Retour sur Lucifer’s Hammer

Par Alan CathcartPublié le

Lucifer’s Hammer, selon une ancienne légende irlandaise, était une comète envoyée par le diable pour détruire un village envahi par des étrangers si diaboliques qu’ils en avaient rendu le diable lui-même jaloux. Comment se fait-il donc que la moto qui porte les couleurs orange et noir de l’équipe de course Harley-Davidson et qui avait mis un terme à la domination des Italiens dans la Battle of the Twins de l’AMA en 1983 ait été ainsi nommée ? Le nom fut trouvé par la femme du légendaire gérant de course chez Harley, Dick O’Brien, qui a été pendant longtemps le directeur des courses à Milwaukee et a apporté de nombreux succès à la marque américaine. Elle a probablement dû étudier un jour le folklore gaélique.

Il y a vingt-cinq ans, en mars 1983, le premier bicylindre en V de Milwaukee à porter les couleurs de l’usine à Daytona depuis 10 ans, Lucifer’s Hammer, a obtenu une victoire éclatante entre les mains du pilote de dirt track Jay Springsteen. « Springer » a dominé le Bike Week 50-miler, devançant ainsi le champion du monde en TT F2 sur Ducati Tony Rutter et le champion en titre de l’AMA BOTT Jimmy Adamo de 24 secondes. Une semaine plus tard à Talladega, Springer avait une demi-minute d’avance sur Adamo et se dirigeait vers la victoire lorsqu’il a chuté sur une flaque d’huile d’un autre concurrent dans le dernier tour. Lors de la course suivante au guidon de la moto à Elkhart Lake, le moteur a serré lorsqu’un roulement d’arbre à cames a fait défaut, ce qui lui a causé un second abandon. Mais à Loudon en juin, Springsteen a mené la moto à la 13e place au classement général dans la course de l’AMA National Formula 1, contre les quatre cylindres de Honda et Kawasaki et une poignée de Yamaha TZ750, ce qui lui a rapporté de précieux points pour le titre de Grand National à une époque où à la fois les courses sur circuit routier et les courses de dirt track comptaient pour le championnat. Bien que les engagements de Jay sur les circuits ovales l’aient empêché de faire d’autres courses sur circuit routier par la suite, Dave Emde a pris le relais pour enregistrer deux secondes places derrière Adamo, devant le coureur de Caroline du Nord en dirt track Gene Church, avec l’aide du tuner Don Tiller, pour la course finale de la saison à Daytona en octobre.

En tant que partisan inconditionnel du BOTT et ayant couru dans cette classe des deux côtés de l’Atlantique, la chance de piloter la Harley d’usine à la fin de sa première saison en 1983 était toute une traite pour moi. Bien que je fusse à l’époque un membre de l’équipe italienne avec le bicylindre en V desmo qui se battait pour tenir le rythme des Harley à culbuteurs dans les AMA Nationals, j’avais déjà acquis et restauré la dernière Harley d’usine XRTT de Renzo Pasolini, avec laquelle j’ai participé à des courses de motos anciennes pendant plus de vingt ans; elle est maintenant au Barber Museum en Alabama.

La participation de Harley dans la nouvelle série AMA National BOTT, qui a démarré en 1982, a orienté les projecteurs vers les courses de bicylindres, mais elle a aussi aidé la compagnie à faire la promotion de sa nouvelle XR1000 Sportster, une descendante de la légendaire XR750 de dirt track, qui a donné naissance à la moto de course en BOTT. J’ai rencontré Lucifer’s Hammer sur le beau circuit de Blackhawk Farms à la limite des États de l’Illinois et du Wisconsin, la semaine suivant la victoire de Church à la fin de la saison 1983 à Daytona, et je fus salué par le fabricant de moteurs Don Habermel, le concepteur Peter Zylstra et le spécialiste de châssis (et quatre fois champion du National) Carroll Resweber, qui étaient sous la conduite du directeur de l’écurie Dick O’Brien. C’est ce petit groupe qui était responsable de la création des versions de route et de course de la XR1000.

