BMW R1200R, une Boxer dénudée et affable

Par Michel GarneauPublié le

Si l’on retire sa carrosserie à une R1200RT, qu’est-ce qu’on obtient ? Une moto dénudée, délicate et raffinée, très commode dans le vrai monde. C’est un bel après-midi de fin d’automne, exceptionnellement doux. Tandis que le photographe Hugh McLean travaille sur un cliché en virage, je m’assois sous un érable pour admirer la vallée boisée. Jetant un coup d’œil au travail de Hugh, il me semble que notre superbe machine d’essai convient parfaitement à cette journée calme. Ses accents de noir et de blanc lui confèrent un charme rétro, bien que son design soit résolument moderne. Est-il possible qu’elle provienne du même fabricant qui nous a donné la flamboyante R1150R Rockster et la routière malavisée (et disparue) R1200C ? Mais surtout, dans un marché où les goûts ont migré vers les machines dépouillées aux performances plus affirmées, y a-t-il toujours place pour une paisible moto sans carénage ?

Nous avons passé de longs moments aux lancements de presse en compagnie du designer en chef de BMW David Robb qui, malgré son allure de professeur d’université, sait oser des concepts inédits. Après tout, c’est lui qui a été blâmé pour le nez en bec de canard de la série GS, un design pourtant intensivement copié depuis par les concurrents, dont Ducati avec sa Hypermotard. Le style classique de la R1200R semble être une concession dans la lignée BMW, pour plaire aux clients qui trouvent que le reste de la gamme est devenu trop particulier.

La R1200R, au prix de 14 500 $, affiche certains gains sur la R1150R. Son moteur de 1 170 cm3, un bicylindre opposé à quatre soupapes par cylindre, repris de la GS 2004, est le même qui équipe la routière R1200RT, avec son design à simple arbre à cames en tête, ses soupapes d’admission de 36 mm et d’échappement de 31 mm, son allumage à double étincelle et un rapport volumétrique remarquablement élevé (pour un moteur refroidi à l’air) de 12:1, à système d’injection à boucle fermée. Malgré que son pot d’échappement diffère de celui de la RT, ce bicylindre à arbre d’équilibrage déploie la même puissance de 109 chevaux (à 7 500 tours) et un couple de 85 lb-pi (à 6 000 tours), soit une puissance supérieure de 28 % et un couple amélioré de 17 % par rapport à la R1150R qu’elle vient remplacer. Une paire de refroidisseurs d’huile à contrôle thermostatique surveille la surchauffe de cette puissance augmentée. Un intéressant indicateur à barre dans le groupe « instruments » permet de lire d’un coup d’œil la température de l’huile.

Dans la réalité, mieux que sur les fiches techniques et que la terminologie d’ingénieur, la puissance de ce bicylindre boxer est souple et linéaire, avec un couple très large et abondant qui permet à la R1200R de filer à un rythme surprenant sans égard au régime de son moteur. Son lourd volant-moteur, qui contribue à adoucir la livraison de puissance, parvient à faire croire qu’on ne roule presque pas alors que l’indicateur de vitesse vient le démentir. Étant de type boxer (avec vilebrequin longitudinal), l’action sur l’accélérateur (particulièrement à partir du ralenti) entraîne une réaction de couple perceptible qui fait tirer la R sur un côté, ce à quoi les amateurs de BMW sont habitués depuis longtemps. Curieusement, malgré sa transformation haute technologie, le moteur dégage un bruit presque industriel qui rappelle le décollage d’un avion Cessna lorsqu’on enfonce l’accélérateur à des vitesses de croisière. Cet aspect à lui seul distingue la Boxer dans le marché plutôt homogène des motos dépouillées, peuplé surtout de quatre cylindres en ligne et de bicylindres en V. Le seul point sombre de ce moteur concerne sa nature un peu froide qui demande de le laisser réchauffer quelques minutes avant de partir (malgré son système d’injection), un besoin d’ailleurs appuyé par son embrayage hydraulique à disque simple qui a une action plutôt brusque. Par contre, on note l’absence du claquement souvent entendu sur des motos passant en première, et le passage de tous les rapports est léger et affirmé, si ce n’est une légère hésitation à passer au rapport supérieur sous puissance maximale, ce qui est sans doute dû à l’état pratiquement neuf de notre modèle d’essai — cela s’est atténué à mesure que s’accumulaient les kilomètres. Il ressort de cet essai que le concept de moteur boxer de BMW, dont la lignée remonte même à 1919, a très bien traversé le temps.

BMW est parvenu à augmenter les performances par le biais également de la réduction de masse, et le nouveau cadre secondaire s’allège de 20 kg (44 lb), portant le poids net total à 198 kg (417 lb). La combinaison de la réduction de poids et de l’augmentation de puissance du moteur propulse de 40 % le rapport poids-puissance, ce que l’on ne manque pas de remarquer à l’usage.

Au cours des dernières années, les clients, pour le meilleur ou le pire, ont apparemment décidé que la performance des motos dépouillées devrait approcher celle des sportives, d’où la prolifération de bolides tels que la Yamaha FZ1, la Aprilia Tuono et les Monsters à quatre soupapes de Ducati. Parallèlement, BMW adoptait une approche différente et proposait la R1200R essentiellement comme une R1200RT dépouillée et reconfigurée. Il en résulte un genre de moto standard de dimensions généreuses qui apparaît presque anormale parmi ses concurrentes. Sa selle basse et confortable se combine à son guidon pour procurer une position de conduite relevée, équilibrant bien le poids du pilote sans pression indue sur les poignets ou le coccyx.

