssis, avec un court empattement de 1 300 mm incliné à 20 degrés, était aussi maniable qu’une 250 GP, sans compromis à sa stabilité. Enfin, son frein avant à disque périmétrique de 375 mm fut une autre première sur une moto de série, visant à réduire la masse non suspendue.
«J’avais déjà construit en 1989 le premier châssis à contenance de carburant, raconte Erik, avec refroidissement à l’eau et radiateur divisé, semblable à l’actuelle 1125R. De fait, c’était le projet original de la VR1000 Superbike. Mais ils ont dit que c’était une idée insensée qui ne fonctionnerait jamais. » L’avènement de la Firebolt établit Buell en tant que designer créatif et innovateur – bien que toujours contraint par la vénérable motorisation dérivée de Harley. La technologie avant-gardiste de Buell s’avéra payante, son concept de cadre à contenance de carburant gagnant graduellement toute la gamme de modèles. La version augmentée de 1 203 cm3 du moteur refroidi à l’air donna naissance à des modèles dérivés tels que la XB12R, la famille de routières XB12S Lightning et, en 2006, l’aventurière XB12S Ulysses. Cette même année, Erik réalisa une mission personnelle en tant qu’ancien coureur en amenant finalement Buell sur les circuits avec sa XB-RR.
On ne construisit que 50 exemplaires de cette Buell coûteuse, vendue partout dans le monde, qui domina entre autres la très compétitive série française ProTwins, se classant dans les deux premières places, et dont la version modifiée de 1 339 cm3 du moteur de la XB12R développait 152 chevaux. Après avoir mis de côté le projet d’une éventuelle gamme hors route, et au moment où Buell complétait sa 100 000e moto en novembre 2006, la planification avançait vers une Buell bien différente : la 1125R refroidie au liquide. « J’ai dépoussiéré le design de la VR1000 refroidie au liquide, à carburant dans le cadre, conçu en 1989, précise Erik, et la voici 20 ans plus tard ». Et 25 ans après cette RW750 à deux temps qui a su inspirer l’homme et l’entreprise.