J’ai eu l’occasion de faire la connaissance de O’Brien lorsque j’étais à la recherche d’un carénage de style KRTT Wixom Brothers pour ma XRTT. Pour dix dollars, j’en ai obtenu un avec le numéro du coureur Mark Brelsford dessus, mais ce n’est que plus tard que j’ai réalisé que O’Brien l’avait donné en le prenant dans son propre magasin de pièces détachées, bien heureux que quelqu’un à l’autre bout du monde apprécie ce que son équipe de course avait réalisé. C’est O’Brien qui avait acheté l’ancienne moto de course de Brelsford et les pièces qui allaient avec, ce qui représentait les débuts du projet Lucifer’s Hammer.

Après que l’équipe de direction eut racheté Harley à AMF, ses directeurs ont décidé d’un retour officiel à la course. O’Brien a demandé un budget pour faire de la course sur circuit routier, et avec les performances qu’offrait la nouvelle XR1000 (elle utilisait directement la culasse de la XR750 de course), le conseil d’administration lui a accordé le budget demandé en se croisant les doigts pour qu’il réussisse à se battre contre les Ducati, Yamaha et Guzzi qui étaient de plus en plus rapides.

O’Brien n’a eu que deux mois pour se préparer avant les premières qualifications de Daytona. Soixante jours pour développer, construire et tester une moto de course, se rendre en Floride et essayer de gagner. Il serait difficile de réussir en si peu de temps même pour une usine japonaise avec de gros moyens, mais l’équipe de course de H-D ne comptait que six personnes, incluant O’Brien, dont la priorité principale était de conserver le titre de l’AMA National en dirt track. « Nous avons dû tourner certains coins ronds », admettait O’Brien sous le soleil de la Floride, pendant que nous admirions Lucifer’s Hammer juste avant ses débuts en BOTT à Daytona. « Nous avions si peu de temps pour produire une version course de la XR1000 que nous avons dû être beaucoup moins radicaux que nous l’aurions souhaité. Heureusement, nous avions fait tout le développement sur la XR1000 de route dans l’atelier de course, donc nous avions toutes les données de base. Il s’agissait simplement de passer à la prochaine étape. »

En raison du peu de temps disponible, la moto qui est apparue à Daytona était une version mise à jour de la XRTT de 1972, que Harley avait utilisée pour courir avant de se retirer des compétitions dix ans plus tôt, car les nouvelles générations de moteurs deux temps étaient beaucoup plus rapides. Mais il n’y avait rien d’obsolète dans la manière de Springsteen de battre la concurrence à Daytona des années plus tard, dans sa première course sur circuit routier depuis cinq ans. Le plus rapide pendant les essais, dans les sections rapides du circuit avec une vitesse de plus de 250 km/h, soit 10 km/h de plus que son rival le plus proche – une autre Harley pilotée par le chauffeur de camion Hal Coleman de la Floride –, Springsteen a dominé le BOTT 50-miler. C’était une victoire éclatante pour Harley après une absence de dix ans sur les circuits routiers, ce qui a convaincu définitivement O’Brien du potentiel de cette nouvelle moto.

Le châssis de Lucifer et une bonne partie de sa mécanique provenaient de l’ancienne XRTT pilotée par le grand Cal Rayborn avant sa mort tragique au guidon d’une japonaise deux temps en Nouvelle-Zélande au début de 1973. La moto avait ensuite été octroyée à Mark Brelsford, chef de l’équipe Harley et champion en titre du AMA National, pour la course de Daytona 200 en mars – mais il a frappé le pilote privé sur Harley Larry Darr dans le rapide virage 3, ce qui a transformé la moto de Brelsford en un spectaculaire brasier de flammes. La moto a été reconstruite avec les restes, mais Harley s’est retirée des courses sur circuit routier plus tard la même année. O’Brien a ensuite acheté la moto de l’usine et, une dizaine d’années plus tard, il revenait sur scène à Daytona en 1983.