Les suspensions avant Telelever et arrière Paralever sont caractéristiques des bicylindres refroidis à l’air de BMW, et font un bon travail pour isoler le pilote des imperfections de la route, bien que la suspension arrière montre une détente un peu faible et une compression à haute vitesse un peu trop appuyée, ce qui amène un roulement hachuré sur des cahots plus vifs.

Étant donné ses origines, sa conduite n’est pas aussi maniable et agile qu’une sportive, tout comme d’autres motos dépouillées, mais elle passe très bien les inclinaisons d’un côté à l’autre en raison de son centre de gravité surbaissé (un avantage de son moteur à deux cylindres opposés) et de l’effet gyroscopique limité de son vilebrequin transversal. Naturellement, son poids réduit joue aussi un rôle. La suspension Paralever efface pratiquement l’effet de couple qu’on remarque d’habitude sur les motos à arbre d’entraînement, et la R1200R affiche un comportement sportif qui tranche avec son allure guindée. Toutefois, comme sur toutes les Boxer de BMW, la suspension Telelever semble un peu vague, préférant un roulement plus délicat et souple plutôt que des freinages brusques à la dernière seconde. Ainsi pilotée, la R1200R est remarquablement agile et stable. Ses pneus Continental Road Attack y contribuent aussi, chaussant avantageusement cet étalon bavarois et lui conférant prévisibilité et bonne adhérence.

L’orchestration de ses deux disques de freinage avant de 320 mm, de ses étriers à quatre pistons et de ses conduites en acier tressé amène une puissance de freinage impressionnante, mais les propriétés antiplongeon de la suspension Telelever exigent une certaine acclimatation pour ceux qui sont familiers avec le piqué des fourches télescopiques traditionnelles. Le rotor arrière de 265 mm fait un bon travail, sans bloquer trop tôt. L’absence du freinage servoassisté représente une amélioration sur certains modèles antérieurs de BMW. Ce principe avait été ajouté afin de raccourcir le temps de freinage en gonflant pratiquement la puissance du frein. Cela peut théoriquement être une bonne idée, mais qui en pratique réduit la sensation, complique la modulation de freinage et rend nécessaire le système ABS, car on a tendance à freiner trop fort lorsque la traction est moins bonne. Le freinage ABS demeure, mais on risque moins d’exagérer, à moins d’absolue nécessité.

En usage quotidien, la forme naturelle des manettes est vraiment ergonomique; l’accueil du passager est bon, la selle étant confortable et favorisant une position droite. La consommation de la R1200R se chiffre raisonnablement à 5,7 L/100 km (50 mi/gal), le grand rapport volumétrique du moteur ordonnant le choix d’une essence à indice d’octane de 91. Son réservoir de 18 litres assure une autonomie de 320 km, idéal pour de bonnes randonnées. Les intervalles de réglage des soupapes ne sont qu’aux 20 000 km, les coûts d’entretien restent donc raisonnables. Par contre, bien que les rétroviseurs demeurent très clairs à haut régime jusqu’à 80 km/h, ils vibrent et s’embrouillent à plus grande vitesse.

Une motocyclette essayée récemment, qui nous fait penser à la R1200R, est la Breva de Moto Guzzi, une autre monture un peu en retrait de la norme. Ces deux machines posent un dilemme : bien qu’elles fassent merveille dans leur état dépouillé, elles sont tellement confortables, performantes et endurantes qu’on a envie de les équiper de sacoches et d’un pare-brise — car vraiment, ce sont davantage des routières sans carénage que des motos dépouillées comme la concurrence. La division des accessoires BMW peut équiper la moto aussi généreusement que le permettra votre porte-monnaie, avec une multitude d’options comprenant entre autres une selle plus basse, des pare-brise de hauteur variée et des sacoches rigides amovibles (comme sur notre modèle d’essai). L’ensemble « sécurité » est particulièrement intéressant; il comprend un système de contrôle de la pression des pneus (CPP) et de contrôle automatique de la stabilité (CAS : voir l’encadré) et ajoute 1 900 $ au prix de détail. 

On peut donc dire que la proposition de BMW dans le marché des motos dépouillées offre des qualités réelles et vraiment plaisantes. Étant donné son héritage, elle peut facilement s’adapter au tourisme, mais si telle est la mission première à laquelle vous la destinez, pourquoi ne pas se procurer tout de suite la R1200RT ? Certaines motos standards sont plus sportives, d’autres plus rapides, et d’autres encore affichent un meilleur rapport qualité/prix, mais si votre moto dépouillée doit avoir la saveur unique que seule possède la dernière création de Bayerische Motoren Werke, la 1200R sera une compagne toujours partante.

En selle
La R1200R fut ma première expérience dans le monde mystérieux des boxer BMW, et ce fut une merveilleuse révélation. Sans savoir ce qui m’attendait en enfourchant ce bicylindre opposé refroidi à l’air, je fus bien impressionné par sa maniabilité et ses performances. Je me suis senti faire corps avec la monture, et j’en voulais encore et encore. Tandis que BMW se fait parfois accuser d’aseptiser ses motos au point de leur enlever toute personnalité, la R (aidée en cela par son moteur boxer très particulier, pas déplaisant du tout) procure un grand plaisir de conduite et serait un merveilleux ajout dans mon garage, près de ma VTR bien-aimée. En fin de compte, la R1200R m’a donné le goût d’explorer davantage le monde des boxer. J’ai hâte à l’été !

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