Ducati 1098, Magnifico!

Par Cycle CanadaPublié le

Voilà la formule habituelle dans l’évolution des motos sportives : un nouveau modèle offre un peu plus de puissance, un peu moins de poids et un prix plus élevé de quelques centaines de dollars.

C’est bien ce à quoi on s’attend, d’où la surprise en constatant que la Ducati 1098 coûte 5 000 $ de moins – soit 19 995 $ – que la 999 qui lui cède la place. (Nous avons ici testé la version S de 24 995 $, la différence étant attribuable aux suspensions Ohlins). Certains pourront considérer cette baisse de prix comme une excuse de Ducati pour la 999, une machine esthétiquement audacieuse (quelques-uns diront esthétiquement désavantagée) trois fois championne du monde de Superbike, qui n’a jamais gagné sa place dans le cœur des amateurs auprès des 916, 996 et 998 qui l’ont précédée. Mais en plus d’être nouvelle, la 1098 est peut-être la plus importante mesure corrective de la part d’un fabricant dans toute l’histoire motocycliste.

En 1993, lorsque la 916 dessinée par Massimo Tamburini fit son apparition, les motocyclistes furent abasourdis. Cette monture fournissait les performances – sinon la puissance pure – pour tenir tête aux meilleures marques japonaises jusqu’à la ligne d’arrivée. Rapide, élancée, ravissante et exotique. Et même récemment, après 14 ans, les lecteurs d’un magazine britannique l’ont élue moto la plus désirable de l’Histoire. Elle était si excellente que durant dix ans tout ce que Ducati avait à faire était de parfaire ses performances par des augmentations de cylindrée, et les ventes suivaient. Mais rien n’est éternel et quand les photos de sa remplaçante de 2003 dessinée par Pierre Terblanche ont été publiées, le contrecoup fut unanime. Selon le public qui rageait sur les forums Internet et dans les lettres aux magazines, Terblanche avait détruit l’héritage de la 916 et de ses descendantes avec cette 999 – « Qu’est-ce qui lui a pris ? »

Terblanche a admis qu’il avait peut-être été un peu trop loin avec son design de la 999, mais il a aussi évoqué que la postérité serait plus indulgente envers sa moto, une façon détournée de dire qu’un jour le public remonterait à son niveau. Un peu arrogant, bien sûr, mais sans doute vrai : qui sait si dans 50 ans les formes de la 999 ne seront pas considérées comme « classiques modernes », tout comme l’architecture de Mies van der Rohe ou la simplicité pure d’une chaise de Marcel Breuer ? Mais un manufacturier de produits de consommation comme les motos doit en vendre un certain volume, contrairement à un architecte qui n’a besoin que d’un seul client pour appuyer sa vision. Ducati doit penser au présent; le futur n’a pas beaucoup d’importance si vous n’êtes plus dans les affaires. La 1098 est donc la réaction de Ducati à la pression du présent, et bien qu’elle ne ressemble pas à sa mère, elle reprend les longues jambes, la taille fine et le derrière rebondi de sa bien-aimée grand-mère.

Sa fiche technique révèle que le guidon de la 1098S se rapproche de seulement un demi-pouce vers le pilote, par rapport à celui de la 999, mais c’est assez pour atténuer l’impression qu’on avait sur la 999 de devoir s’étirer loin au-dessus du réservoir. La position de conduite est désormais plus compacte, très japonaise, mais pas aussi confortable car elle soulève le derrière du pilote et oblige à une pente de la selle vers l’avant, ce qui vous rapproche le nez du réservoir et force les poignets. (Incidemment, la selle plate de la 999 visait à éliminer les critiques envers la selle penchée de la 916, et on suspecte M. Terblanche de n’avoir aucune sympathie envers l’inconfort du pilote de la 1098.) En élevant la selle de la 1098S d’un demi-pouce plus haut que celle de la 999, on accorde aussi presque un pouce de plus aux jambes sans sacrifier à la garde au sol dans les virages. Cette position de conduite reconfigurée transforme aussi l’interaction entre l’homme et sa machine. Il est plus facile de s’y déplacer, de s’y pencher dans les virages et d’avoir un bon effet de levier sur le guidon. Ce dernier point est particulièrement intéressant, puisque la direction de la 1098S est plus légère que celle de la 999, malgré l’angle de chasse identique et l’empattement de 1 430 mm (56,3 po) plus long que celui de la 999 à 1 419 mm (55,9 po). Peut-être cette nouvelle agilité découle-t-elle de la masse inférieure du moteur, car Ducati affirme que cinq des 10,5 kilos perdus proviennent du moteur, sans spécifier si cette économie s’applique aux pièces rotatives ou fixes.