Ce qui en résultait était un mélange de neuf et de vieux, comme c’était le cas pour beaucoup de motos de l’époque en BOTT. Afin de mettre à jour le vieux châssis en acier tubulaire pour qu’il supporte les nouveaux pneus sans rayures, Resweber y a soudé un renforcement triangulaire, a renforcé la tête de fourche et les pivots du bras oscillant avec beaucoup de soudures, et il a fabriqué un tout nouveau bras oscillant de section rectangulaire. Une fourche Forcella Italia de 40 mm avec compression ajustable et tubes en magnésium a été intégrée dans la tête de fourche Harley avec un amortisseur de direction Kawasaki, ainsi qu’une paire d’amortisseurs à gaz Fox à l’arrière et des roues Campagnolo en alliage de magnésium. Elles étaient au départ de 18 pouces, mais une roue avant de 16 pouces fut essayée pour la sortie de fin de saison de Church à Daytona, et elle y était encore sur la moto que j’ai essayée à Blackhawk. Deux gros disques flottants Brembo de 300 mm étaient utilisés à l’avant, avec un disque fixe plus petit à l’arrière, soit 240 mm, avec des étriers Brembo Gold à l’avant et à l’arrière. L’empattement était court avec 1 420 mm. Le carénage était conçu par Wixom, comme celui que j’avais acheté pour ma XRTT, avec des extensions en aluminium pour le grand pare-brise, et le réservoir à essence et la section arrière étaient aussi dérivés de la KRTT.

Don Habermehl a assemblé un moteur avec des carters de XR750, des cylindres réalésés en acier coulé, des volants d’inertie spéciaux faits à partir des plus grandes dimensions de la Sportster (81 x 96,8 mm au lieu de 79,4 x 75,7 sur la XR750), des culasses en aluminium de XR, et des roulements et des bielles de XR. Au départ, le moteur produisait 90 ch au lieu des 70 ch de la XR1000 de route. Puis, vint le temps d’en extraire encore plus de puissance avec de nombreux tests de dyno, des expériences avec différents échappements, ainsi que différents réglages d’avance à l’allumage, des cames et de la carburation. Ensuite, avec des culasses à deux bougies portées par Jerry Branch avec des Mikuni de 42 mm, la puissance maxi obtenue au vilebrequin fut 106 ch. Pas mal pour un simple bicylindre en acier à culbuteurs.

Il fallait de la patience pour démarrer Lucifer’s Hammer dans cette fraîche journée d’automne. Un réservoir à huile au-dessous du moteur contenait deux litres d’huile R40, qu’il fallait réchauffer doucement. Nous devions donc avoir toute une réserve de batteries, car elles ne duraient que 35 à 40 minutes avant que le moteur ne commence à avoir des ratés d’allumage. « Si une course durait 45 minutes, nous avions un problème », admettait Habermehl. C’est pourquoi nous n’avons jamais vu Springer et Lucifer ensemble au Daytona 200, les courses de BOTT National, elles, ne dépassant habituellement pas les 50 milles.

J’ai piloté la Harley telle qu’elle était juste après la victoire de Church en octobre à Daytona. Les rapports de transmission étaient trop longs pour le petit circuit de Blackhawk Farms, mais cela m’a permis de constater le secret de la XR, un couple très généreux et une très large plage de puissance. Elle tirait toujours fort sur n’importe lequel des quatre rapports, et en douceur, pour une Harley de 1980. Sans vraiment émettre de vibrations, le bicylindre en V à 45 degrés répondait très bien, en tirant fort dès 2 000 tr/min pour se réveiller encore plus à 4 000 tr/min, jusqu’à son régime maxi de 7 000 tr/min (abaissé de 500 tr/min pendant que je la pilotais pour raisons de fiabilité). La Lucifer avec son moteur en acier pesait 153 kg (335 lb) avec le plein d’huile mais sans essence, tout comme une XR750 de l’époque Rayborn avec son moteur tout en alliage.

J’ai réussi à faire décrocher le pneu arrière Goodyear ultra dur de la Lucifer, qui était conçu pour rouler longtemps à haute vitesse par temps chaud à Daytona. Même après 35 tours sur le circuit de Blackhawk Farms d’une longueur de 2,9 km, les pneus étaient à peine réchauffés, même après en avoir baissé la pression. Il était étrange que cette moto soit équipée de Goodyear, car à cette époque Goodyear ne fabriquait plus de pneus motos et toutes les Harley de route étaient équipées de Dunlop. Mais comme Dunlop ne voulait pas fournir de pneus de course à d’autre usine que Yamaha qui avait comme pilotes Kenny Roberts et Eddie Lawson, il fallait bien trouver une autre solution. Ou le choix de la gomme dure était peut-être retenu pour que les pilotes de dirt track ne soient pas trop dépaysés…

Les freins Brembo étaient fabuleux, mais l’énorme frein moteur nécessitait une grande attention pour ne pas faire sautiller la roue arrière, car il n’y avait pas d’embrayage à glissement limité à cette époque. Harley travaillait sur un système antiplongée pour la fourche avant, mais il n’était pas encore prêt au moment où j’essayais la moto. Je pense qu’il n’était pas nécessaire, car la fourche italienne offrait un bon amortissement.