Lors d’un récent test de pneus Pirelli en Californie, l’un de nos pilotes d’essai a eu l’occasion de conduire une 1098 version de base ainsi qu’une Honda CBR600RR, faisant ressortir les différences entre une Ducati et une sportive japonaise. Le test a eu lieu sur la tortueuse piste Streets of Willow Springs ressemblant à celle de Shannonville, sur un pavage de piètre qualité, avec des virages serrés. Tandis que la CBR négociait agilement les virages, la Ducati exigeait beaucoup plus de force du pilote, devant s’aider de ses jambes, de la pression de ses pieds et de beaucoup d’énergie sur le guidon. Sur une piste serrée comme Streets of Willow Springs, la 1098 oblige à travailler fort, mais on obtient en retour un feedback exceptionnel de la roue avant. On pouvait ressentir le moment où la traction approchait de sa limite et à quel point l’adhérence du pneu était affectée par la qualité variable de la surface. La Honda en revanche, plus représentative de l’approche japonaise de la maniabilité, était bien prévisible et stable, mais le feedback de la Ducati était incomparable. Et même les suspensions de série de la 1098 travaillaient bien, quoique moins sophistiquées que les Ohlins de la version S; le surplus de 5 000 $ que coûtent ces dernières pour des étançonnements plus fins est peut-être exagéré.

L’évolution mécanique principale de la 1098S comparée à la 999 est sa cylindrée supérieure, portée de 998 cc à 1 099 cc, d’où un bon progrès dans la puissance. Ducati annonce 160 chevaux au vilebrequin, ce qui est sans doute réaliste puisque les tests au dynamomètre affichent dans les 140 à la roue arrière, mais la 1098S est bien plus qu’une 999 gonflée. Ses culbuteurs plus courts réduisent les dimensions externes des culasses, et l’angle plus aigu des soupapes redresse le flux d’admission d’air. Les soupapes d’admission sont plus grandes de 2 mm (à 42 mm), celles d’échappement de 1 mm (à 33 mm) et les corps de papillon en forme d’ellipses passent de 54 mm à 60 mm.

La 1098S maintient la tradition de l’embrayage à sec qui fait partie des montures de performance Ducati depuis leurs tout débuts. La combinaison du nouveau calibrage du moteur et du cliquetis de l’embrayage à sec confère à la 1098 un son qui rappelle un peu une grosse cylindrée (big block) modifiée Chevy tournant au ralenti, une expérience auditive intéressante, avouons-le. Bien que la durabilité de ce mécanisme à sec n’équivaille pas à ce que les modèles japonais atteignent avec leur embrayage baignant dans l’huile, celui de la Ducati est quand même léger et progressif. Avec la boîte à six rapports précis, il en résulte un train de roulement très efficace.

Le pot d’échappement qui court encore sous la selle, comme sur la 916 du début, se termine désormais par une sortie double, contrairement à la 999. Esthétiquement plaisant et d’une bonne efficacité aérodynamique, il a tout de même le désavantage de réchauffer la selle. Bien que ce ne soit pas très grave en piste ou sur l’autoroute, cela peut devenir assez gênant dans la circulation dense, surtout par temps chaud.

La 1098 respire la performance et remplit ses promesses. Lors d’une journée sur la piste de Calabogie organisée par Pro 6 Cycle (pro6cycle.com) la 1098 a affiché une vitesse en ligne droite comparable aux 1000 cm3 japonaises. Cependant, elle les surpasse facilement dans la façon dont elle transmet sa puissance au sol, car elle libère son énergie si régulièrement qu’on peut écraser l’accélérateur sans crainte de patiner, une qualité de traction appréciée par les amateurs de bicylindre en V.

Son moteur gagne les révolutions rapidement, surtout pour un V-Twin, et l’accélérateur répond instantanément. Le calibrage sportif de ce moteur se révèle lorsqu’on déploie l’accélérateur dans les régimes en dessous de 4 500 tours et qu’il frissonne un peu, signe de la synchronisation assez radicale des arbres à cames. Malgré ceci le moteur agit avec autorité dès les bas régimes jusque dans les hautes révolutions. Bien que la moto semble plus lente que ses concurrentes asiatiques, un coup d’oeil à l’indicateur de vitesse prouve le contraire, car elle est étonnamment rapide. Au fait, en regardant vivement le compteur de vitesse, ne cherchez pas aussi le tachymètre, sinon vous serez dans le décor bien avant d’avoir déchiffré son affichage à barre numérique faiblement éclairée ! Mais son apparente inutilité est compensée par un voyant de rapports très visible et bien éclairé; on ne comprend pas pourquoi le grand tachymètre analogique de la 999 a été abandonné.