La direction de la Lucifer’s Hammer était bizarre dans les virages plus lents. Resweber m’avait fait part de ses difficultés pour renforcer un vieux châssis de 10 ans afin qu’il supporte les forces des pneus sans rayures « Tout ce que vous faites, c’est déplacer les forces ailleurs dans le châssis », avait-il dit en secouant la tête. « Il faut que les forces passent, alors la pression s’exerce au centre plutôt qu’à l’avant ou à l’arrière. »

Trois ans plus tard, ils avaient adopté un nouveau châssis avec la Lucifer II basée sur un châssis Buell, mais au moment de mon essai, cela n’avait pas encore été considéré comme nécessaire, mais la gomme dure des pneus m’a empêché d’identifier le point faible du châssis. J’avais un sentiment d’instabilité lors des entrées de virage, comme si la moto était trop lourde; elle voulait se pencher toute seule d’un seul coup au lieu de le faire d’une manière contrôlée. La roue avant de 16 pouces, qui ne convenait pas à la moto, était peut-être à l’origine de cette sensation bizarre. Le châssis n’était pas fait pour cela et je pense que la géométrie qui en résultait ne fonctionnait pas bien. Lucifer n’aimait pas non plus être penchée d’un côté à l’autre à vitesse constante, et le freinage appuyé au virage 4 faisait secouer le train avant, même avec l’amortisseur de direction bien ferme. Quand j’ai plongé dans le virage 4, les limitations de la roue de 16 pouces sont devenues encore plus apparentes, car la Harley se redressait et ne voulait plus tourner. Quand j’ai fini par la convaincre de tourner, elle s’est penchée brutalement sur le côté, sans la progressivité à laquelle j’étais habitué sur ma XRTT de course, qui utilisait une version non renforcée du même châssis offrant une meilleure tenue de route, mais avec un pneu avant de 18 pouces qui n’était pas un slick.

Malgré les pneus durs et la tenue de route étrange, mon souvenir de cette journée en compagnie de Lucifer’s Hammer il y a un quart de siècle est marqué par ce moteur puissant, coupleux et doux, jumelé à d’excellents freins, ainsi qu’à toutes les autres bonnes composantes de cette moto, incluant le réservoir à huile en aluminium, la forme du réservoir à essence et le témoin de pression d’huile directement sur le carter moteur (qui indique 4 psi quand il est chaud) à un endroit que le pilote ne peut pas voir, mais seulement le mécanicien. Presque tout sur cette moto avait été conçu spécifiquement pour le projet de la course avec comme seul but en tête la victoire. Je me souviens avoir prédit que les étrangers auraient du mal à arrêter Lucifer’s Hammer et l’histoire m’a donné raison. Gene Church, le jeune pilote calme de dirt track, a dominé la série AMA National BOTT pendant les trois années suivantes, commandité par le nouvellement constitué Harley Owners Group, gagnant le titre BOTT en 1984 ainsi que les deux courses de Daytona.

En 1985, Church a gagné cinq courses, dont une autre victoire à Daytona, en route pour un second titre consécutif, avec Adamo second à nouveau. Avec la famille Castiglioni à la tête de Ducati, l’ancien champion du monde en 500 cm3 Marco Lucchinelli est apparu à Daytona en mars 1986 avec une 750 F1 desmo à bicylindre en V pour battre Church de peu. Lucchinelli a gagné une autre course à Laguna Seca, mais le titre restait en jeu entre les rivaux Church et Adamo. Church avait gagné quatre courses cette saison sur la Lucifer’s Hammer contre deux pour Adamo, ce qui lui a donné son troisième titre en AMA sur une moto que Tilley avait préparée avec attention pour qu’elle soit fiable et rapide, capable de filer à Daytona à plus de 270 km/h. Lucifer’s Hammer a ensuite été confiée au musée de l’usine pour laisser la place à une nouvelle moto basée sur un châssis Buell en 1987. J’imagine que la moto a été digne de la légende gaélique de Mme O’Brien.

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