Les freins sont d’une puissance redoutable, trop en fait au goût d’un client de Pro 6 Cycle qui leur a amené sa monture pour voir si on ne pourrait pas les rendre moins féroces. Comme on s’y attend sur une moto sportive de pointe, la 1098S est équipée des plus récents étriers Brembo monobloc à quatre pistons montés de façon radiale, désormais encastrés en une seule pièce pour gagner en rigidité par rapport à l’ancien modèle encastré en deux pièces, et parallèlement avec un maître-cylindre radial. Le diamètre du rotor s’agrandit de 10 mm à 330 mm et son épaisseur augmente de 5 mm pour mieux dissiper la chaleur. Nous avons expérimenté l’ajustement de la manette de freinage avant pour trouver un point idéal qui affaiblirait l’avantage mécanique pour ne pas tirer trop fort, et il appert que cela s’effectue d’une légère pression avec seulement deux doigts. La puissance des freins ne diminue pas leur rétroaction, mais elle requiert une touche très délicate.

Dans le monde ordinaire, c’est à dire hors des pistes de course, la 1098S ne sera jamais confondue avec une Gold Wing ni même avec une ST3. Cette même ergonomie qui fait merveille à couper l’apogée des courbes rapides rend ardues les longues randonnées, surtout sur les poignets. C’est ensuite le cou qui fatigue, car le pilote doit sans cesse regarder derrière lui pour pallier les rétroviseurs élégants mais peu efficaces en raison de leur emplacement et des vibrations. Alors que le ferme calibrage des suspensions amène un roulement assez rigide, l’action fluide des composantes Ohlins de haute qualité est incomparable et compense en partie au niveau du confort. Le moteur est étonnamment souple et agréable, avec un couple puissant qui dispense parfois de passer de rapport et rend les dépassements très aisés. Bref, bien que la circulation sur route avec cette Ducati ne soit pas impossible, il est clair que la mission de la 1098 s’oriente ailleurs.

La somme de toutes les améliorations apportées aux 1098 et 1098S produit une monture qui pourrait bien convaincre davantage de pilotes actuels de japonaises que toute autre Ducati précédente. Il semble que Ducati, avec sa nouvelle structure de prix, ait observé des fabricants de voitures comme BMW et Porsche pour étudier comment ils parviennent à exiger une surprime par rapport aux voitures ordinaires, avec comme but de fixer un prix juste assez bas et convenable à ceux qui convoitent une GSX-R 1000 ou une ZX-10. Peut-être que le public qui fustigeait Ducati pour la 999 les a convaincus de considérer la concurrence avec davantage d’humilité que par le passé, et la 1098 qui en résulte honore la tradition Ducati tout en reprenant des éléments à la base de l’engouement pour les japonaises.

La 1098 est bien plus qu’une moto; c’est la reconnaissance publique de Ducati qu’ils ont fait une erreur en proposant une motocyclette qui, de l’avis de la majorité, était simplement trop laide pour porter le nom Ducati. Et la 1098 est vraiment jolie, avec des éléments de la 916 et de la coursière Desmosedici MotoGP. Seul le temps pourra dire si la 1098 sera un jour aussi vénérée que l’illustre 916, mais en attendant, elle place Ducati bien en selle sur le marché des motos sportives de classe Open, tout en conservant un petit air romantique italien.

Il est plus facile de s’y déplacer, de s’y pencher dans les virages et d’avoir un bon effet de levier sur le guidon.

La combinaison du nouveau calibrage du moteur et du cliquetis de l’embrayage à sec confère à la 1098 un son qui rappelle un peu une grosse cylindrée (big block) modifiée Chevy tournant au ralenti.

Bien qu’elle semble plus lente que ses concurrentes asiatiques, un coup d’oeil à l’indicateur de vitesse prouve le contraire, car elle est étonnamment rapide.

La somme de toutes les améliorations apportées aux 1098 et 1098S produit une monture qui pourrait bien convaincre davantage de pilotes actuels de japonaises que toute autre Ducati précédente.

 

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